Serial edit 6 : timebomb

Le 20/12/2005
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par Nounourz
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Rubriques / Serial Edit
Précedemment dans Serial Edit, Lapinchien avait dépeint la haine ordinaire d'un mec pour ses contemporains qu'il croise chaque jour dans les transports en commun. L'edit de Nounourz est d'une logique imparable : il reprend cette base et fait du héros un terroriste qui se prépare à se faire exploser dans le métro. C'est bien vu, hélas quelques notes de second degré viennent salement dédramatiser l'action.
Textes précédents :

- Extrait de l'Apocalypse

- Apocatrip par Nounourz
- Sainte-morphine par nihil
- Le fils spirituel par Glaüx
- Sous terre par Aka
- Lambda par Lapinchien
La bombe est dans mon sac. C’est un grand sac de sport noir, que je me trimballe depuis mon appartement Porte de Clichy. Je suis habillé en survêtement noir, porte des baskets noires et une casquette noire. A cette heure, mon apparence atteste que je suis un sportif se rendant au gymnase pour son entraînement hebdomadaire. Qui pourrait bien se douter que dans moins de dix minutes, cette rame du RER C ainsi que tous ses occupants seront réduits en une bouillie tiède de matière organique ? Les pains de plastic attendent leur heure de gloire dans l’ obscurité. J’ai l’impression qu’ils vont exploser… non, pas encore. Patience, ça ne saurait tarder.

Enfin, ça y est, je me suis décidé à le faire. Jamais je n’aurais cru pouvoir passer à l’acte, ce projet fou murissait dans mon imagination depuis des mois sans que j’ose concrétiser la moindre chose. Saloperie d’obsession à la con que je traîne depuis des lustres…Et puis, j’ai finalement trouvé le courage d’aller jusqu’au bout de ma démarche. J’avoue que je suis légèrement stressé, maintenant que le moment est proche. Ma montre m’indique que les détonateurs se mettront en marche dans six minutes. Six minutes de jouissance animale, dont j’apprécierai chaque seconde. Je savoure ces dernières minutes d’existence ; je salive à cet instant, je domine mes peurs, mes émotions… Je domine la terre entière.

Six. Je visualise la scène par avance, étant donné que je ne pourrai assister au spectacle dans son intégralité. Le bruit assourdissant, la lumière aveuglante. L’explosion qui réduit en cendres le wagon et tous ses passagers. Les autres wagons qui s’embrasent. Les personnes qui attendent sur le quai projetées par le souffle, les murs de la station qui s’effondrent sous le choc, des enfants en flammes qui courent en hurlant de douleur. La panique générale, la bousculade, la ruée vers les sorties de secours. La fumée noire et épaisse qui envahit les locaux, les corps inanimés des quidams asphyxiés, les autres corps mutilés qui baignent dans le sang et les viscères.

Obnubilé par cette vision dont je me délecte, j’oublie tout le reste. Les stations défilent et ne font qu’une en même temps. Les autres usagers n’existent pas. Seul mon sac est réel, tout comme le chaos dont il est le propagateur. Et moi, l’instrument du chaos, celui qui laissera dans l’histoire son nom en lettres de chair rôtie.

Cinq. Tout a été si simple, je n’en reviens toujours pas. Ce plan vigi-pirate est vraiment d’une connerie sans bornes ; c’est à se demander comment personne n’a pu y penser avant moi. J’ai croisé plusieurs policiers et militaires, qui ne m’ont pas adressé le moindre regard. Je disposais de toute façon d’un dispositif de mise à feu immédiate, dans l’éventualité où un quelconque représentant de l’ordre eût l’idée de me fouiller, mais je n’ai pas eu à m’en servir. Tant mieux, j’aurais trouvé moins drôle de devoir tout faire sauter dans un bête couloir même pas surpeuplé. La chance est avec moi : la rame est archi-bondée ; il faut dire qu’à cette heure, ces braves gens rentrent du bureau après une dure journée de travail. Tous ces enculés de bourges à deux balles qui prennent le train par souci écologique vont bientôt regretter de ne pas avoir investi dans une voiture. Pas tous pour être exact : seulement ceux qui seront encore en vie dans cinq… non, quatre minutes.

Quatre. Bien évidemment, personne ne se doute de rien - comment le contraire serait-il possible, de toute façon ? Juste devant moi, une jeune fille feuillette un magazine people en écoutant de la musique. Elle est assez laide et semble même affublée d’un léger strabisme convergent. Avec la tête qu’elle a, il est peu vraisemblable qu’elle ait un petit ami. Si tel était pourtant le cas, l’infortuné pourra me remercier de l’avoir débarassé de ce fardeau. Dans ces conditions, rendre service est un réel plaisir pour moi. A ma gauche, un couple visiblement proche de la retraite discute à voix basse du nouveau catalogue vacances Nouvelles Frontières. Pour vous messieurs-dames ça sera un aller simple pour le crématorium : son four, ses flammes, sa musique d’ambiance. Promotion exclusive valable aujourd’hui seulement. A ma droite, une grosse africaine tient son gosse sur les genoux. Le môme fixe la fenêtre comme s’il s’agissait d’un écran de télé tandis que sa mère, les yeux fermés, tente de profiter de l’éphémère tranquillité de son rejeton pour piquer un roupillon. Jamais pu supporter les nègres, c’est pas aujourd’hui que ça va commencer. Je suis de ce fait assez satisfait d’éradiquer un futur voyou et une reproductrice de cette espèce. Comme à l’accoutumée, il y en a un certain nombre dans le wagon. Jean-Marie sera fier de moi !

