LA ZONE -

A Rebours - 9

Le 29/11/2005
par Arkanya
[illustration] Jonathan courait à en perdre haleine, mais du haut de ses huit ans, il se rendait bien compte qu’il avait les jambes trop courtes pour rattraper son frère. Il s’efforçait juste de ne pas laisser le dos d’Alexandre disparaître à un coin de rue. Au bout d’un moment, juste après la maison de madame Champonnois, il sut où allait l’emmener sa course folle, à la rivière, là où l’été dernier ils s’étaient amusés tous deux pendant des heures durant avec des bateaux faits en coquilles de noix.
Ses poumons commençaient à le brûler, et son souffle lui raclait la gorge à chaque inspiration, mais il tenait bon. Il le fallait, Alexandre tenait Boubou, le chaton que leur grand’mère lui avait offert, dans ses sales pattes crasseuses. La vérité, c’est qu’il était jaloux que lui ait eu le droit d’avoir un chat, et qu’il voulait le lui faire payer. Jonathan n’était pas du tout disposé à laisser son frère faire ce qu’il voulait, déjà l’année dernière, il avait repeint le vélo qu’il avait eu à Noël en rouge avant de le barder de stickers hideux pour les filles. Alexandre ne supportait pas que Jonathan reçoivent des cadeaux dont il n’avait même pas eu l’idée, ça le rendait mauvais. Et surtout, il ne supportait pas que maman puisse être aussi fière de son cadet alors que lui ne foutait rien à l’école.
Alexandre était accroupi devant la rivière, le dos tourné. Jonathan voulait hurler quelque chose, n’importe quoi, mais il était trop essoufflé. Il rejoignit enfin son frère, manqua déraper sur une flaque de boue, se rattrapa de justesse à une souche et plaqua ses mains sur ses genoux le temps de reprendre ses esprits. Le chaton miaulait de frustration et gigotait entre les mains d’Alexandre.
- Bon lâche-le maintenant ! lui demanda Jonathan.
- Oh ça va, je vais pas te le casser ton jouet.
Jonathan se jeta sur son frère mais il n’eut qu’à se redresser et tenir la bestiole à bout de bras pour le voir sautiller vainement en pleurnichant.
- Mais ça va ! hurla Alexandre. Je veux juste essayer un truc, je te le rendrai après ton chat !
- Tu promets ? demande Jonathan en essuyant une larme qui persistait sur sa joue.
- Sur la tombe de monsieur Denis.
- Et sur tes Playmobils ?
- T’es malade ou quoi ?
Jonathan recommença à hurler en s’agrippant au tee-shirt de son frère.
- Bon, ok, sur mes Playmobils, mais arrête de crier comme ça, on va se faire choper par maman, si elle nous trouve ici on est morts.
Jonathan se calma en un éclair, et demanda timidement :
- Mais tu vas faire quoi ?
- Je veux juste vérifier un truc.
Sur ces mots il s’accroupit à la vitesse de l’éclair et plongea le chat tout entier dans le courant glacé de la rivière. Jonathan se mit à le marteler de ses poings en lui ordonnant d’arrêter, mais Alexandre le maintenait fermement par le bras et le tenait éloigné de lui. Il finit par le lâcher comme il sortit Boubou de l’eau. L’animal trempé ressemblait à un rat aux poils collés, et gisait inanimé dans les bras du petit garçon.
- Tu as tué mon chat, t’es malade, je vais le dire à maman !
- Mais non, ça va, il a rien ton chat, regarde ! Je vais le ramener à la vie, c’est magique.
Alexandre glissa le petit corps sous son sweat et se mit à le frotter vigoureusement. Jonathan ne pouvait quitter des yeux la bosse inerte sous le tissu. Des larmes coulaient lentement sur son visage, il ne s’en rendait même pas compte. Il se voyait déjà rentrer à la maison le cœur gros, et annoncer à Mamie qu’il n’avait pas pu tenir sa promesse de s’occuper de Boubou pour toujours et de le rendre heureux. Alexandre frictionnait sans relâche, un air un peu inquiet avait effacé la confiance de son visage, alors il y mettait encore plus d’énergie. Et à un moment qui leur avait paru aussi long à tous les deux, ils entendirent un gémissement imperceptible. Le souffle coupé, Alexandre sortit lentement le chaton de sous son pull. Ses poils étaient en bataille et il tremblait autant que la vieille machine à laver en mode essorage, mais il était vivant.
- Tu vois, il va bien ton chat débile.
- Rends-le moi maintenant ! demande Jonathan en tendant les mains.
- Non, j’ai pas fini.
- Bon, je vais aller chercher maman, je vais tout lui dire, tu vas te prendre un savon, tu vas voir.
Il tourna les talons et se dirigea d’un pas hésitant vers la maison. En fait il n’avait pas envie d’abandonner la partie maintenant, mais il espérait bien que son frère allait avoir peur. Il fit dix pas et se retourna juste à temps pour voir une basket d’Alexandre disparaître entre les feuilles du chêne qui surplombait la rivière. Là ce n’était plus drôle, il commençait à en avoir marre. Il avait beau être le plus petit, ça ne justifiait pas qu’il se laisse emmerder comme ça tous les jours. Et puis il était décidé à ne plus se laisser faire. Il revint sur ses pas et entreprit de grimper lui aussi aux branches de l’arbre.
- Fais pas ça, reste en bas, tu vas tomber ! lui hurla Alexandre au-dessus de sa tête.
- J’m’en fous, tu m’énerves, t’es qu’un con, rends-moi mon chat.
- Non, reste en bas, j’te préviens ! Si tu tombes maman va me tuer !
Jonathan reçut un mollard sur le visage.
- Arrête de monter, sinon je te crache dessus.
- Tu m’as déjà craché dessus, sale con.
- Tiens, arrête-toi, regarde !
Il leva la tête, mais il n’apercevait que quelques tâches colorées entre les feuillages. Puis il entendit quelque chose les traverser, quelque chose qui tombait, et il eut juste le temps de s’accrocher à la branche sur laquelle il était avant de voir passer son chat qui s’écrasa mollement sur le sol juste en-dessous de lui. Il se laissa tomber plus qu’il ne redescendit de l’arbre.
Boubou gisait sur un lit de mousse, sa gueule entrouverte était maculée de sang. De là-haut Alexandre criait :
- Le touche pas, je vais recommencer, tu vas voir ! Je vais le ramener à la vie.
Mais Jonathan ne l’écoutait plus, il avait ramassé le petit corps et courait vers la maison, il trébuchait et manqua s’étaler à cause d’une racine qu’il n’avait pas vue, aveuglé par ses yeux embrumés de larmes. Maman l’entendit pleurer depuis la maison et l’accueillit dans l’allée. Elle lui prit le chaton des mains et le fit disparaître dans une vieille couverture. Puis elle lui donna un verre de lait, le fit asseoir et lui demanda de tout lui raconter. Cette fois-ci, il n’épargna pas son frère, trop souvent il l’avait couvert quand il faisait des conneries, mais là il méritait d’être puni, il avait fait quelque chose de trop grave. Alors il dit tout. Il y mit le temps, c’est pas facile de parler en pleurant, mais il y parvint. A la fin, maman le regarda avec un air horrifié, et lui demanda où était Alexandre.
Elle était revenue de la rivière sans lui. Elle avait appelé papa, qui était venu, ça faisait drôle de les voir boire un café ensemble, c’était pas habituel. Puis elle avait appelé mamie, pour lui dire que le petit chat était mort, Jonathan avait trop les boules pour le faire. Mamie aussi était venue. Et ils avaient tous cherché Alexandre, ils avaient téléphoné à ses amis, ils l’avaient attendu. Finalement, il est rentré en fin d’après-midi, un peu penaud, un peu perdu, et les grands avaient eu tellement peur de ne pas le trouver qu’ils l’ont juste installé sur une chaise pour lui parler un peu de ce qu’il avait fait.
Alexandre ne voulait pas discuter, il ne disait qu’une seule chose, en boucle, comme un perroquet :
- Maman, c’est vrai qu’un chat a neuf vies ?

