LA ZONE -

Heraklès Navet et la normalisation du storytelling (14ème partie)

Le 14/03/2016
par Lapinchien
[illustration] Résumé des épisodes précédents : Un serial killer sème la panique en huis clos dans l'immense manoir de l'île de Tristan da Cunha où se déroule un colloque d'experts médico-légaux ayant viré à l'orgie. La sensation de claustrophobie est décuplée par un terrible ouragan qui coupe l'île du reste du monde. La narration a été trouvée morte puis l'accroche a sauvagement été assassinée, le suspens et l'intrigue ont succombé, le cliffhanger de la fin de la première saison complètement massacré, le middle twist à son tour a rapidement été exécuté, une digression s'en est suivie, terrassée avant même d'être entamée, une fausse piste prometteuse sacrifiée sur l'autel de l'inanité, un climax et sa petite mort vite expédiée. Heraklès Navet et le captain Waterloo, mènent l'enquête alors que l'ensemble des étapes classiques qui ponctuent le déroulement d'une histoire sont éliminées les unes après les autres.
A priori, la bibliothèque du complexe hôtelier n'était pas conforme aux normes anti-incendie. Pas le moindre extincteur, pas la moindre borne et lance déroulable, et comme par hasard pas la moindre trace du détecteur de fumée que nous devrions tous avoir installé chez nous depuis le début de l'année. La barricade bloquant l'entrée s'était embrasée en quelques secondes et les flammes dépassaient plusieurs mètres de hauteur. Miss Point-de-non-retour, sur un coup de tête avait flambé son époux autoritariste, Mister Climax, à la vodka, probablement un de ces fameux divorces à la Russe. Le corps du mari qui n'avait même pas eu le temps de se débattre et couiner n'était déjà plus qu'un tas de cendres. "Ashes to ashes, dust to dust" ce n'était pas simplement un petit hommage au regretté David Bowie mais bien la réalité pour bon nombre des corps calcinés des suspects morts en quelques minutes consécutivement les uns après les autres dans cette maudite bibliothèque. Du charnier improvisé s'élevait une fumée noire nauséabonde, le bourgeois braisé n'est pas un met bien délicat, trop gras, il caramélise trop vite et puis sa vie dissolue contraint son corps à faire des réserves de souffre qui se métabolise dans les capitons du moindre recoin de ses organes boudinés, et de fait, lorsqu'il brûle le bourgeois dissipe une insupportable odeur d'œuf pourri. C'est notoire, communément admis, dans les manuels scolaires même quand on prend soin de bien chercher. Le bourgeois en combustion pue le dioxyde de souffre donc l'œuf pourri et d'ailleurs les crématoriums le savent bien puisque lors d'une crémation de bourgeois, ils ajoutent des sas supplémentaires, des filtres dans la cheminée, de l'encens, du charbon pour absorber les émanations gazeuses et vident dix demi-douzaine de vaporisateurs de Febreze, ce produit dégueulasse qui évite aux gens dégueulasses de faire le ménage, et qui nous fait croire qu'il neutralise les mauvaises odeurs alors qu'il ne fait que les couvrir. Et tout ce déballage technologique n'est là bien entendu que pour épargner aux familles bourgeoises de rendre un dernier hommage à leur proche décédé tout en ayant à porter des pinces à linge sur le nez. Ce serait ridicule d'avoir à imposer ce type de rituel païen à des gens à la culture et à la pratique religieuse bien ancrée dans leur quotidien.

Quoi qu'il en fut. ça cramait bien. La barricade bloquant l'entrée de la bibliothèque ressemblait à présent à un autel sacrificiel de secte millénariste. Quelques flammèches pourléchaient les tapisseries et boiseries ornementales. De l'art déco qui brûle c'est un spectacle des plus envoûtant. Mais ce n'est pas tant parce qu'ils étaient captivés par l'étrange chorégraphie des flammes que les quelques rescapés ne tentaient pas de fuir en prenant leur jambe à leur cou, mais bien parce que Miss Point-de-non-retour probablement embourbée dans la folie passagère, qui aurait dû la traverser pendant la fraction de seconde qui lui avait permis de mettre un terme à son contrat de mariage, avait décidé qu'elle s'imprégnerait en elle un peu plus durablement.

Miss Point-de-non-retour bloquait en effet l'accès vers les imposantes portes de la bibliothèque qu'il aurait fallu défoncer à la hache pour avoir la moindre chance d'échapper à ce brasier puisqu'il n'y avait bien entendu pas d'issue de secours. Elle avait l'air déterminée à voir cramer tous ces petits bourgeois et aristocrates qu'elle tenait à sa merci. Elle qui certes était une parvenue et qui avait souffert de l'indigence toute sa jeunesse dans les rues poisseuses de Londres à une époque post-Victorienne qui n'avait pourtant pas même avec l'arrivée de l'éclairage public et du soi-disant progrès pour tous, su retirer tous ces Jacks éventreurs des rues de White Chapel où elle tapinait depuis l'âge de 3 ans et demi pour assurer sa subsistance d'orpheline. Elle avait dû t'en sucer des chains et des furlongs, des miles et même des leagues, de bites londoniennes et particulièrement de micropénis bourgeois pour espérer un jour sortir de la crasse, de la pauvreté et de la famine. Mais elle avait réussi, elle s'en était sorti malgré tous ces jacks éventreurs qui courraient les rues nuit et jour, elle avait survécu et même réussi à séduire son fils de pute de Mister Climax dont elle allait à présent hériter de l'intégralité de la fortune et la dilapider avec son amant qui n'était autre que Mister Final Twist, et c'est bien entendu pour le retrouver sur l'île de bagnard sur laquelle il avait été exilé petit et non pas en suivant les conseils de tripadvisor et bookingmescouilles point yeah, qu'elle avait planifié un voyage morbide avec son époux sur l'île de Tristan da Cunha.

