Tranche de vie apathique

Le 07/01/2007
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par Glaüx-le-Chouette
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Thèmes / Débile / Disjoncte
Glaüx nous raconte sa vie de cyberdépendant adepte de la procrastination. Pris dans une gluante apathie, il raconte le drame de notre vie à tous : un fauteuil, une tasse de café, un clavier pour faire F5 et un putain d'écran maléfique qui nous pompe l'âme. Mais comme Glaüx n'aime pas parler pour ne rien dire, il se résigne finalement à agir pour remplir son texte, et s'épluche les couilles avec un couteau pour s'occuper. Trop bien.
Faut que je bosse.

Deux heures et demie que je suis là, devant mon écran, à siroter mon thermos de café noir mug après mug, le front penché vers l’écran. Je me suis refait un thermos il y a vingt minutes et je le bois encore mug après mug. Il m’en reste les deux tiers, et je me demande pour m’occuper l’esprit combien de mugs mon thermos peut bien contenir, et combien d’heures je peux passer à tourner de site en site, pour un thermos, ou pour un mug. Tout s’accélère, de mug en mug, même le temps sensible, et tout se rétrécit, même l’espace entre mes murs, même ma tête, et même la texture des sons devient plus crissante. Pourtant tout reste identique.
Rien foutu. Ni boulot ni rien d’autre.
J’écoute ma playlist de punk et trash en boucle, je bois mon café, je me fais chier moi-même à me répéter dans mon crâne qu’il faut que je commence à bosser, que j’arrête cette playlist, que je ferme ces sites, que j’arrache cette foutue touche F5, que j’aille pisser.

Faut que j’aille pisser.

* * *

Pisser. Allez. Pousser la chaise, me lever, un pas vers la droite, tout droit deux pas et demi, tout est et demi par ici, à gauche à angle droit, un pas, tirer le rideau, un pas, lever la lunette, ouvrir la braguette, sortir la bite, pisser.

J’ai les couilles qui collent au haut des cuisses, c’est dégueulasse, et très énervant. Insupportable et répugnant. Le seule solution consiste à faire des amorces de mouvements de squat, répétées, tout en me vidant du café filtré par le Brita organique qui me sert de corps. Burnes collées, décollées. Collées, décollées. C’est presque un bruit, schlap, floup, schlap, floup. Je ne l’entends pas, entre Punks Not Dead et le bruit flasque de mes peaux, c’est Punks Not Dead qui gagne ; mais je le sens, comme on sent un bruit de fracture osseuse en dedans de soi : un son organique, comme si les viscères entendaient.

Stigmata, Riot part en trombe ; on accélère, un squat par riot.

Je finis, je remonte ma braguette et je tire la chasse. En me lavant les mains, je continue à demi mes mouvements, machinalement. J’y mêle ensemble un dégoût pour la sensation, l’envie de m’en débarrasser en décollant la peau, et une espèce de fascination.

Un pas à droite, refermer le rideau, un pas, droite à 90°, deux pas et demi, squat squat, un pas, s’asseoir.

* * *

Mon thermos est fini. Je n’ai rien fait de plus depuis le dernier événement notable de ma vie, il y a une heure, à savoir aller pisser.

Je sens toujours la peau de mes bourses collée à mes cuisses, avec un énervement certain. S’ajoute à cela un nouveau phénomène que je connais bien : le prépuce qui flirte avec le bord du gland, le rasoir d’Occam version bite, un coup sur le gland, un coup sous le gland, mais jamais en équilibre. De l’inconvénient d’être à moitié circoncis. Tout est à moitié ici. Même ma bite. Mais je l’ai déjà dit. Ca n’est plus qu’à moitié dingue.

Les deux sensations conjointes me rendent fou. Je me rends compte que mon genou gauche s’agite au double du temps de Dare Dare Devil, je l’arrête dès que je m’en aperçois, et il recommence à la piste suivante.

Il faut que ça cesse. Et faut que je bosse, bordel.

* * *

Je me suis levé pour me refaire un café, ça je m’en souviens.

J’ai fait ce putain de café avec ce putain de porte-filtre qui m’oblige à rester comme un con devant le thermos, la bouilloire à la main, comme un trou du cul de servant de messe, pendant les dix minutes du filtrage, en reversant régulièrement de l’eau bouillante sur le marc. Ma vie s’écoule avec une régularité magnifique, au fond.

I’d Rather Be Sleeping, ouais, je m’en souviens aussi, et c'est pas faux.

J’ai passé ces dix minutes à faire des squats de plus en plus vigoureux, de plus en plus répétitifs, ça je m’en souviens. En espérant que mon enculé de boxer se mettrait enfin entre mes couilles et mes cuisses, et qu’il y resterait. Ca, oui, je m’en souviens aussi. En rentrant le bide que je n’ai pas pour tirer sur la peau du prépuce et le faire revenir sur le gland. Schlop bloup, schlop bloup. Ca, je m’en souviens parfaitement, et je continue.

Par contre j’ai oublié quand j’ai quitté mon froc, et pourquoi et comment j’ai rapporté avec moi le couteau à lever les filets.

