LA ZONE -

Bahamas split – 2. Peace and rise

Le 27/02/2010
par Lapinchien
[illustration] J’étais à mille lieues de me douter que les quelques frasques et tourments qui avaient ponctués mes premières heures sur le sol de Gran Bahama n’étaient en fait qu’un prélude, un avant goût, une mise en bouche de bienvenue. Cette première journée s’annonçait longue et laborieuse. Elle n’allait m’offrir que très peu d’opportunités pour peaufiner mon entretien du lendemain avec Bottlenose. Le leader indépendantiste semblait très remonté dans ses derniers messages sur le net avant mon départ, il exigeait des garanties solides et s’attendait de ma part à une stratégie sans faille en échange de son implication dans la logistique et le recrutement pour ce qui devait être le braquage du siècle. J’avais temporisé en jouant sur le charisme et l’aura internationale dont jouissait Vargas Keller, mais il allait falloir me montrer convainquant dans ce rôle de composition, sans quoi toute cette combine allait se retourner contre moi. Dans le meilleur des cas, j’y laisserais quelques plumes. Je croisais les doigts pour ne pas y perdre tout mon plumage.
- T’sais-tu qu’dans le Nouveau Testament, l'auteur d’ la Première lettre à Timothée annonce que la racine de tous les maux, c'est l'amour de l'argent ?

Jean Charpentier, le clochard que j’avais embouti tantôt semblait plutôt bien se porter, aussi je décidai de mener à bien la mission que l’officier Richards m’avait confiée avant de faire un crochet par l’hôpital. Tout le long du parcours qui nous séparait de la croix griffonnée sur le plan par le rastafari de la caserne, le clodo ne cessa de me faire la morale en citant des passages de la Bible qu’il remaniait habilement à sa sauce.

- Qu’est ce tu fous aux Bahamas si t’aimes pas les thunes, Jean ?
- Si tu n'écoutes pas la voix du Seigneur ton Dieu en veillant à mettre en pratique tous ses commandements et ses lois : Maudit seras-tu dans la ville, maudit seras-tu dans les champs. Maudits seront ton panier et ta huche. Maudit sera le fruit de ton sein et de ton sol, ainsi que tes vaches pleines et tes brebis mères. Maudit seras-tu dans tes allées et venues.
Le plus étonnant chez Jean, c’était qu’il perdait intégralement son accent lorsqu’il citait les textes sacrés, un peu comme quand Céline Dion chantait. Il devait probablement, tout comme elle, serrer les fesses et se pincer les joues jusqu’au sang avec ses molaires pourries pour arriver à ce brillant résultat.

- Rien à battre, Jean. T’as bazardé tout ton flouze sur les tables de jeu et tu erres comme une merde dans les rues de ce paradis pour milliardaires. Tu crois vraiment que je crois une seconde à tes salades ? Tu as joué, t’as perdu, et maintenant t’es une loque qui pue la chiasse. Tu veux te racheter une bonne conscience en mettant en garde un petit jeune sur un ton paternaliste à deux balles ? Ça ne prend pas, Jean, la caillasse y a que ça qui t’assure la vie belle, y a que ça qui te prémunit de l’emprise de tous ces prédateurs qui n’attendent qu’une occasion pour faire de toi un larbin, un mercenaire interchangeable à leur botte. Tes bondieuseries tu te les fous au fion.

Pour le coup, Jean, inébranlable, en remit une couche sans se laisser démonter : « Nu, je suis sorti du sein maternel, nu, j'y retournerai. Le Seigneur a donné, le Seigneur a repris : que le nom du Seigneur soit béni…»


Ce fut la goutte d’eau qui fit déborder le bénitier. J’empoignai Jean par le col et le priai de fermer sa gueule de Québéconnard à la noix s’il ne voulait pas traverser le pare-brise et lécher le bitume sur 500 mètres jusqu’à ce que sa tronche raclée ne ressemble plus qu’à une putain de sculpture postmoderne sanguinolente. Je pense qu’il prit ma menace au sérieux car il s’enferma dans une sorte de mutisme de circonstance.


