LA ZONE -

Heraklès Navet et la normalisation du storytelling (10ème partie)

Le 08/03/2016
par Lapinchien
[illustration] Résumé des épisodes précédents : Un serial killer sème la panique en huis clos dans l'immense manoir de l'île de Tristan da Cunha où se déroule un colloque d'experts médico-légaux ayant viré à l'orgie. La sensation de claustrophobie est décuplée par un terrible ouragan qui coupe l'île du reste du monde. La narration a été trouvée morte puis l'accroche a sauvagement été assassinée, le suspens et l'intrigue ont succombé, le cliffhanger de la fin de la première saison complètement massacré. Heraklès Navet et le captain Waterloo, mènent l'enquête alors que l'ensemble des étapes classiques qui ponctuent le déroulement d'une histoire sont éliminées les unes après les autres.
La duchesse épilogue avait entièrement raison : pour survivre, il allait falloir tenir le lecteur éveillé. Chacun des personnages devait donner le meilleur de lui-même. Le but du serial killer en tuant consécutivement chacune des étapes classiques qui ponctuent le déroulement d'une histoire était de faire capoter la nouvelle aventure d'Heraklès Navet, de la faire exploser en plein vol, de perdre ses fervents lecteurs habitués voire même accros à une mécanique littéraire bien huilée et sans faille. Tous ces fans de la première heure fermeraient écœurés le bouquin en plein milieu de leur lecture puis ils le jetteraient à la cheminée et en feraient d'horribles critiques sur les réseaux sociaux, réclamant qu'on mette subito le reste des invendus voire même la totalité des stocks au pilon, puis que les imprimeries et la maison d'édition soient purifiées par les flammes. Qu'adviendrait-il de l'auteur de bestsellers, Agathe Mahometie, le brillant esprit qui avait accouché du personnage Heraklès Navet et de l'ensemble de ses aventures ? Un lynchage ? Un croc de boucher, une exécution sur la place publique, assommée à mort par un chandelier ?

La duchesse avait repris en main la mise en scène et tentait tant bien que mal d'insuffler un peu de ferveur et de courage auprès des autres personnages, pour qu'ensemble, ils limitent la casse. Elle avait le secret espoir de renflouer le navire à la dérive mais au fond d'elle-même savait que c'était trop tard. Elle ordonna au jumeau Twist qui avait pris le reste des suspects vivants en otage dans la bibliothèque, d'y mettre un peu du sien, de reprendre la scène des menaces en y insufflant plus de folie furieuse et de cet humour so british qui l'avait de suite démarqué des autres suspects dès sa première réplique. Le jumeau Twist réajusta la tête de Lord Cliffhanger qui pendouillait au bout de son sabre, puis monta un tantinet plus haut sur la pile de livres qui tenait lieu de barricade à l'entrée de la bibliothèque condamnée puis il reprit ses menaces en prenant soin de surjouer la furie et de bien faire ressortir son regard pour donner l'illusion que ses yeux perdus dans le vide étaient exorbités et injectés de sang.

En brandissant la tête du Lord en direction des suspects cloitrés dans la bibliothèque, il allait les effrayer et brosser pour chacun d'eux un portrait au vitriol.

- "Mais cessez-donc !", Hurla Navet, "C'est à moi d'humilier les suspects de mes aventures et à moi seul !" Mais plus personne n'écoutait le détective dépassé par les événements alors le jumeau Twist entama un périlleux exercice d'improvisation. En même temps, il en avait gros sur la patate alors peut être qu'en suivant les consignes de la duchesse, les mots viendraient tout seuls ? Il se tourna d'abord vers la duchesse et pointa le sabre au bout duquel la tête de Lord Cliffhanger était embrochée, en sa direction :

- "Commençons par vous duchesse épilogue !", Balbutia-t-il en tremblotant, "Depuis le début, vous jouez l'ingénue, la veuve éplorée contre qui le sort s'acharne puisque votre fille, l'accroche, est massacrée par le serial killer, et puis soudain vous vous transformez en hybride d'Evita Peron et Aung San Suu Kyi puis reprenez en main toute l'investigation du début en lançant vos propres théories et allégations qui s'avèrent justes de surcroît et..."

La duchesse le stoppa net : "Non mais qu'est ce que vous faites ! Vous êtes retardé ou quoi ? C'est pas du tout ce que je vous ai demandé. Je vous prie de faire le pitre et non pas de me prendre mon rôle de suspect revêche et rebelle qui redéroule tout le fil de l'intrigue pour mener l'investigation à sa manière. Est ce que je me met à décapiter aléatoirement des suspects et à menacer des gens, hein ? Est ce que je vous vole le rôle du fou qui pète un cable ? Mais on est entouré d'incapables ! Vous ne voulez tout de même pas que je vous souffle vos répliques tant qu'on y est ?"

C'est alors qu'il y eu un coup de théâtre, le second jumeau Twist que personne n'avait remarqué, puisque tout le monde était happé par la dispute qui dégénérait entre son frère et la duchesse, s'était lentement approché de la barricade. Il prit soudain son élan puis fit un saut de cabri sur le canapé de style art déco avant de se catapulter en direction de son frère. Il y eu un éboulement de la pile de livres qui tenait lieu de barricade improvisée et c'est alors lorsque qu'au beau milieu de la poussière soulevée par toutes ces vieilleries entassées, on put apercevoir le second jumeau Twist assommer son frère à l'aide d'un grand grimoire. Le sang giclait abondamment mais personne ne pouvait l'appréhender tant la frénésie l'avait gagné.

- "Tu es le middle Twist ! Tu es le middle Twist !" , vociférait-il alors qu'il achevait son frère dont la calotte crânienne avait explosé et dont la moitié du cerveau s'était déversé sur les lattes en ébène verni de la belle bibliothèque.

Encore une fois, une nouvelle étape classique ponctuant le déroulement de l'histoire avait été sauvagement massacrée indirectement par le serial killer, toujours dans l'ordre chronologique de leur succession conventionnelle. Ce premier retournement de situation avait été particulièrement calamiteux et exécrable, inexistant par tant de médiocrité, mort.

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