LA ZONE -

A Rebours - 8

Le 10/12/2005
par Arkanya
[illustration] J’ai su tout de suite qu’avec Caroline ce serait spécial. C’est con, j’ai toujours attaché beaucoup d’importance aux signes. La première fois que je l’ai vue, c’était un 8 août. On est sortis ensemble en novembre de la même année. Si ça n’avait pas mis autant de temps, je n’aurais pas connu Emilie entre les deux, et du coup Caroline aurait été ma septième conquête. Mais non, c’était la huitième, la huitième amante de ma vie d’homme.
D’accord, en soi, il n’y a rien d’exceptionnel à tout ça, en plus ça ne veut rien dire. Sauf que la première fois que nous avons passé la nuit ensemble, je me suis émerveillé d’un petit tatouage qu’elle avait sur la cheville, un tatouage en forme de huit, je vous le donne en mille. Pas un huit debout, évidemment, ce serait un peu bizarre de se faire tatouer un chiffre. Non, un huit couché, le signe de l’infini.
Cette nuit-là, je lui ai demandé si pour elle, ça pouvait vouloir dire quelque chose, tous ces huit dans notre rencontre, et si elle croyait aux présages. Elle a ri, mais elle n’a rien répondu, je pense que ça la faisait rêver elle aussi, mais qu’elle n’osait pas l’admettre.
Très vite on a su qu’on était faits l’un pour l’autre, il y a de ces évidences qu’on ne peut pas ignorer. Je me suis rendu compte en l’aimant que pour toutes les autres, ça n’était que de l’attachement. Finalement on se prend à bien aimer une fille, plus qu’une amie, mais ça n’est pas ça, c’est pas pareil. L’amour, c’est inexplicable et logique à la fois. C’était la femme de ma vie, j’étais l’homme de la sienne, point barre, pas besoin d’aller se poser plus de questions.
On s’est pas mariés, pas qu’on en avait pas envie, mais c’est surtout qu’on en avait pas besoin. Se marier, c’est un peu vouloir montrer à la face du monde qu’on tient l’un à l’autre, nous on avait besoin de le montrer à personne, presque on préférait le garder pour nous, comme un secret qu’ils ne comprendraient pas. Par contre, on s’est réservé quelques semaines pour une lune de miel païenne et hors de propos, du temps rien que pour nous, loin de tout.
J’avais beaucoup d’argent de côté, que j’avais amassé sans but précis, juste au cas où, pour un projet fou, et c’en était un finalement. On a pris chacun un mois de congé, en plein milieu de l’année civile, comme ça, et on a fait nos bagages. L’île qu’on avait trouvée avait tout de l’endroit désert et loin de toute civilisation. Perdue au milieu d’un paradis bleu azur, elle ne comptait guère que quelques centaines d’habitant dans un village pittoresque qui vivait quasiment exclusivement de la pêche et de l’artisanat.
On avait élu domicile dans une bicoque sur la plage, tous les matins les vagues qui léchaient le sable faisaient office de réveil matin, et le soleil ne nous trahissait jamais. On a très vite pris nos petites habitudes, balade matinale le long de l’eau, déjeuner sur le port, sieste crapuleuse, baignade, conversations à bâtons rompus autour d’un feu de camp, que des plaisirs simples pour juste passer du temps ensemble, insatiables de nos présences.
Un matin, les cheveux encore emmêlés et le visage baigné de la lumière du soleil qui filtrait entre les persiennes, elle m’a souri et a décrété avec tout l’aplomb d’un enfant capricieux qu’aujourd’hui il fallait absolument que l’on fasse du bateau. Après tout, j’étais pas contre, et si ça pouvait la rendre heureuse, j’aurais fait n’importe quoi, alors ça ou autre chose hein. On s’est donc pointés au village de pêcheurs, et on a demandé à louer un bateau.
Bien sûr, comme ni l’un ni l’autre ne savions diriger un engin comme celui-là, il nous fallait trouver surtout quelqu’un qui nous emmène en pleine mer. Vu le trou perdu, pas la peine de compter sur un office de tourisme, en fait on est allés à l’heure du déjeuner dans le seul bar du village et on a demandé poliment si quelqu’un pouvait nous rendre service. On a essuyé deux ou trois refus, puis finalement une espèce de vieux bonhomme au visage très marqué nous a dit qu’il avait peut-être une solution pour nous. En fait, un de ses bateaux était trop vieux pour la pêche, mais il ne parvenait pas à s’en séparer. De plus, son neveu d’une quinzaine d’années se ferait un plaisir de nous accompagner après sa sortie d’école.