Le point de rendez-vous était une petite cours derrière le grand casino de Port Lucaya, le parking des employés. La nuit était tombée et l’endroit était peu éclairé mais j’y reconnus l’officier Richards qui me faisait des appels discrets de la main. Comme je m’arrêtai à sa hauteur, il m’empoigna par la portière tout en fronçant les sourcils. Il avait l’air encore plus moche que lorsque je l’avais croisé quelques heures plus tôt même s’il avait troqué ses habits militaires contre une sorte de smoking mal taillé.

« Putain, je t’ai jamais demandé d’ameuter toute l’île, petit con ! », Qu’il me lança tout en arborant un sublime rictus de constipé du dimanche, « C’est qui ce pue-la-pisse que t’as dégotté ? » Richards se mit à me serrer très fort la glotte avec la ferme intention de m’expulser la pomme d’Adam par mon trou de balle. Puis après mûre réflexion, comme il se voyait mal trainer lui-même l’encombrante cargaison, il se ravisa. « Tous les deux, descendez de la bagnole sans faire de bruit et portez moi cette putain de caisse jusqu’aux cuisines du restaurant du casino. Entrez par cette porte dérobée destinée au personnel et ne vous faites pas remarquer. Y a un de mes gars qui vous attend à l’étage…»

« Arrête tes niaiseries, Richards… », Jean interrompit la tirade de l’officier dans un anglais dégueulasse et alors irradié par la vérité je compris que ce putain d’accent québécois était en réalité une sorte de bec de lièvre mental, une malédiction atavique que tout un peuple se coltinait depuis des siècles. Moi qui avais toujours pensé qu’il émanait d’un résidu de patois de ploucs expatriés, j’étais sur le cul. Quelque soit le langage, anglais, français, l’affreuse musicalité de l’accent était bien présente comme si les cordes vocales de ces pauvres gens avaient été montées à l’envers et que leur palais sécrétait assez de glue pour y faire riper leur langue à chaque consonne prononcée. Une fois cette grande leçon de vie encaissée, je n’eus plus le moindre mal à parfaitement discerner tous les propos de Jean comme si mon cerveau avait intégré la clef d’un code crypté.

« Richards », Repris Charpentier, « Vas-tu donc arrêter là toutes tes sornettes ? T’es donc tu pas parano, bout de bon Dieu ? Fais-y pas comme si tout l’archipel était-y pas au courant de tes combines, Tabarnac à deux étages… Tu vas finir par faire peur au gosse avec tous tes mystères. »

L’officier grommela mais Jean poursuivit sa tirade.

« Richards, t’as une tronche de cake, une gueule de cul… t’as même une grande raie en travers, là, à la place de ton pif… T’crois-tu quand même pas que personne n’est pas au courant de tes p’tites affaires avec Andy Johnson, le jeune rasta employé municipal chargé de l’entretien de la caserne des sapeurs-pompiers ? »

L’officier réajusta son nœud-papillon et se rapprocha de Jean qui était caché dans la pénombre mais il ne sembla pas le reconnaitre. « Putain, mais t’es qui toi, le clodo ? Tu sais à qui tu t’adresses au moins ? »


« Ben j’m’adresse à un niaiseux qu’est tellement laid que pour se faire des blondes il est obligé de les droguer. Même les prostituées tu les dégoutes alors t’as bien dû monter ta petite affaire. Là dans la caisse, y a ton petit stock trimestriel de champagne pré-mélangé que t’a concocté l’autre glandu rastafourien. »

C’est alors que Richards sorti son arme de fonction et qu’il la braqua avec insistance en direction de Charpentier.

Je ne compris rien à la situation sur le coup. Richards menaça Jean de projeter sa cervelle à l’autre bout du parking s’il ne la fermait pas. Quant à moi, je connus de nouveau une absence, le vide s’empara de ma conscience. C’était la troisième fois le même jour que la catatonie me gagnait. Jamais ces crises de tétanisation aigües ne s’étaient manifestées à un intervalle aussi court et régulier. Il faut dire aussi que de toute ma vie, jamais dans la même journée, je n’avais eu à subir de si nombreux assauts contre mon intégrité physique et mentale. Le petit rongeur dont j’étais le descendant sur l’arbre darwinien, celui-là même qui paralysé devant le vélociraptor qui allait le gober d’un seul tenant avait sauvé sa peau en restant involontairement immobile, ce putain de mammifère là, se manifestait de nouveau. A ce rythme, je n’allais pas tarder à me transformer en lémurien définitivement. Un voile blanc protecteur envahit mon champ de vision.