* * *

Oh putain ça fait mal.

J’ai dû me passer la lame effilée à travers la peau de la cuisse, juste sous le derme, avec une dextérité qui m’étonne et dont je n’ai aucun souvenir : je vois l’artère de l’aine battre sous le muscle, mais elle n’est pas touchée. Je serais déjà mort sinon, saigné comme un porc.

J’ai scalpé mes testicules sans blesser les glandes. Magnifique. Ca ressemble à des spaghettis ensanglantés et perdus dans une sauce jaunâtre et grisâtre et granuleuse.

J’ai aussi réussi à me trancher le gland avec le prépuce, et j’avais pensé à me garrotter le sexe au préalable. J’ai oublié tout ça, merde. Pour une fois, j’ai fait les choses bien.

Meatman, Hellstomper, qui finit.

MAIS BORDEL POURQUOI J’AI AUCUN SOUVENIR ?

* * *

Faut que j’aille à l’hosto. Dix minutes que je me dis qu’il faut que j’aille à l’hosto.

Je perds assez peu de sang. J’ai vraiment bien fait les choses. J’ai juste mal. Atrocement mal. Je sens chaque fibre des muscles de mon aine, et il y en a des centaines, des putain de fibres tendues. Avec chacune un petit cri d’ongle gratté sur du fer noirci.

Je commence à revenir à moi, et je commence à sentir la sueur qui trempe et glace mes aisselles. Je commence à me sentir stupide. Je commence à réfléchir.

Chacun de mes mouvements me coûte un cri de douleur. Mon sexe est noir et violet sous la compression, couronné par un disque de sang figé. Les plaies de mes cuisses et de mes testicules à vif se rejoignent, s’accouplent et se séparent à nouveau, en tirant à chaque fois un peu plus sur une fibre, ou sur un tube séminifère, au travers des épaisseurs de chair. Si je me lève, je ne sais pas si je vais supporter la douleur. Je ne sais pas non plus si mes testicules vont rester entiers ou se défaire et pendre sous moi. Ni si le garrot de mon pénis tiendra. Je ne sais plus rien, mais il faut bien que je fasse quelque chose.

J’ai peur et j’ai froid.

J’arrête enfin cette connerie de playlist.

* * *

La fin de la musique me laisse apeuré comme un cobaye débile. A présent, lorsque je bouge, j’entends le bruit organique de succion des chairs les unes contre les autres. Comment ai-je pu être aussi stupide, mon Dieu, comment ai-je pu. Je tremble et je me sens faible. Je commence à pleurer d’impuissance. Je tente de me lever, au prix d’un hurlement inhumain qui sort de plus bas que de ma gorge. Mes muscles sont déjà collés à la toile de la garniture de ma chaise. Les fibres se tendent, réagissent d’elles-mêmes par une sorte de sursaut frémissant qui me tord le ventre ; je retombe assis, les yeux exorbités, pas tant sous l’effet de la douleur que de la surprise et de l’incompréhension.

Je me sens comme un gosse.

Quelqu’un...

* * *

Une heure que je suis assis. J’ai décidé de rester immobile et de laisser la douleur se taire. Après, on verra. Je m’en fous. Je veux que ça cesse.

Je prie. J’ai recommencé à croire, merde, tant pis, je m’en tape, j’ai trop peur.

Je n’ose pas appeler à l’aide, ni au téléphone, ni sur le net. Qui ? Pour dire quoi ?

J’ai honte et j’ai peur.

J’ai froid, de plus en plus froid, et des taches noires au fond des yeux.

* * *

*tududu*

Je me réveille en sursaut. J’étais affalé sur mon clavier. Un enculé de contact msn qui me réveille. Qu’est-ce qu’il me veut, l’enfoiré.

Il veut me raconter sa vie. Ouais, c’est un contact msn, quoi. Fait chier. Vas-y raconte, ça m’occupera l’esprit critique. D’autant que j’ai fait un sale rêve, là.

J’ai les couilles qui me grattent.

* * *

J’ai crié de douleur, et mon cri s’est éloigné de moi-même en même temps que je m’évanouissais. Etrange. Mais je me suis réveillé presque immédiatement. En gueulant tous les noms de pute que je connais. J’ai un amas de chair coagulée dans les doigts de ma main gauche, avec des tubes, de la masse graisseuse, de tout, putain, c’est mes couilles, un morceau de mes burnes, je l’ai arraché d’un coup d’ongles.

Ca suffit. Je m’essuie la main sur mon t-shirt.

Je reprends le couteau de cuisine. Je le pose sur le bout du manche, vertical, pointe en haut, juste devant moi, sur le sous-main. Je tiens le manche fermement de la main gauche. Avec la droite, je relance ma playlist au coup de bol. Enceintes à blindes, bordel. Puis couteau à deux mains. Je me redresse et je vise le bout de la pointe avec mon oeil gauche. Je ferme le droit. Je fais en sorte de ne voir qu’une ligne grise et hurlante à la place de la lame. Salope de lame.

Riot City, Total Chaos.

Je gueule et je lance mon crâne vers mes poings.