= commentaires =

    le 29/11/2005 à 09:09:18
C'est mal de provoquer des envies de meurtre chez le lecteur, non ? Des crétins, c'est pire que des nuisibles.
C'est lisse et bien écrit comme toujours. J'avoue que le thème "le petit chat est mort" n'est pas mon préféré, parce qu'il est facile, un petit chat mort ça fait toujours couler les nez. N'empêche que quand c'est bien écrit et juste, j'apprécie.

Par contre pour obtenir le label Dourak, je crois qu'il va y avoir trop de peau sur le chat.
Kirunaa

Pute : 1
    le 29/11/2005 à 10:57:16
Salaud de niard, je lui en filerai, moi, des vies.

J'aime bien la chute du gamin plus bête que méchant, je m'y attendait pas trop.
Quant au style, et bien, c'est toujours aussi agréable à lire.
Dourak Smerdiakov

site
Pute : 0
ma non troppo
    le 29/11/2005 à 14:44:22
C'est du gâchage. Ou alors j'ai raté l'étape du dépeçage, mais je crois avoir tout lu.

J'espérais autre chose de la part de la mère, avec le "si elle nous trouve ici on est morts".
Pas Sage.
...    le 29/11/2005 à 15:23:53
Le texte est agréable à lire, par contre l'histoire est trop tendre et la fin prévisible.
Aelez

Pute : 1
    le 29/11/2005 à 15:43:00
Je ne trouve pas ça "prévisible" personnellement. Je m'attendais à une chute bateau qui aurait fait d'Alexandre un psychopathe en herbe. Ce qui n'aurait peut être pas été déplaisant non plus, me direz-vous, mais qui aurait encore soulevé des questions extraordinairement profondes du genre 'et après, il se passe quoi?'. Là, le texte est complet, ça ne demande pas de réflexion particulière, et ça fait du bien de temps en temps. J'aime bien.
Dourak Smerdiakov

site
Pute : 0
ma non troppo
    le 29/11/2005 à 16:01:41
Ceci dit, qui n'a jamais, enfant, jeté un chat du deuxième étage pour vérifier s'il retombe réellement sur ses pattes ?
Pas Sage

Pute : 0
...    le 29/11/2005 à 16:05:48
Des scientifiques ont calculé la hauteur minimum qu'il faut pour qu'un chat retombe sur ses pates.