-"Bon sang !", chuchota discrètement Héraklès Navet à sa rivale mais néanmoins nouvelle acolyte d'investigation, la duchesse Epilogue, "N'avez-vous rien remarqué, ma très chère ?"
-"Ben ça chauffe, mais pas tant à cause du feu qui dévore la bibliothèque", Rétorqua la duchesse, "Mais bien par une sorte de résurgence absurde de la narration, une sorte de narration débile comme celle des télénovelas brésiliennes."
-"Vous avez raison, très chère duchesse !", Repris Navet en chuchotant de plus belles, "Mais cessez-donc d'anticiper mes conclusions trop hâtivement, il y a quelque chose de plus notable et subtile dont il faut informer le lectorat au préalable... Il semblerait qu'il y ait eu un vrai point de non retour dans cette pitoyable aventure, nous sommes en train de le vivre avec toutes ces révélations improvisées sur un coin de table, certes, mais qui tiennent la route et..."
-"Mais c'est vrai !", Sautilla sur place la duchesse, "Le point de non retour est la seule étape de la narration classique à ne pas avoir succombé et à s'être déroulé comme convenu. Le lectorat va retrouver ses repères. Il va peut-être revenir ?"
-"Je regrette amèrement que le décompte macabre s'arrête si brusquement.", Pesta Miss Catharsis, "Moi qui avait toujours rêvé d'être un personnage dans une histoire de David Lynch. On a presque failli atteindre un surréalisme total et onirique à force de déstructurer le récit. C'est même assez décevant de revenir sur une intrigue aussi convenue, ordinaire et terre à terre."
-"Ouais, ça craint!", Reprit le détective belge, "une histoire de vengeance, de spoliation d'héritage, de mari trompé... un truc bien classique et bien tout pourri."

C'est alors que Mister Final Twist bondit à travers le mur de flammes émanant d'une poutre du plafond qui s'était effondrée devant la barricade. Il venait ainsi de rejoindre sa maîtresse, Miss Point-de-non-retour et l'enlaçait amoureusement.

-"Tant de mièvrerie !", s'énerva la duchesse Epilogue, "C'est vraiment écœurant !"
-"Mes très chères duchesse Epilogue et Miss Catharsis", Entonna le détective belge en bombant son torse comme un coq en pate, "Puisque la narration est revenue, aussi médiocre soit-elle, puisque le point de non retour est passé, il est fort à parier que nous allons avoir le droit à un final twist et je le sens déjà poindre assez minable et mes petites cellules grises ne se trompent jamais..."
-"Mais taisez-vous!", Interrompit la duchesse dans la plus pure tradition Finkielkrautienne, "Mister Final Twist va s'exprimer..."

= commentaires =

Muscadet

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Pute : 0
    le 15/03/2016 à 16:41:27
Tout ce temps, toute cette usure de touches de clavier, toute cette énergie, cette abnégation contre vents et marées, cette détermination de pionnier du Klondike, pour ça.
Quand on pense à la possibilité de canaliser, de faire converger toute cette force vers l'élaboration de textes autrement plus significatifs, on se doit d'être tristoune.

Même Lourdes, quand bien même déserteur, n'a pas traîné à relever un passé glorieux dans les archives.
Que se passe t-il, aujourd'hui ? Folie douce, maniaquerie inarrêtable, court-circuit d'après l'actualité américaine, manque de sauteries à Montpellier, rupture de ban avec un dealer historique ?

Que pense Kasia de cette inquiétante situation ?
Elle-même ne l'a pas lu, mon poisson-banane à couper.

Commentaire édité par Muscadet le 2016-03-15 16:42:58.
Lapinchien

tw
Pute : 7
à mort
    le 15/03/2016 à 18:01:49
je compte bien poursuivre en plus. J'explore le néant absolu et je trouve ça plutôt plaisant. Par ailleurs, à par nous deux, personne ne semble vouloir signer la pétition.
Muscadet

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Pute : 0
    le 15/03/2016 à 18:05:45
Cette solitude est merveilleuse.
Lapinchien

tw
Pute : 7
à mort
    le 15/03/2016 à 18:16:57
monacale. rien ne me plait plus et tu ne sauras probablement jamais ce que tu rates. Peut être au moment de mourir peut être comme chacun de nous. J'anticipe.
Muscadet

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Pute : 0
    le 15/03/2016 à 18:23:30
Idiot !

"Cette solitude est merveilleuse" : la nôtre, maintenant, la pétition, les commentaires.

Espèce de mal-comprenant.
Lapinchien

tw
Pute : 7
à mort
    le 15/03/2016 à 18:26:11
à deux sur une pétition avec toi est moins de la solitude que de la promiscuité.
Curare-

Pute : 0
    le 17/03/2016 à 22:07:01
Lapin

C'est sans conter

Les fantômes dans l'infernale

Il y en a plein mon lapin
Lapinchien

tw
Pute : 7
à mort
    le 17/03/2016 à 22:40:03
je crois que le lapin est enceinte
https://www.youtube.com/watch?v=LB06S53bRcM

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