Lorsque je repris mes esprits quelques instants plus tard, Jean et moi nous trouvions dans un grand escalier en colimaçon. Il avait la gueule ensanglantée. Richards l’avait probablement copieusement roué de coups avec la crosse de son flingue. On portait à deux la caisse de champagne de Richards. Une forte odeur incommodante me chatouillait les narines mais je n’arrivais pas à en localiser l’origine.

« Tiens-tu mon gars, voilà t’y ton crisse de passeport et tes torrieux de 50$ bahaméens… » Jean me tendis mes papiers et la moitié de la prime que Richards m’avait promis en échange de mes bons services « J’ai pris 50%, tabarnacle, c’est ma commission habituelle. Ne sois-tu pas surpris.», Qu’il enquilla en reprenant son souffle. « Bon, c'est ben ciboère, faut-y qu’on monte c’te caisse jusqu’aux cuisines, au plus sacrant ! »

J’étais encore un peu dans le coltard aussi je ne trouvai rien à y redire. Jean menait la marche et montait les escaliers à reculons. Plus on approchait des cuisines et plus cette foutue odeur dégueulasse était forte et nauséabonde.

En chemin, le clochard me mit au jus. Les pompiers utilisent la kétamine comme anesthésique et antidouleur, lors d’accidents de la route ou face à de graves brûlés c’est un médicament précieux car il peut être utilisé sans connaitre les antécédents médicaux des victimes. Dans ces conditions, c'est alors le premier produit que l'on tente d'employer, pour son efficacité et son innocuité. La kétamine se présente sous la forme d'une poudre cristalline, soluble dans l'alcool, ce qui fait qu'on peut la verser dans des boissons. Ses effets sédatifs empêchent les victimes de résister aux agressions sexuelles. Sans goût, sans odeur, elle fait donc aussi partie de la fameuse famille des drogues du viol comme le GHB ou le Rohypnol. Elle altère la mémoire par ailleurs. Toutes les conquêtes de l’officier Richards ne gardaient donc pas le moindre souvenir de ces instants pénibles à la limite de la cryptozoophilie. Le jeune Andy Johnson qui m’avait refourgué la cargaison de champagne pré-mélangé, un peu plus tôt, passait des deals avec les pompiers de l’île et allait puiser dans leurs réserves de kétamine en truquant les feuillets de contrôle. Il préparait ensuite ses petits cocktails contre une bonne contrepartie sonnante et trébuchante.

« 9 mois que j’squatte la ruelle près de la caserne, je sais de quoi que je cause. », Se justifia le clodo, « T'es bien mieux de m'écouter, mon p’tit Mausus. Chaque fois sais-tu qu’c’est le même manège ? Ça a pas d'bon sens ! Je l’ai vu de mes yeux vu. D’habitude c’est Andy Johnson qui ramène la marchandise-là mais, vainyeu , on lui a retiré son permis de char pour excès de vitesse en état d’ébriété la semaine dernière après qu’il ait failli provoquer un accident… L’officier Richards est complètement parano et orgueilleux en plus d’être niaiseux et horriblement moche. Il veille au grain à ce qu’un minimum de monde à Gran Bahama ne soit au courant de ses p’tites affaires, pantoute ! C’est probablement la raison pour laquelle, il t’a ‘recruté’ d’ailleurs… »

Je le laissais déblatérer ses conneries mais en réalité, j’en avais vraiment rien à foutre. Tout le flot de verbiages inintéressants qui sortait de la bouche de Jean Charpentier commençait à me filer un mal de crâne atroce. J’en avais rien à secouer si y avait encore à notre époque des gonzesses assez connes pour se faire bourrer la cervelle et le mou par des connards comme Richards. Elles n’avaient probablement que ce qu’elles méritaient à trainer aussi près de minables dans son genre. Je n’avais qu’une hâte, déposer cette caisse de champagne et me casser fissa pour vaquer à mes projets. Ça n’est pas que l’envie de tout laisser en plan et me tirer avec mon passeport et mes thunes ne me traversa pas l’esprit mais j’étais persuadé que Richards nous attendais en bas avec son arme aussi comme revivre l’expérience de régression lémurienne ne me bottait pas plus que ça, je mis un point d’honneur à tenir mon engagement.