En tout cas avec les enfants ce n'est pas toujours le cas.

Aka

Pute : 2
    le 29/11/2005 à 17:52:30
J'aime bien : l'écriture, le thème, la fin.
J'aime pas : une apparence toujours trop lisse, et du coup trop fade.

Bienvenue chez Télérama.
Dourak Smerdiakov

site
Pute : 0
ma non troppo
    le 29/11/2005 à 18:49:00
Calculer ? Que tu es naïf. Les scientifiques, ça expérimente.

Tout ce que je sais, c'est que, du deuxième étage, ça marche.
Dourak Smerdiakov

site
Pute : 0
ma non troppo
    le 29/11/2005 à 18:50:15
Evidemment, faut pas visiter les poteaux, ça change tous les paramètres.
Narak

Pute : 2
    le 29/11/2005 à 19:05:48
Ben moi ça m'a touché cette histoire, ému presque. Merde, j'aime pas quand une histoire un peu cul-cul me fout les boules comme ça. J'ai besoin de violence, je vais aller torturer des mouches, ça va me faire du bien.

Bon texte, un poil trop gentil, Mais vachement efficace.
Lapinchien

tw
Pute : 8
à mort
    le 29/11/2005 à 19:45:55
mon passage preféré : Jonathan ne pouvait quitter des yeux la bosse inerte sous le tissu.

C'est un appel au Serial Edit ce texte... Bon compte à rebours 9 - neuf ayant un role trres important dans ce texte, j'imagine que pour chacun des textes à suivre le numero titre sera quelque chose de central... J'ai la flemme d'aller voir dans les textes en attente si ma theorie est fondee.

la chute a un arrière gout de légende urbaine. J'ai été surpris. Je m'y attendais pas. Mais j'ai l'impression de l'avoir entendue 10.000 fois cette histoire. En moins romancée par contre.

nihil

Pute : 1
void
    le 30/11/2005 à 18:15:37
*se prépare à devoir supporter les glapissements d'amour et de vénération de la part de Vassago, qui se sauraient tarder*
Nounourz

Pute : 1
    le 01/12/2005 à 09:41:35
J'aime bien !
C'était mon commentaire-minute.
Vassago

Pute : 0
    le 02/12/2005 à 06:37:20
"Glapissements d'amour et de vénération..."

Non mais pour qui vous me prenez?
Je sais aussi critiquer...
Le texte est bien écrit, rien à redire la dessus, néanmoins...

Bon en fait et merde, j'adore, j'ai été surpris par la fin, j'attend la suite de la série avec impatience, Arkanyatestlameilleurejetaime!

*glapissements-glapissements-glapissements-glapissements-glapissements-glapissements-glapissements
glapissements-glapissements-glapissements-glapissements-glapissements-glapissements-glapissements
glapissements-glapissements-glapissements-glapissements-glapissements-glapissements-glapissements
glapissements-glapissements-glapissements-glapissements-glapissements-glapissements-glapissements-*

commentaire édité par Vassago le 2005-12-2 6:37:42
Lapinchien

tw
Pute : 8
à mort
    le 02/12/2005 à 09:53:52
c'est pathétique
    le 02/12/2005 à 11:04:57
Vraiment pas.
Lapinchien

tw
Pute : 8
à mort
    le 02/12/2005 à 11:30:02
j'parlais de l'intervention de Vassago... Ma derniere aussi était pathétique d'ailleurs mais je pouvais pas le savoir en l'ecrivant
    le 02/12/2005 à 12:41:58
Mais non mais

C'était un jeu de mots

pathétique
pas thétique
pas, et thétique, ha ha

ha


euh






hum
Lapinchien

tw
Pute : 8
à mort
    le 02/12/2005 à 13:05:25
ce sont pas tes tics ?
    le 02/12/2005 à 13:11:30
Tu m'épates, eh, tique !
Narak

Pute : 2
    le 02/12/2005 à 21:44:48
ça c'est pathétique.
Lapinchien

tw
Pute : 8
à mort
    le 02/12/2005 à 21:52:28
non, c'est pas ton truc
Dourak Smerdiakov

site
Pute : 0
ma non troppo
    le 02/12/2005 à 23:06:24
Cèpes à Têt, hic .
Dourak Smerdiakov

site
Pute : 0
ma non troppo
    le 02/12/2005 à 23:08:33
S'ébattent, éthiques, enrhumés.

= ajouter un commentaire =