LA ZONE -

Trêve de Cri, même si la chtouille, ça gratte un peu

Le 23/05/2016
par Mill
[illustration] Aux rares auditeurs familiers de ce Cri poussé par moi-même une à deux fois par mois sur les ondes de Radio Campus, et ce pour que dalle, puisque je rappelle que Radio Campus est une radio associative, une autre façon de dire « fauchée », donc pour le plaisir, puisque du plaisir, j'en éprouve incontestablement à déverser ainsi, à intervalles réguliers, un semblant de bile faussement cynique dans les méandres poisseux de vos conduits auditifs estudiantins. Je souhaite aujourd'hui marquer une trêve, une pause dans ma chronique, que j'espère toujours grinçante, mordante, éventuellement absurde et indubitablement débile à bien des égards, j'en suis conscient, j'assume, c'est pas grave, ça reste toujours moins con que ce qu'on peut voir sur D8.
    
Le Cri de la Chtouille, en effet, n'a pas spécialement vocation à informer, analyser, interpréter les événements de l'actualité, même si je m'en inspire volontiers, mais plutôt à émettre de pauvre ricanements que je souhaite contagieux vis-à-vis de tout et de n'importe quoi, dans un esprit de prise de distance avec le monde réel. Le monde réel m'emmerde à un point, t'as pas idée. Je déteste la réalité, je l'exècre, je la méprise, je la roule en petite boule de papier mâchée et je me la glisse dans le fondement, avant de la digérer par conséquent par le cul, ce qui, en réalité, est impossible mais justement, j'emmerde la réalité et j'emmerde l'impossible.

    
Aujourd'hui, mes amis et autres, je souhaite ôter le masque de la chtouille avant de pousser mon Cri et c'est donc un Mill à nu qui vous cause, en toute bienveillance et sans fioriture d'aucune sorte.
    
Comprenez bien que le sujet qui me préoccupe exige de moi une transparence totale et une confiance partagée de part et d'autre. En effet, il y a deux semaines - ou trois, ou je sais plus, les dates, c'est comme le reste, je m'en fous - l'inénarrable Joey Starr, dont je salue au passage le nouveau couvre-chef de prédilection, a flanqué une gifle à un certain Gilles Verdez, accessoirement journaliste sportif de qualité et chroniqueur médiocre au sein de l'émission torche-cul de Cyrille Hanouna, la mal-nommée « Touche pas à mon poste », émission dont la décence exige de rappeler le plus fréquemment possible qu'elle défie à la fois les normes du bon goût et de l'intelligence, et ce à des heures de grande écoute.
    
Personnellement, quand je prépare le dîner, je préfère m'envoyer un Walking-Dead, c'est plus gouleyant et ça ouvre l'appétit.
    
Je ne compte pas ici me livrer à un rapport circonstancié des faits ayant amené la moitié la plus nerveuse de NTM à balancer cette petite baffe sans gravité - on l'a tous vu, franchement, c'était une chiquenaude et, étant donné le passif de Joey Starr, on est en droit de s'étonner qu'il ne lui ait pas retourné la tronche d'un bon aller-retour en semi-volley. Je ne tiens pas non plus à hurler avec les uns ou les autres en prenant partie pour Joey Starr, dont je souligne que ça fait bien longtemps qu'il ne prétend plus « aller à l'Elysée brûler les vieux » (confère « Qu'est-ce qu'on attend pour foutre le feu ? », à mes yeux le meilleur morceau de NTM), ou pour Verdez et Hanouna qui trouvent inadmissible ce recours à la violence sauvage et incontrôlable propre à l'esprit des cités et des banlieues, soyons fous, extrapolons, et puisqu'on y est, traitons TOUS les rappeurs de méchants teigneux inaptes à la vie en société sans se remettre jamais en question.
    
D'ailleurs, ce ne sont pas les jeunes de banlieue qui sont inaptes à la vie en société mais bien l'inverse, je dis ça, c'est juste pour causer.
    
De même, la réaction à chaud de Cyrille Hanouna, refusant de rendre l'antenne tant que Joey ne s'excuse pas platement me semble avant tout l'expression, certes téléphonée, certes exagérée pour ne pas dire scénarisée, d'un être humain qui profite de son pouvoir sur une chaîne pour imposer son point de vue, forcément orienté. Arthur, lui-même présentateur un rien casse-couilles d'une émission également lobotomisante, s'est ouvertement moqué de la piètre tentative d'Hanouna en le parodiant avec un certain à-propos, et là encore, ce que je vois, c'est de l'humain qui remonte à la surface.
    
Je ne suis pas sûr d'être bien clair alors je reformule.
    
Au-delà de l'anecdote, au demeurant sans intérêt pour qui se refuse catégoriquement à suivre ce type d'émissions - et j'en fais partie - nous sommes en droit de nous réjouir d'une chose : dans ce monde de plus en plus cadenassé par les diktats de la machine à fric, il reste encore des émotions humaines, piteusement, sombrement humaines, capables de transpercer le voile de l'image que nous imposent les prétendus créateurs du monde audiovisuel, en vertu d'une logique à la fois consumériste et exquisement débilitante. Les émotions évoquées ici me semblent évidemment indignes mais là n'est pas la question.
    
Et c'est là que j'ai vraiment envie de me lâcher.
    
