Bitengranit - Prologue

Le 20/07/2012
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par Dourak Smerdiakov, Hag, Zone Forum
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Rubriques / Bitengranit, ou l'Invasion des femmes en bois
Démarrage - enfin... - de la publication du projet communautaire Bitengranit. Histoire de ne pas donner le ton, ce prologue mélancolique enchâsse la vingtaine d'épisodes à venir dans un discours de l'homme de pierre en personne, aux réminiscences vétérotestamentaires assumées.
Le soleil se lève, se couche, se lève encore. Rien de nouveau à l'horizon. Le vent souffle au midi, puis au septentrion ; changeant, toujours il tourne, et reprend sa mission. Il courbe les roseaux, fait gémir les forêts, fracasse les navires, emporte les fils de la glèbe. Il n'est jusqu'aux plus hautes montagnes qu'il ne rabote et n'emporte au néant, car la rosée fugace et la chair putréfiée sont tôt ou tard rejointes, dans le tourbillon des vaines recompositions, par le schiste friable et le dur corindon. Toujours, cela fut ; toujours, cela sera. Rien de nouveau à l'horizon.

J'ai vu tout ce qui se fait et se refait ici-bas, sempiternel recommencement. Les hommes se griment en dieux pour mieux mimer les singes ; leurs civilisations culminent puis culbutent ; à la fin, c'est toujours le viol et la razzia.

Moi, Bitengranit, j'ai été roi sur la terre. J'ai quêté la sagesse futile, découvert les émois navrants, pleuré l'amour illusoire, cédé à la colère imbécile et pourchassé les rassasiements éphémères. Dernier possesseur du bois et du rocher, j'ai connu la gloire absurde et l'authentique solitude. Mais quand le vent patient m'aura moulu, renvoyé à la poudre du désert, lorsque sera venu sur terre le temps des rats, nul ne se souviendra de mes oeuvres.

D'ailleurs, qui se souvient de mon bon père, très savant, si peu sage, que l'on voulait dément, qui se voulait démiurge, et qui fut si humain que l'humanité ne lui survécut guère ? Venez, approchez - vous, les rats -, disposez-vous en cercle, curieux et circonspects, autour de ma piteuse minéralité que burinent les millénaires, et écoutez ! car voici une histoire belle, triste, et morale : celle du professeur Blanquettestein de Vaux, bipède à station verticale, comme vous omnivore, qui vit sa fortune s'accroître puis choir, comme sa bite de mammifère - et les vôtres -, au gré d'une existence de frustration et de rancoeur, d'emportements hasardeux et de sordides frénésies, en ces temps reculés dont l'écho se tarit, que colporte le vent, inlassable et indifférent...