LA ZONE -

Trip

Le 11/03/2009
par CC
[illustration] A fond de cachetons je ne pensais pas que les murs se rapprocheraient se serreraient aussi vite/ à fond à fond la forme avale avalons avalez pilules cachets capsules bleues/ et des rouges/ et des rouges/ à fond à fond d’anxios de trucs dont j’ai pas le nom d’anti-psycho ronds de neuroleptiques de gélules je suis sceptique maintenant, devant depuis cette fissure que je n’avais jamais vu à côté de la fenêtre/ une longue et fine fissure qui serpente sur le mur blanc jauni par des années de/ des années d’yeux rougis rayon laser pour découper/ à fond à fond de cahin-caha je ne pensais pas être si vite là/
Ça aurait pu être traversée en bateau entre des dauphins mer bleue ciel bleu soleil et mangé des sardines grillées au barbecue sur le pont quelque part sur l’eau entre là et là sur la carte, sous mon doigt, tu vois ?
Au lieu de ça on est resté là à tourner en rond à se demander si on aurait pas dû y aller à se morfondre les doigts/sanguinolents/les nerfs à vifs au bout tendu de la journée.

J’ai envie de vomir tu fais.

Vas-y je te dis.

Ça aurait pu être traversée en bateau au lieu de ça tu avais le mal de mer sur la moquette du salon. Et moi les dents serrés à se faire péter l’émail, les dents fendillés par la racine tiraillée de spasmes rouge comme un crochet à l’intérieur de mes gencives, un crochet qui racle l’intérieur de mes dents - le bruit que tu fais dans les toilettes, se servir un verre. Fort.

Ça aurait pu être une virée dans un pub lambda pour boire de la vodka Redbull et finir en boîte jusqu’à pas d’heure, à l’arrache.

Je me sens pas bien tu fais.
JE CROIS QUE C’EST MES TRIPES QUI VONT SORTIR TU VOIS ?

Je vois bien, tu es verte.

Ça aurait pu être beaucoup de choses au lieu de ça, on en était là. Tu criais, criais criais. Ça m’a vrillé les réflexions. Je pouvais plus, à cran vous savez quand ça vous prend des fois à chaud à défoncer des murs/à niquer des portes. Je pouvais plus réfléchir et là, je voulais rester tranquille pour ne pas envenimer la situation. Je sentais confusément que je devais rester zen mais je savais plus pourquoi/on avait pris un carton à deux/chacun la moitié/qu’on avait depuis longtemps dans le frigo/comme une friandise une bonne fraise tagada c’était un dragon rouge mais il ne poussait pas des masses.

Ça va ?
Elle était allongée les jambes un peu relevées, les bras en étoile sur la moquette entre la table basse et le meuble télé.

Ouais d’une voix vaporeuse.

T’as mal ?

Ouais je crois.

Quoi tu crois ? C’est le trip ?

Ouais… non… je pense pas...

Et je l’ai regardée.

On a déliré. Faut bouger aux urgences j’ai dit.

Je peux pas t’as fait. Et moi non plus je ne pouvais pas, je n’avais pas envie de bouger aux urgences, je n’avais pas envie de voir des gens normaux. On était trop raide. Mes pupilles dilatées, globes noirs intenses, me fixaient dans le miroir. Mon sourire me figea des rides qui se creusèrent avant qu’un voile de cendres grises ne me statufie les traits dans l’écrin camé de la glace de la salle de bains. Je faisais des bulles à la commissure, ça me fit rire - à l’intérieur car désormais un visage sévère que je connaissais me faisait face.

Je me suis baissé pour t’attraper par-dessous tes bras et te poser sur le canapé. Ça n’avait pas l’air d’aller du tout et moi zoreilles bourdonnantes soudain j’étais raide. Pas de téléphone, impossible d’appeler. Tu étais lourde inerte explosée mais j’ai réussi. Tu étais trempé aussi. Mais j’ai géré. Comment dire, j’étais calme et je te calmais. Personne ne m’avait jamais rien dit. Jamais rien dit alors je trouvais que je me débrouillais pas mal.

Respire doucement maintenant.

Je peux pas t’as fait.

Mais si j’ai dit je crois ; JE PEUX PAS t’as fait et tu as commencé à sangloter.

N’en rajoute pas j’ai dit.

Sanglots sanglots…quand tes larmes…sanglots sanglots…j’entendais les vagues claquer dehors les gondoles la façade vénitienne de l’immeuble tout grelottait imperceptiblement le vent soufflait et les formes du tapis accroché au mur bougeaient sans cesse…il fallait que je trouve quoi faire entre tous les sanglots qui gonflaient qui la débordaient la pièce, à lames humides à larmes saillantes projetées 3D en temps réel dans le nouvel appartement vif aux plafonds étirés -

Fumer un peu.

Tu avais l’air d’aller mieux par terre. Reprenais des couleurs. Je crois que je mangerai plus jamais de chocolat c’est ce que tu as dit en te levant. Ça ira mieux demain j’ai fait.

Au bout d’un moment j’en ai repris un, un Simpson, que j’ai coupé en speed avec le bout de mon couteau de boucher sur l’inox qui entoure les plaques au-dessus du frigo. Tu ne m’as pas vu. Et je ne t’ai rien montré.