C’est ainsi que nous sommes partis en mer en début d’après-midi. Le rafiot était vétuste, il grinçait de tous les côtés, et chaque coup de vent un peu violent le faisait tressaillir. Le jeune garçon qui nous emmenait s’appelait Emok. Il était plutôt sympa, il nous regardait avec de grands yeux ébahis, pour lui on était des demi-dieux du fait même qu’on venait de la Métropole qu’il s’imaginait comme une sorte de paradis de technologie et de culture. Il ne se lassait pas de nous poser des tas de questions sur notre vie là-bas, et s’extasiait de tout ce qu’on lui racontait.
Au bout de deux heures, Caroline a commencé à avoir mal au cœur, le ressac avait mauvais effet sur elle. Emok lui proposa d’aller s’allonger dans la cabine, d’après ses dires on était plus très loin de l’île sur laquelle il voulait nous emmener pour que l’on y cueille deux ou trois noix de coco à ramener. Elle alla se reposer et je restai seul sur le pont avec notre compagnon de voyage. Dès lors que nous fûmes entre hommes, il me posa beaucoup de questions sur notre relation, sur les filles, sur l’amour, ça tombait bien, j’étais intarissable quand il s’agissait de parler de Caroline. Et au bout d’une demi-heure, comme il nous l’avait promis, on commença à apercevoir au loin l’île ridicule pourvoyeuse de délices.
Quand nous avons accosté, je descendis voir mon aimée, mais elle dormait. Je lui laissai un mot en évidence avant de remonter. Emok était presque content que nous fassions sa petite expédition à deux, il était à cet âge où les femmes font un peu peur, et puis accompagner un couple n’est pas très drôle. Il attacha le bateau à une souche qui avait l’air solidement ancrée dans le sable, et nous sommes partis tous les deux en quête de noix de coco, parés comme pour affronter la jungle. Je dois avouer que nous avons passé un super après-midi, lui à grimper aux arbres, aussi agile qu’un singe, moi à tenter de l’imiter mais à me résoudre à ramasser ce qu’il me jetait de là-haut. Je dois admettre aussi que j’ai vu de ces paysages qu’on ne se permet même pas de rêver, une cascade perdue, des animaux dont je ne connais pas le nom à peine effarouchés par notre présence. Mais tout ça est bien cher payé finalement.
Car quand nous sommes revenus sur la plage, le bateau n’était plus là. Dans le doute, on a quand même fait le tour de l’île, espérant qu’on s’était trompés de côté, mais il a bien fallu nous rendre à l’évidence. La souche était toujours là, elle, mais Caroline non. Je suis resté très calme jusqu’à ce qu’on vienne nous chercher - heureusement qu’au port on savait où nous étions partis - mais c’est parce que je ne doutais pas qu’ils avaient retrouvé le bateau aussi. Arrivé au port, comme ils me disaient qu’ils n’avaient rien vu, qu’il était trop tard pour chercher, que la nuit tombait, qu’elle allait peut-être appeler avec la radio, qu’il ratisseraient les alentours le lendemain, j’ai commencé à paniquer, puis à me mettre dans une rage folle. Il me paraissait inconcevable qu’ils ne se rendent pas compte de la gravité de la situation, ne serait-ce que de mon point de vue, je ne pouvais pas supporter qu’il ne donne pas autant de valeur à Caroline que je le faisais. Ils ont fini par se fâcher, l’un d’entre eux m’a même frappé, et ils m’ont déposé dans ma petite maison vide au bord de la plage.
Pendant trois jours pleins, tous les marins du port ont arpenté les flots à la recherche du bateau, ou au moins d’un morceau de coque, de n’importe quoi qui pouvait nous permettre de la retrouver. Et puis ils ont laissé tomber, ils avaient l’impression d’avoir fait le maximum, et ils ne pouvaient pas se permettre une nouvelle journée foutue en l’air. Et si je n’étais pas content, je n’avais qu’à partir.
Mais je suis resté, longtemps, plusieurs mois, à regarder la mer, à errer sur le port, et à attendre un signe, n’importe quoi. Et puis un jour, c’est Emok qui est venu me voir. Depuis ce jour maudit, il m’avait évité, j’avais supposé qu’il s’était senti responsable, mais je ne savais pas à quel point. Il a tapé à la porte, je lui ai ouvert, et je l’ai trouvé en larmes. Sans me laisser le temps de parler, il m’a juste expliqué que sur l’île, quand il avait amarré le bateau, il avait oublié de faire un nœud de huit. Il s’était contenté d’un nœud merdique, il avait oublié tous les enseignements de son oncle, tout ce qu’on lui rabachait depuis l’enfance, et il n’avait pas fait ce putain de nœud de huit. Et puis il est parti en courant.
Ce jour-là j’ai rangé mes affaires et je suis rentré par le premier avion. Les siennes, je les ai laissées là-bas, si des fois un miracle arrivait et qu’elle reparaisse, elle en aurait toujours besoin. Ça fait huit ans maintenant, voilà qui me fait doucement rire. Il serait peut-être temps que j’avance un peu.

