LA ZONE -

Gillou, une haine ordinaire.

Le 10/12/2015
par LePouilleux
Lorsque mon patron me l'a présenté, j'ai d'abord pensé que c'était un débile léger. Il avait deux petits yeux de fouines gris clairs qui, aspect dérangeant pour qui n'y était pas habitué, ne clignaient jamais. Son regard et sa face étaient agités par une foultitude de tics. À tel point qu'on se demandait quelle machine infernale pouvait bien être en action à l'intérieur de son crâne. Il y avait d'ailleurs une disproportion évidente entre sa tête d'hydrocéphale, son cou aussi fin qu'un cône en carton de papier toilette, et le reste de son corps. On le trouvait d'emblée ridicule d'aspect général.
Lorsqu'il ouvrit la bouche, en plus d'un bégaiement assez prononcé, je reconnus un fort accent dauphinois. Il se contenta de m'éructer (je pense que ce verbe est proprement adapté à sa façon de parler) à la figure quelques phrases simples ponctuées d'un « hé !» que je n'avais entendu jusque là que dans les territoires les plus perdus de la ruralité. « C'est toi l'nouveau ? Hé ! » ; « Va falloir travailler, heing ? Hé ! », ; « J'suis déçu qu't'es pas une fille. Hé ! »; « Comment qu'tu t'appelles ? Hé ! ». La première fois que je l'ai vu donc, j'en appelais déjà à toute ma charité chrétienne pour ne pas le mépriser déjà. À vrai dire je ne suis pas chrétien, mais je m'imaginais tel pour que ce soit plus facile.
Gillou, son problème, c'est qu'il était alcoolique. Cela expliquait la plupart de ses tares physiques d'ailleurs. Moi des alcooliques de mon âge j'en connaissais. Certains avaient passé un petit séjour à l'asile ou en cure, certains s'étaient calmés, et puis d'autres je n'en entendais plus parler du tout. Mais un alcoolique chronique de cinquante-cinq ans, c'est quelques chose. C'est là qu'on voit que l'éther c'est vraiment la petite mort, le truc qui te détraque au fur et à mesure, le truc qui te loupe pas avec le temps. Les patrons étalaient ses heures de travail dans la journée, fallait pas qu'il soit inoccupé trop longtemps, sinon il s'arrosait le foie. Faut dire qu'il ne parlait à personne, ici tout le monde était anglophone, et moi, je le supportait pas assez pour faire la conversation en dehors des heures de boulot. Il aimait pas la montagne, ni lire, ni regarder la télé. Il lui restait que la bouteille et les blancs secs qu'il s'enchaînait dans les cafés du coin pour lui enlever le petit goût de merde de sa vie bien chiante. Quand il ne buvait pas il traînait dans le camping comme un fantôme, en regardant toutes ces familles heureuses, les yeux grands écarquillés par tout ce bonheur éparpillé autour de lui. Lui, sa seule famille c'était sa mère et son père qu'il ne voyait plus, pas de femme, pas d'enfants. Je me demandais à quel moment pouvait remonter son dernier moment de tendresse avec une personne non rémunérée pour cela. Quel terrible sentiment d'injustice il devait avoir face à la vie. Gillou, si tu savais comme je te remercie, ces moments où il faut faire des sacrifices pour assurer un peu de son avenir, ces moments où il faut passer par dessus les obstacles de la vie. Oui, c'est à toi que je pensais à ces moments là, dans ma tête cette phrase résonnait: « Non, je ne terminerai pas comme Gillou ! ».

Je n'avais jamais vu un être humain avec autant de vices. C'était en fait davantage à un animal qu'il faisait penser. Lorsqu'il venait vers moi pour discuter, ses lèvres bougeaient toutes seules avant d'émettre le moindre son. J'en avais rien à battre de ce qu'il me disait, pire il me parlait trop près du visage, ce qui était angoissant et éveillait en moi des réflexes hygiénistes. Tout en détournant la tête je cherchais vainement une occupation pour disparaître de son champs visuel. Ça voulait dire « casses-toi tu pues » en langage poli. Au bout d'un moment, devant mon peu d'entrain à la camaraderie, il s'en allait énervé. Généralement il ressortait une ou deux heures plus tard de son appartement, complètement saoul.
Le matin il fallait le voir avec ses seaux pleins d'eau et ses balais lorsqu'il nettoyait le sol avec ses mouvements d'agité, toujours revêtu de son imper' trop grand dont la capuche lui retombait sur les yeux. Oui, c'était mieux, ainsi la clientèle ne remarquait pas son regard de fou furieux. D'ailleurs j'étais persuadé qu'on lui avait donné ces horaires ingrates afin que les gens venus en famille ne le croisassent pas. Il fallait cacher la bête. Il y mettait une telle énergie à astiquer et à récurer : on aurait pu penser que petit il avait été dressé pour ça, qu'on l'avait fouetté durement pour qu'il répète ces mouvements inlassablement sans le moindre signe de lassitude. Souvent, je l'observais de la fenêtre du petit magasin du camping où je tenais la caisse. Il se parlait à lui-même, se donnait des ordres, des conseils, s'engueulait même. C'était ses grognements à lui. C'est sûr qu'il posa beaucoup de problèmes aux maîtres lorsqu'il était saoul et qu'il se montrait un peu trop au grand jour, mais c'était un honnête travailleur. Le seul qui ait accepté de récurer les chiottes sept jours sur sept, de quatre à sept heures du matin. Moi, son boulot de bête, je n'aurais pas été capable de le faire.