Nous arrivâmes après moult effort au niveau d’une passerelle dans le prolongement du colimaçon. Il y avait un grand black bodybuildé en costard, lunettes noires, crâne rasé, oreillette, qui barrait le passage. Il hésita un long moment avant de nous adresser la parole. La gueule ensanglantée de Charpentier et son accoutrement n’inspiraient pas confiance. Il prit son talkie et marmonna quelques mots incompréhensibles comme pour mieux jouer la parodie de son propre personnage. Il n’y avait probablement personne à l’écoute. L’officier Richards l’avait briefé et il savait que nous allions débarquer d’un moment à l’autre. Il nous fit pourtant patienter une bonne vingtaine de minutes après nous avoir fouillé consciencieusement.

De là où nous étions postés, on pouvait voir l’immense salle principale du casino. Ça n’était pas du tout aussi glamour que je l’avais espéré mais finalement cela collait assez avec la vacuité que Grand Bahama m’avait inspirée tantôt. Sous nos yeux, une gigantesque fourmilière où des centaines de touristes bedonnant et rougeots, en shorts et en tongs fluos, s’afféraient consciencieusement à dépenser toutes les pièces de 25 cents qu’ils collectionnaient dans de grands seaux. La plupart d’entre eux trainait autour des machines à sous, le vidéo poker tout particulièrement décliné selon de multiples variantes. Dès qu’ils dégottaient une slot machine disponible, ils s’y avachissaient pendant de longues heures et la nourrissaient copieusement. De temps à autres, l’une d’entre elles vomissait quelques piécettes un peu comme le font les boulimiques. Il y avait tout autour de la salle des guichets pour se recaver, faire les échanges de devises et acheter ou échanger des jetons. Au centre, il semblait y avoir une zone un peu plus restreinte réservée aux joueurs de roulette, craps, baccara et autres jeux de dés, il y avait de grandes roues habillées de lumière impressionnantes de laideur et de mauvais goût, sensées délivrer des millions de dollars toutes les heures comme dans les show télévisés. Sur la droite enfin, quelques tables de poker et de blackjack faisaient pâle figure face à l’imposante prédominance des machines à sous. Les joueurs y semblaient mieux harnachés, beaucoup portaient des vestes et même des cravates. « Des gars qu’étaient pas venu là pour rigoler », me sembla-t-il, « pas le style de tous ces blaireaux ne sachant pas quoi foutre du pognon que leur fond de pension retraite leur versait tous les mois, débarqués par déferlantes entières, par milliers, des ferries venus de Miami ou de Fort Lauderdale. » Au centre, l’accès à une salle de spectacle fermée par d’horribles rideaux cramoisis ainsi que l’axe principal charriant une foule impressionnante aux innombrables allers et venues. C’était l’axe permettant d’accéder au bar restaurant et au fameux buffet à volonté fièrement annoncé en lettres capitales. Nous ne pouvions pas voir la mangeoire de là où nous étions car il y avait un repliement de couloirs vers la salle concomitante. Toute une faune écarlate émergeait de ce magma d’âmes bouillonnant, il s’agissait des employés, des bahaméens d’origine. On pouvait y distinguer les croupiers et leur rigueur, leur discrétion et leur aisance, de vrais doigts de fée, parfois des joueurs de haut niveau, les techniciens de maintenance des machines à sous à l’affut du moindre dysfonctionnement, ainsi que les assistants clientèle zélés aux bons soins des vaches à lait venues là pour se faire traire à sec. Plus discrets, éparpillés dans toute la salle il y avait des clones du mec qui nous barrait le passage.

Une loi hypocrite autorisait exclusivement les étrangers à participer aux jeux de hasard. Les locaux se trouvaient donc exclus de ces lieux de perdition en théorie. En pratique, la vérification des papiers des joueurs à l’entrée aurait été un barrage psychologique que les directeurs de casinos n’étaient pas près à assumer. La police locale se montrait d’ailleurs peu respectueuse de cette loi visant pourtant à ne pas ruiner une population qu’y avait déjà assez de mal à joindre les deux bouts.