= commentaires =

Abbé Pierre

Pute : 1
    le 10/12/2005 à 13:27:26
Très bien écrit mais c'est chiant, en fait.

Moi j'attendais que Caroline se soit fait kidnappée par des indigènes qui auraient élu domicile sous terre, un peu comme King Kong et qu'ils la violaient tous en même temps tout en lui fracassant des noix de coco sur la tête et en lui niquant les dents à grands coups de branches de bananiers.

Mais un putain de noeud ça, non.

Sinon c'est bien écrit.
Lapinchien

tw
Pute : 8
à mort
    le 10/12/2005 à 13:42:53
bordel indigène çà veut dire qui est né à l'endroit de qu'on parle de, donc du coup çà veut dire que tu parles d'indigènes de sous-terre, donc que tu parles de types qui sont nés sous terre... pas con comme idee n'empeche, la vie c'est à chier, autant naitre inhumé
Abbé Pierre

Pute : 1
    le 10/12/2005 à 13:49:10
Bah oui. C'était exactement ce que je voulais dire. Et dans robin des bois, ils font des cachettes sous terre c'est un peu pareil, t'as vu?
Abbé Pierre

Pute : 1
    le 10/12/2005 à 13:49:52
En plus j'ai dit des indigènes de l'île qui "auraient élu domicile sous terre".

En fait c'était pas exactement ce que je voulais dire.
nihil

Pute : 1
void
    le 11/12/2005 à 13:21:59
Soit Arka a rencontré l'Amour, soit elle s'est fait siphonner le cerveau, mais là je comprends pas et ça m'inquiète. Ou alors c'est ça la maturité littéraire, et c'est nous qui sommes des attardés. Ouais, ça me semble le plus probable.
Narak

Pute : 2
    le 11/12/2005 à 16:35:08
Même avis que nihil. En plus de ça, le coup du noeud, de l'ile et l'autre naze de marin là, je trouve que ça fait un peu limite pour écrire un texte. Avec une base comme ça, c'était pas vraiment gagné de toutes façons.
Lapinchien

tw
Pute : 8
à mort
    le 11/12/2005 à 18:09:57
présent
nihil

Pute : 1
void
    le 12/12/2005 à 16:45:57
C'est quand on parle de noeud que tu réagis toi, j'ai bon ?
Vassago

Pute : 0
    le 13/12/2005 à 16:21:33
Ouais vous êtes des attardés. Ce texte est excellent. Je ne tenterais même pas de vous expliquer pourquoi, si vous ne l'avez pas compris à la premiere lecture je ne peux rien pour vous.