La soirée a continué de couler. Lorsque. Lorsque tu as crié contraction violente, oh non ça recommence, les traits tirés de ton visage loin dans l’espace jaune brillant je me suis levé et j’ai regardé ton ventre. Il était tout rond. Ça faisait comme une boule. Une forme un peu comme une femme enceinte c’est ça que je me suis dit. Calcul rapide, flash/grosse redescente/montée. Et là tout est parti.
Je me suis levé ai pris un verre d’eau dans la cuisine suis revenu dans le salon me suis penché pour la regarder par terre et j’ai dit

On a déliré, tu vas accoucher je pense. Faut bouger aux urgences.

Je peux pas t’as fait. Je peux pas elle a fait, je vous jure.

Il faut y aller peut-être, je ne pouvais plus, je commençais à paniquer, attends je prends les clés - les gestes n’étaient pas calculés provenaient d’un âge ancien une période enfouie dans les instincts j’ai trouvé les clés, pris son manteau lui ai passé l’ai levé ouvrir la porte éteindre la lumière refermer la lourde lumière elle à mon bras tour de clé allez on descend doucement - j’étais en pull et c’était décembre.

On n’a pas retrouvé tout de suite la voiture. Elle pleurait beaucoup. Elle criait presque. Obligé qu’elle s’asseye par terre au bord du trottoir, c’était glauque, les vibrations étaient glauques sous les lampadaires orange, une fine pluie s’est mise à tomber. La caisse n’était pas loin, je l’ai vue, alors suis reparti chercher Charlène du plus rapide que j’ai pu. Des fenêtres s’allumaient dans la rue mouvante, les façades se touchaient mais ne gênaient pas la lumière de la lune, j’avais froid. Elle était au même endroit je pense, elle se tenait le ventre en hurlant. Quelqu’un a dit quelque chose par une fenêtre. Vite, vite on y va, je l’ai relevée, comme dégrisé. Nous marchions presque droit, les immeubles étaient plus stables.

Je lui ai baissé la tête pour la faire entrer dans la voiture, siège reculé au maximum. Elle ne parlait pas. Il y avait beaucoup de bruit, j’ai démarré en trombe.

Maintenant je suis là Dans cette chambre immaculée. Avec mon pyjama et mes et chaussons bleus. Et lorsque le vent fait claquer les gouttes sur la fenêtre de ma chambre comme maintenant, je sais que tu vas inlassablement venir me grincer toute la nuit à l’oreille les pleurs de bébé coincé dans ton ventre coincé dans la ferraille..

= commentaires =

Winteria

Pute : 0
    le 11/03/2009 à 18:15:02
J'ai pas trouvé ça désagréable.

J'aime vraiment bien le début, en fait, et justement ce que le résumé appelle QCM : comme si le mec re-qualifiait en permanence chaque impression, s'attardait sur chaque sensation pour y chercher vainement un peu de sens et de stabilité ; et les visions s'accumulent, et il prend du retard, il est submergé. Bref, un joli résultat au niveau du rendu du trip.

Et de chouettes morceaux, à mon sens :
"avale avalons avalez" (excellent, ça)
"à fond à fond de cahin-caha je ne pensais pas être si vite là"
"les nerfs à vifs au bout tendu de la journée."
"JE CROIS QUE C’EST MES TRIPES QUI VONT SORTIR TU VOIS ?"


Après, je suis sceptique. L'impression qu'on cherche à nous refourguer une intrigue bidon et bateau pour justifier l'ensemble ; le pathos, un peu, à la fin, avec une histoire de bébé mort (parce qu'il est mort, hein ?). Bôf total.
D'un autre côté, je sais pas si le texte aurait survécu s'il s'était limité à une description des sensations. Mais l'histoire du bébé mort, c'est corrodé depuis longtemps et Trainspotting - et peut-être avant, mais je suis jeune et bête.


Avis mitigé, donc.
Narak

Pute : 2
    le 11/03/2009 à 21:17:03
J'ai adoré, au début ça m'a perturbé parce que je voyais pas vraiment quel genre de trip le mec basculait, entre le nerveux et l'hallcinatoire, ça paraissait assez confus. Mais après c'est cet aspect qui rendait le texte particulier et, ouais angoissant. Dans les images comme dans l'expression, avec les phrases improbables et tendues, je trouvais qu'on sentait super bien le mental du mec qui craquait. Ce texte pue la came et putain c'est bon. Seulement ça aurait pas suffit si c'était juste une description de bad-trip, et là je trouve la pseudo-intrigue bien gaulée, facile peut-être, mais je dirais qu'elle s'intègre vachemement bien et... voilà impeccable, quoi. J'aime vraiment le style qui perd son temps pour mieux repartir dans l'hystérie contenue, c'est justifié, ça claque.

Je me le retape tiens.
Dourak Smerdiakov

site
Pute : 0
ma non troppo
    le 14/03/2009 à 14:36:42
J'ai trouvé ça pas mal fait et intéressant, à condition d'accepter qu'ici le fond justifie l'informe. La chute donne un côté tragique sans lequel on se contenterait d'un gros bof après la lecture ("Mais pourquoi tu me racontes ça ?"). Ficelle peut-être, mais qu'est-ce qui ne l'est pas (ctb)...

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