Il y eut quelques grésillements dans le talkie du colosse, puis il nous annonça. « Toi, le clodo, tu dégages ! Toi, le mecton, enfile cette tenue, rassemble tes piètres muscles et porte la caisse au fond de la passerelle à gauche. » Je crus lire comme un sourire sardonique sur le visage de Charpentier. Il n’insista pas pour m’accompagner et je ne trouvais pas cela anormal. Après tout, qu’avait-il de plus à y gagner ? Il s’en sortait déjà bien avec ses 50$ bahaméens qu’il m’avait chourave. Je comprenais tout à fait l’armoire à glace qui ne tenait pas à ce qu’un clochard puant, pissant le sang du cuir chevelu, ne vienne perturber la bonne ambiance qui devait régner en cuisine. Jean n’insista pas, il fit quelques pas à reculons en grommelant des « Ok,ok,ok… pas de malaise, on ne veut pas de mon auguste présence ici alors je me tire, eucharistie! …pas de lézard, tabarouette! » Puis je le vis redescendre l’escalier en colimaçon et disparaitre alors que j’enfilais l’uniforme de service.

Je faisais le décompte des dernières forces qu’il me restait et empoignai la lourde caisse des deux mains. Le vigile ouvrit la porte électronique qui protégeait l’accès à la passerelle puis dans un geste ironique m’indiqua la voie à suivre en me priant de me magner le train. La passerelle était bordée de vitres sans teint. Elle permettait la circulation du personnel sans pour autant gêner les clients. Je me trouvais à hauteur de plafond et de là je remarquais tous un système de rails sur lesquels circulaient une ribambelle de cameras planquées dans des hémisphères teintés. Mes pas étaient chancelants. La caisse était un peu trop lourde pour moi alors je marquai un temps d’arrêt. Au plus je m’avançais, au plus l’odeur des cuisines était incommodante. Je ne su que bien plus tard de quoi il s’agissait.
Peas and Rice, le plat traditionnel par excellence des Bahamas. Prenez pour huit personnes, une cuillerée à soupe d'huile végétale, un oignon coupé en lamelles, un demi poivron vert finement taillé, une boite de jambon cuit, une cuillerée à soupe de sauce tomate, une tomate coupée en tranches, deux morceaux de lard cuit et émietté, huit onces de corned-beef, quinze onces de pois pigeon, deux brins de thym frais, du sel du poivre à convenance, dix onces de lait de noix de coco, six tasses d'eau, de la sauce gravy et trois tasses de riz brun cru. Chauffez l'huile dans une grande poêle. Ajouter l'oignon, et attendre qu’il caramélise. Incorporer le poivron vert, le jambon, la sauce tomate, la tomate, le lard, le corned-beef, et les pois. Assaisonner avec thym, sel, et poivre. Faire bien frire le tout. Incorporer le lait de noix de coco, l'eau et la sauce. Porter le tout à ébullition. Ajouter le riz. Attendre quelques minutes, puis remuer. Couvrir en ramenant le tout à feu doux. Laisser mijoter pendant environ 45 minutes, jusqu'à ce que le riz soit à point. Touiller de temps à autres.

Peas and rice , le plat qui allait constituer la base de mon alimentation quotidienne tout au long de mon séjour. Ce régime aurait été parfait, gustativement parlant, si les bahaméens n’avaient pas eu comme second plat traditionnel la conque, et plus particulièrement sa forme frite en beignet. La conque est une sorte de gros gastéropode marin, ce qui en fait pour moi le truc le plus dégueulasse que l’homme n’ait jamais eu l’idée de bouffer. Certes ce gigantesque coquillage est assez agréable à regarder avec sa couleur rosacée et toutes ses excroissances sur la coquille qui lui donnent un aspect d’arme moyenâgeuse, cependant tout ce qui vient de mer me file la gerbe, particulièrement les crustacés et coquillages. J’ai l’impression de bouffer une sorte d’alien primitif qu’aurait un goût de sperme. L’huile de friture de conque étant recyclée à tout bout de champs, toute la bouffe locale empestait donc le foutre.