Trois. Dans la vie, j’étais chômeur depuis trois ans. Je parle au passé : le présent n’a plus d’importance et le futur - mon futur - n’existe pas. Trois ans à étudier grâce à internet les méthodes de fabrication de bombes artisanales. Trois ans à préparer ce spectaculaire final, à échafauder des plans, à peser le pour et le contre de chaque catégorie d’explosifs. Trois ans de travail intensif - tous les chômeurs ne sont pas des glandeurs - à l’issue desquels me voici désormais, prêt à affronter mon destin. Je ne pourrai pas profiter de ma célébrité, mais je sais que mon nom sera connu jusqu’à l’autre bout de la planète. Et il le restera pour des décennies voire des siècles : après tout, on se souvient toujours de Ravaillac, ou mieux encore, de Brutus. L’attentat-suicide le plus meurtrier que Paris aura jamais connu, perpétré par Jacques Delabarque. Oui, ils se rappelleront de moi pendant un sacré bout de temps… C’est un peu ça, l’immortalité.

Deux. J’ai laissé dans mon appartement une lettre expliquant en détail la manière dont j’ai opéré, depuis le matériel utilisé jusqu’à l’itinéraire que j’ai choisi. Elle est bien visible au milieu de la table du salon, avec en guise de titre, écrit en grosses lettres rouges : « ATTENTAT STATION RER C CHAMP DE MARS ». Il faudra un certain temps pour que ma disparition soit constatée, puis pour que quelqu’un décide de faire ouvrir mon appartement afin d’obtenir des informations. Ensuite, la vérité éclatera au grand jour, mon identité et ma photo - j’ai laissé un joli portrait de moi avec la lettre - feront le tour de la Terre. J’espère que maman regardera les informations. Et même si elle ne les regarde pas, il y aura bien quelqu’un parmi les proches ou la famille pour lui apprendre la bonne nouvelle. Quelle surprise cela va être pour elle ! Je me demande si elle en fera un infarctus. Quel dommage qu’il me soit impossible de voir sa tête à ce moment là ! Quoiqu’il en soit, le moment approche à grands pas. Je suis de plus en plus nerveux, je crois que j’ai un peu le trac. Je me sens comme l’élève qui vient d’être appelé au tableau…

Un. Le plus comique dans tout cela, reste quand même le motif de cet acte, que j’ai expliqué dans une autre lettre. Voici mot pour mot ce que celle-ci contient :

« Maintenant que vous savez comment j’ai procédé, la question qui se forme sur vos lèvres est bien entendu "pourquoi avoir fait cela ?". Laissez moi vous dire une chose très simple : je n’ai aucune revendication. Je ne fais pas cela pour un peuple, ni pour un quelconque Dieu. Je ne fais pas cela pour une cause, ni pour une idée. Mon seul souhait est d’acquérir une gloire posthume, et avoir mon nom écrit sur les livres d’histoire de tous les écoliers de France. Cependant, je suis conscient du fait que peut-être me refuserez-vous cet honneur, par exemple pour ne pas inciter d’autres personnes à en faire autant. Cette éventualité est même plus que probable ; cependant, puisque les chances ne sont pas nulles, je tente le tout pour le tout. Dans la vie, on ne gagne pas à tous les coups, c’est la règle du jeu et je l’accepte. De toute façon, au moment ou vous lisez cette lettre, que je sois célèbre ou non n’a finalement plus la moindre importance puisque désormais réduit à l’état de cendres, je suis dans la plus totale incapacité de jouir de ma notoriété. Alors, si je l’ai fait malgré tout, c’est tout simplement…gratuitement. Puisque je suis mort avec tous les autres, je n’ai retiré aucune satisfaction de l’éxécution de mes plans. J’ai tué des gens sans but précis : voila la phrase-clef. Est-ce bien ou mal ? Je m’en contrefiche, puisque je ne peux ni toucher une récompense ni aller en prison (ni être condamné à mort, haha). J’ai eu cette idée il y a trois ans en lisant l’apocalypse selon Saint Jean : tuer un grand nombre d’être humains en un seul coup. Petit à petit, mon plan s’est transformé en « réaliser l’attentat-suicide le plus meurtrier possible ». Pour établir un record mondial, il m’aurait fallu me rendre dans une ville plus dense, en extrême-orient par exemple, mais mes moyens ne le permettaient pas. Et puis, je suis français après tout : il est de mon devoir de privilégier ma patrie. Voilà, vous savez tout, c’est-à-dire pas grand-chose de plus. Ah non, j’allais oublier une dernière chose : le mode opératoire que vous avez pu lire précédemment a été traduit en anglais et envoyé automatiquement sur plus de deux mille sites, forums et newsgroups, ainsi qu’à une dizaine de milliers d’adresse e-mail. J’ose espérer que parmi tous ces destinataires, il y aura un jour quelqu’un pour continuer mon œuvre.

Veuillez agréer l’expression de ma plus vive hilarité.

Jacques DELABARQUE
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Tuez des gens ! Tuez des gens ! Tuez des gens ! (J.Delabarque, ©2005) »