Arkanya je t'aime t'est la meilleure!
Dourak Smerdiakov

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Pute : 0
ma non troppo
    le 13/12/2005 à 16:28:27
C'est beau, l'hypocrisie amoureuse. Prenons-en tous note : Arkanya est bonne au lit.
Abbé Pierre

Pute : 1
    le 13/12/2005 à 16:29:21
D'un mec qui ne connait pas l'auxiliaire être, cette critique se révèle des plus importantes, oui.

Faut arrêter de glapir et de gémir Vassago, même si ça n'est qu'aux textes d'Arkanya, t'en perds ton langage.
nihil

Pute : 1
void
    le 13/12/2005 à 16:54:59
Vassago c'est le Jedi de la subjectivité.
Vassago

Pute : 0
    le 13/12/2005 à 23:56:36
Dourak => Je n'ai qu'un amour pur et platonique pour Arkanya.
Abbé Pierre => Ta geul fé pa ton nasi 2 la lang francéz
Nihil => On s'encule?
Dourak Smerdiakov

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Pute : 0
ma non troppo
    le 14/12/2005 à 00:37:01
Platon, c'est nul. Trop de dialogue chiants, inutiles, et hypocrites puisqu'au fond ils ne forment tous qu'un grand monologue de Platon.

Pourquoi blasphémer ? L'amour pur, c'est ton Créateur.
Lapinchien

tw
Pute : 8
à mort
BONUS DVD    le 14/12/2005 à 00:41:34
Grand concours : il faut deviner à quel moment dans le texte Vassago à laché la purée et expliquer pourquoi n évitant la difamation...
Dourak Smerdiakov

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Pute : 0
ma non troppo
    le 14/12/2005 à 10:56:11
En évitant l'insémination, surtout.
Dourak Smerdiakov

site
Pute : 0
ma non troppo
    le 14/12/2005 à 10:57:32
Je miserais plutôt sur "chaque coup de vent un peu violent le faisait tressaillir".
nihil

Pute : 1
void
    le 14/12/2005 à 13:05:17
Je situerai ça aux alentours de "les vagues qui léchaient le sable", mais je poursuis mes recherches.
Abbé Pierre

Pute : 1
    le 14/12/2005 à 13:12:21
Je situerais ça à "Arkanya".
Vassago est un prototype robotisé de Pavlov3.13
Kirunaa

Pute : 1
    le 14/12/2005 à 18:52:43
C'est pas le meilleur de la série.
Ca pourrait etre beaucoup mieux si le narrateur etait un peu plus torturé. Je trouve que dans l'ensemble, il prend tout ça trop bien.
Nounourz

Pute : 1
    le 15/12/2005 à 13:41:37
C'est bien écrit, mais j'ai moins aimé que le précédent moi aussi. C'est fin et réaliste, mais il y a quelque chose qui ne passe pas. Je crois que je suis moi aussi un putain d'immature littéraire qui aurait souhaité un peu plus de violence, de sang, de dépression, de psychose maniaco-obsessionnelle ou de trucs dans le genre.

En fait, je m'attendais plutot à ce qu'on apprenne que la bonne femme s'était tirée avec le bateau et se faisait depuis exploser la rondelle par la jet-set "champagne et cocaïne" locale...
Aka

Pute : 2
    le 17/12/2005 à 15:26:34
La seule critique que je puisse faire c'est qu'on se doute de la fin à ça : "Un matin, les cheveux encore emmêlés et le visage baigné de la lumière du soleil qui filtrait entre les persiennes, elle m’a souri et a décrété avec tout l’aplomb d’un enfant capricieux qu’aujourd’hui il fallait absolument que l’on fasse du bateau."

Je soupçonne aussi Arka de faire dans la sorcellerie parce que j'ai encore bien aimé ce texte.

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