C’était bien d’ailleurs d’une porte donnant sur la cuisine qu’émanait ces puissants effluves qui me filaient des hauts le cœur depuis une demie heure, une porte sur la droite faisant face à l’accès que m’avait indiqué le colosse. Ceci me troubla un peu comme cela ne collait pas avec les directives de l’officier Richards mais comme je n’avais pas envie de trop trainer dans le secteur, je décidai de suivre les ordres à la lettre sans me poser de question. Il y avait une sonnette. Je sonnais donc du genou. Une grille coulissa légèrement et j’entraperçu un bref instant un autre garde, le duplicata du premier. Je lui fis un large sourire. Prestement il referma la grille. Un long bourdonnement électronique laissa place à un cliquetis sec et une porte blindée d’une épaisseur exagérément volumineuse pour une cave à vin s’entrouvrit. « Magne-toi le fion, t’es attendu ! », Qu’il m’accueilli les bras ouverts tout en me faisant pénétrer dans un sas. Il effectua une seconde fouille au corps puis actionna son Talkie pour y bafouiller quelque code incompréhensible.

Il y avait une porte capitonnée derrière lui et à hauteur de vue, un hublot. Je ne pus retenir ma curiosité et j’osais donc regarder au travers pour voir ce que le sas protégeait. Je n’en crus pas mes yeux, il y avait là une immense salle toute recouverte de cuir ambré, et sous l’ambiance feutrée de néons verts une table de jeu d’une envergure démesurée. Je crus compter une dizaine d’hommes attablés et un croupier. Il y eu un autre bourdonnement électronique suivit d’un cliquetis et le vigile me propulsa dans la pièce d’une tape amicale et virile. De suite je fus pris de quintes de toux. L’air y était irrespirable saturé de fumée de cigare. Tous les regards se tournèrent vers moi et c’est alors que je compris que quelque chose de pas très net était en train de se dérouler sous mes yeux. Les dix joueurs étaient cagoulés. Ils portaient cependant de bien intrigants badges qui les distinguaient les uns des autres.

« Ah ! Voila enfin le champagne nous allons pouvoir enfin dignement trinquer avant d’entamer notre petite partie... », D’une grosse voix modifiée par un modulateur électronique, un des convives m’interpela me priant de dépaqueter les bouteilles, d’en ouvrir quelques unes et de servir tous les joueurs ainsi que les autres invités, une vingtaine, eux aussi cagoulés et regroupés deux par deux autour de la table. Sur le badge de celui qui semblait être l’hôte de cette réception était inscrit le pseudonyme de Monsieur Banque. Je m’exécutais sans broncher alors qu’il poursuivait son speech.

« Mes chers amis, nous sommes ici réunis car l’heure est grave. Nous vivons une période trouble, une période de confusion. A trop blanchir notre argent, à trop vouloir injecter nos revenus dans les rouages de l’économie de marché en créant des sociétés écran, des fonds de capital risque, des deals avec de grands consortiums et pays, nous avons oublié à quel point nous nous exposions aux fluctuations financières, à quel point nous en devenions dépendants. Soit, pour pouvoir bénéficier de nos trésors en toute légalité, les faire fructifier, avoir pignon sur rue et de fait consolider nos business respectifs, nous n’avions pas vraiment d’autre alternative dans un monde devenu ultra-concurrentiel. Nous avons énormément perdu avec la crise des sub-primes, le cours de nos actions a violement chuté… »

J’avais ouvert la caisse thermoréfrigérée et déplacé plusieurs bouteilles dans des seaux remplis à moitié de glace et d’eau fraîche posés sur une longue table après les avoir débouchées. J’essayais de me persuader que je claquais des dents à cause du froid, ma curiosité semblait cette fois plus forte que le lémurien qui sommeillait en moi et qui attendait le moindre choc émotif pour prendre contrôle de ma conscience. Soit, le service n’était pas compris dans le cadre de la prestation pour laquelle j’avais été embauché, mais je pense que le moment n’était pas opportun pour me risquer à la moindre considération d’ordre syndicale. De même je me gardais bien de crier haut et fort que dans chaque bouteille une dose de kétamine assez forte pour violer tout un pack de rugbymen avait été diluée. J’allais me mettre dans de beau draps mais je sentais les gars tout autour de moi un brin nerveux, et leur annoncer cela à brûle pourpoint pouvait rapidement dégénérer et j’allais être celui qui trinquerait le premier.