Ses horribles yeux métalliques et agiles cachaient tout de même une certaine forme d'intelligence, mélange de méfiance et de cupidité. Mon patron disait toujours à propos de lui, comme on parlait du vieux chien de maison que l'on est sur le point d'abattre : « Il est peut-être pas très net dans sa tête, mais il observe, le salaud, puis il écoute aussi. » C'était un personnage parfaitement célinien : une bassesse à choquer les honnêtes gens, mais un esprit malin et vicieux avec ça. Il se trouva qu'il était jaloux de ma situation. Je travaillais auprès de la clientèle au magasin et au bar-restaurant, et le nettoyage des waters ne m'était échu qu'aux horaires de l'après-midi. Je m'entendais parfaitement avec les touristes anglophones, j'étais ami avec la plupart des gens du village, et je passais ma journée de pause à courir la montagne ou à bronzer à la piscine municipale. Bref, sans aucune orgueil je pouvais dire que mon petit épanouissement lui brûlait la gueule comme un soleil trop ardent. Il m'avait donc déclaré une forme de guerre larvée dès les premiers jours. Guerre que je ne détaillerai pas puisque faite de petits sous-entendus pitoyables sur ma supposée fainéantise, sur ma lenteur, sur mon manque d'organisation, remarques futiles uniquement destinées à me saper le moral. C'est que cette sale bête essayait de mordre. L'ordre naturel devait être restauré. Aussi, mettant un peu trop rapidement à l'épreuve ma fausse charité chrétienne envers lui, je craignais qu'elle ne cédasse trop violemment.

Tout ce que je peux dire c'est qu'un jour je mis fin à toute forme d'agressivité de sa part en le coinçant au fond de la cuisine du restaurant, couteau à la main, lorsque les maîtres étaient partis se coucher. Son esprit fourbe avait imaginé qu'il pouvait s'amuser avec moi du fait de mon extrême politesse. Maudits soient ces simples d'esprit qui pensent que tout être ayant un minimum de manières et une gueule d'ange leur laissera tout passer. Bien au contraire moi je n'ai rien à prouver par l'agressivité. Je sais qu'il me suffit d'être en colère une seule fois pour qu'on me laisse tranquille. Ce brusque changement dans son regard, lorsqu'il avait vu le couteau dans ma main, et que c'était pas pour de rire Gillou « Hé ! », comme tu disais. Ce petit moment de flottement où dans ma tête était suspendue cette pensée « Moi vivant, toi mort ». Gillou, ce sont des petites merdes dans ton genre qui font que des êtres aussi banal que moi peuvent atteindre l'ordre divin pendant quelques instants. Et toi, lâche, par la peur d'avoir ton ventre ouvert du nombril et sternum, tu me laissas tranquille.