Au fur et à mesure que je servais les flûtes aux joueurs et à leurs convives, j’étais de plus en plus horrifié par les désignations sur les badges. A coté de Monsieur Banque, attablés il y avait Monsieur Armes, Monsieur Prostitution et organes, Monsieur contrefaçon, Monsieur extorsion, Monsieur trafic d'influence, Monsieur blanchiment, Monsieur stupéfiants, Monsieur clandestins et Monsieur fraudes et retro-commissions.

« Levons nos verre à la bêtise humaine et à la ruine de nos âmes insignifiantes. », Héla Monsieur Banque en se levant pour porter un toast, « Que la partie de texas Hold’em poker la plus pathétique de toute notre histoire commence à présent. »

J’eus l’horrible impression de participer à une de ces réunions de flibustiers lors du partage de leur butin, une de celles qui avaient lieu autrefois sur l’île après qu’une caravelle marchande ne se soit échouée sur les récifs coralliens. Les capitaines touchaient généralement jusqu'à deux parts, les hommes d'équipages, une part, et tout non-combattant, aux cuisines et aux basses œuvres, une demi-part ou trois quarts de parts. Un capitaine corsaire pouvait, quant à lui, percevoir 40 fois la part d'un homme d'équipage. J’avais lu cela sur le net et il me sembla même ce jour là que les systèmes de répartition pirates avaient quelque chose de plus déontologique et fair play que ceux qui régissaient nos sociétés modernes. Cependant, je me trompais, un jeu encore plus vicieux allait se dérouler devant mes yeux éberlués. Et j’étais à milles lieues d’en pressentir le déroulement. Monsieur Banque annonça les règles :

« Vous avez tous ici en votre possession, représentés par des jetons, tous les fonds toxiques auxquels vous avez souscrits par mégarde ou en suivant de mauvais conseils, toutes vos actions et obligations foireuses dont le cours à dégringolé en somme. Les règles seront simples, à chaque jeu, celui qui obtiendra la main la plus basse remportera tous les jetons sur le tapis. Pour ne pas forcer le sort nous resteront sur une base de mise maximale d’un million de dollar. Les mises minimales seront les blindes qui augmenteront en cours de partie. Vous pouvez vous coucher si vous le souhaitez mais vous reprendrez alors votre mise, ce qui n’est pas forcement dans votre intérêt comme les blindes ne vont cesser de croitre. Il n’y aura donc qu’un seul perdant, celui qui raflera la globalité des jetons car selon les termes contractuels que nous avons signés, il se verra dans l’obligation de payer à tous les autres toutes les actions acquises à 75% de leur cours maximal avant la crise. »


= commentaires =

hum
    le 01/03/2010 à 22:24:29
Dommage, le Hold'em détourné à la fin, ça part un peu en couille...
Cela dit, la donne du potentiel (champagne, police et clochard). Il faut introduire un kangourou.
hum
    le 01/03/2010 à 22:25:02
Et moi j'arrête de boire.
uhm
    le 01/03/2010 à 22:25:23
Ou psas.
Lapinchien

tw
Pute : 7
à mort
    le 01/03/2010 à 23:45:00
ok y aura un slip kangourou dans le 3eme épisode
.
    le 02/03/2010 à 08:38:46
Je suis fan de Lapinchien, voire même amoureux, mais ce texte là j'ai vite décroché. Non.
Inv
    le 02/03/2010 à 10:21:45
Le héros devra rencontrer Franck Mickael et Henri VIII nus dans un jacuzzi.
Lapinchien

tw
Pute : 7
à mort
    le 02/03/2010 à 12:24:49
ok je prends
Lapinchien

tw
Pute : 7
à mort
    le 02/03/2010 à 12:28:47
"un point c'est tout", pourrais tu m'en dire d'avantage sur ton decrochage ? En fait j'essaie de m'attaquer à un texte long sur plusieurs episodes aussi les choses se mettent en place petit à petit.

Je cherche à faire l'oeuvre ultime de notre societe moderne decadente, celle qui prendrait en compte tout ce que veut le lecteur et celle en plus où j'aurais pas à me fouler car le lecteur aura tout trouvé pour moi. Y aura un systeme de vote par SMS tres prochainement.
Lapinchien

tw
Pute : 7
à mort
    le 04/03/2010 à 13:31:52
initiative avortée pour cause de désactivation de compte Facebook, pour cause de réception de plusieurs mails d'intimidation et menaces de procès. Et pour cause de texte de merde aussi, il faut bien l'avouer.

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