Nous étions dans une vallée profonde, en plein cœur des Alpes. Il y avait un point d'entrée, puis une route qui traçait sur une bonne dizaine de kilomètres avant de s'éteindre, après il fallait continuer à pied si on voulait aller quelque part. Le décor était monumental avec ces pics qui tapaient dans les deux-mille à trois-mille mètres de haut de part et d'autre de la vallée. Il n'y avait que trois villages, et j'avais constaté que dans toutes ces localités les serveurs et les gérants de bar connaissaient Gillou. Il n'avait pas tardé à se faire une petite réputation. Un serveur l'avait viré de sa terrasse parce qu'il draguait des jeunes filles de 15 ans. On l'avait vu faire des avances à une mère de famille devant ses enfants. Une serveuse l'avait giflé parce qu'il lui avait fait des propositions indécentes. Moi-même je l'avais déjà vu baver littéralement en me racontant comment il avait trouvé une culotte de femme dans les douches un bon matin, impossible de savoir si il l'avait jeté ou si il l'avait gardé précieusement. À plusieurs reprises il avait émit devant moi et d'autres personnes des commentaires sexuels sur des filles à peine formées, entre 13 et 15 ans : elles l'excitaient. La perversité sexuelle de ce demeuré me semblait ainsi être le point final de la longue liste de ses vices. Elle ne me choquait même plus, il m'avait dépucelé de la bassesse humaine. Un vieux charpentier du coin m'avait même assuré que Gillou lui avait dit qu'il avait fait de la prison, sans préciser pourquoi. La rumeur était là, mon collègue était un ivrogne et un prédateur sexuel. Rumeur préjudiciable dans une vallée aussi fermée que celle-ci puisque quelle que soit la direction dans laquelle irait Gillou, il trouverait un montagnard pour se rappeler qui il était aux yeux de la communauté : un monstre à abattre. Il s'était aussi répandu le bruit que j'avais moi même eu de nombreux démêlés avec lui que j'étais en quelque sorte son principal rival, on m'avait proposé de l'attirer un peu à l'extérieur du village. Plusieurs hommes de la vallée, honnêtes travailleurs, étaient déjà volontaires et enthousiastes pour préparer coup d'éclat. On aurait dit qu'ils attendaient mon accord tacite pour passer à l'action, car j'étais le seul à vraiment le connaître ici. Ils avaient déjà imaginé un tas de modes d’exécution, tous plus sordides les uns que les autres. Leur proposition était tentante...

Je me suis ainsi découvert que le haïr et le punir me faisait du bien, et ferait du bien à notre communauté. Il avait son rôle à jouer : celle de la bête qu'on traque et que l'on chasse. Pour la première fois de ma vie j'avais décidé que je pouvais tuer quelqu'un, comme ça, juste pour le plaisir. Que la valeur de sa vie était tellement nulle que je n'aurais eu aucune dette d'aucune sorte vis-à-vis de la société, jamais. Peut-être même qu'au bout de quelques années on me fêterait en héros, tel un Persée moderne, celui qui a tué le monstre.
Un être aussi dégoûtant, on prend du plaisir à le déchiqueter morceaux par morceaux. Il y avait eu un côté païen dans la façon dont on lui avait arraché les parties génitales pour les jeter par terre, comme un rituel de fertilité, ces marques de brûlures qu'on avait tracé sur son corps avec nos bâtons enflammés, des incantations magiques, ses yeux qu'on avait crevé, un rite divinatoire, et son corps qu'on avait balancé en morceaux sanguinolents dans le torrent, une offrande au dieu des eaux bruyantes qui emporte tout et qui purifie notre vallée. Je me rappelle, ce soir là, il y avait eu des femmes et des enfants, tous avaient ri en le voyant se tordre comme un ver. Tu nous avais apporté du bonheur, Gillou, une sorte d'unicité spirituelle et charnelle. Tes cris avaient été immenses, ils s'étaient élevés jusqu'aux branches les plus éloignées de l'arbre céleste, ils nous avaient bercé dans une ivresse collective dont la mémoire se perpétuerai de génération en génération. René Girard aurait sans doute écrit son meilleur livre sur Gillou et le bouleversement qu'il provoqua en moi en cet été 2014.

Gillou, j'avais aimé immodérément une fille quand j'avais 17 ans. À tel point que j'avais cru que j'allais m'ouvrir les veines, sans déconner j'ai failli en crever. Mais toi, oui toi, tu m'as appris la haine, la vraie, celle qui s'insinue peu à peu dans les veines, qui attend patiemment que la colère tombe comme la foudre pour tout évacuer. Comme j'erre dans les rues le soir, je vois ces êtres chancelants, pris par l'alcool. Pas un n'a ta démarche d'homme ivre, Gillou. Heureusement, à l'ombre des lampadaires, leurs visages semblent être pris des même tics. Plein d'espoir j'entame la conversation avec eux, je veux voir si leur crasse mentale est digne de la flétrissure de ton esprit. J'espère toujours que leur sale vie les a taillé en chef-d’œuvre d'avilissement. Et lorsque j'en tiens dignes de ce nom, dignes de toi, je les emmènent sur ces parkings sauvages pour un motif quelconque, souvent bien sale pour qu'ils puissent me suivre ces monstres humains, et je les arrose d'essence, ils ne sentent rien ces cons, leurs sens les trahissent jusqu'à la mort, et je les allume comme des fagots, si tu imaginais l'odeur de porc grillé, puis je sors ma batte en métal, et je les termine comme ça par terre, un gros tas de cendre qui pue la merde.
Faut juste faire gaffe à pas se cramer, « Hé! ».

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Lunatik

Pute : 1
    le 22/12/2015 à 14:52:53
Pas de tripes à l'air en 3D, pas de sodomie à coups de menhir, pas d'énucléation... finalement, à part une conjugaison à la limite de l'insoutenable, c'est du Disney sans grand intérêt.

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