La société m'emmerde. Elle nous broie, et quand je dis qu'elle nous broie, je veux dire qu'elle broie en chacun de nous le sentiment d'humanité, tout ce qui nous rend théoriquement supérieur aux animaux et, a fortiori, aux machines : la solidarité, la connivence, la compassion, l'esprit de sacrifice, le partage et une forme d'amour assez particulière qui n'a rien à voir avec la docilité que l'on exige d'un chien ou les câlins que l'on attend d'un chat. Nous sommes humains, oui. Nous sommes teigneux et avides, dépressifs, compulsifs et spontanés, et pourtant, nous sommes aussi capables d'apprendre, de réfléchir, de transiger. Nos cerveaux renferment des trésors d'inventivité et d'imagination. Nous inventons des mots, des concepts, des plaisanteries plus ou moins finaudes, des moyens plus ou moins efficaces d'avancer, de rebondir, de partager, encore et toujours, puisqu'il paraît que nous sommes un animal politique, au bon sens du terme, évidemment, rien à voir avec les incompétents frivoles et hautains qui font semblant de nous gouverner... Nous aimons vivre, rire, baiser, manger et boire, dormir tout notre saoul, parfois même nous aimons travailler, lorsque ça sert à quelque chose et qu'on ne nous épuise pas à grands coups de salaires ponctionnés, d'ambiances pourries ou de harcèlement pur et simple. Nous voulons être nous-mêmes, tous autant que nous sommes, et ce, quels que soient notre sexe, notre origine, notre religion. L'humain en nous veut exister, d'une manière ou d'une autre, il faut que ça sorte.
    
Malheureusement, il nous reste peu d'espaces propices à ce jaillissement. Je pourrais en remplir des pages et des pages, je pourrais vous parler pendant des heures de tout ce qui, dans le monde actuel et dans la société d'aujourd'hui, s'acharne à détruire l'humain chez l'individu : entre les caisses automatiques qui remplacent les caissiers de supermarchés et les caissiers traités comme des robots, les exemples de déshumanisation abondent. En vrac, je citerai les boîtes vocales, les mutations des profs à l'autre bout du pays, les cadences infernales que vivent médecins et infirmiers dans un hôpital public en déliquescence, le traitement des élèves dans l'éducation nationale, la désinvolture des grands patrons qui créent du chiffre en licenciant à tour de bras, le matraquage aveugle de manifestants mineurs par les forces de l'ordre, elles-mêmes épuisées par le manque de moyens et un état d'urgence imbécile, le recours systématique à la grande magie du Net pour gérer les affaires courantes, la disparition, enfin, d'un interlocuteur valable lorsque l'on souhaite s'adresser à une administration...
    
Putain de merde, mais qu'est-ce que c'est que cette société à la con ? Ils nous avaient prévenus, pourtant, les grands auteurs et les philosophes. Entre Marx et Weber, Nietzsche et Marcuse, et Debord, bien sûr, avec sa Société du spectacle... On a tous lu de la science-fiction, à un moment ou un autre, non ? 1984, la Ferme des animaux, le Talion de fer, n'importe quel roman de Philip K. Dick, et j'en passe, y en a plein d'autres. Des myriades de livres qui nous indiquaient les voies de garage, les impasses et les grands précipices. Et je parle même pas des films, entre Orange mécanique, Soleil vert et Bienvenue à Gattaca. On ne peut pas plaider l'ignorance. Nous savions. Et ceux qui nous ont gouvernés, ceux qui nous gouvernent aujourd'hui le savent également. Ils l'ont toujours su.
    
Alors, si vous avez envie de monter sur vos grands chevaux parce qu'un caractériel a giflé un imbécile et qu'un autre idiot a refusé de rendre l'antenne pendant qu'un quatrième crétin se foutait de la gueule du précédent, ma foi, à vous de voir. Tout ce que je vous demande, c'est de rester humain, d'être vous-même et de ne pas m'emmerder quand je m'efforce de suivre mon propre credo : humain avant tout, avec mes défauts, mes bassesses et mes états d'âme.
    
Après tout, le phénomène des Nuits debout, que d'aucuns s'accordent à décrire comme un mouvement, certes hétérogène pour ne pas dire incohérent, retranscrit avant tout la volonté d'exprimer en masse ce besoin d'humanité dont on nous frustre continûment. J'ignore ce que ça va donner, je n'ai rien d'un devin et j'ai tendance à me considérer comme un observateur social franchement passable dans ses conclusions. J'y vois toutefois un brin d'espoir, pas grand chose, une lichette, mais c'est toujours mieux qu'un horizon noir dans un monde défaillant.
    
Je souhaite achever ces pensées vagabondes sur un remerciement.
    
Merci, en effet, au gouvernement actuel, au chef de l'Etat et au premier ministre tout particulièrement pour avoir enfin mis sur pied un traitement efficace contre une maladie grave dont je souffre depuis que je suis en âge de payer une amende, de renouveler une carte grise ou un permis de conduire et de prendre rendez-vous avec un conseiller à Pôle emploi : il s'agit bien entendu de la phobie administrative.
    
Merci en effet pour le 49-3. Merci et bravo ! Grâce à cette magnifique formule, nous n'aurons plus jamais besoin de nous coltiner les mille et une démarches absconses et chronophages qui égayent notre quotidien.
    
Vous n'avez pas votre titre de transport et le contrôleur agite son petit calepin ? Qu'à cela ne tienne ! Un bon 49-3 dans les dents et je voyage gratos, rien à foutre.
    
Votre banque vous refuse un prêt ? 49-3 ! Allez-y, piochez, c'est normal, c'est cadeau.
    
Vous faites vos courses et la carte bancaire ne passe pas ? Pas de souci, j'ai mon 49-3 ! Mais servez-vous, tout va bien, vous êtes couvert !
    
La fille de vos rêves vous résiste et votre carte DSK est périmée. Votre compte Baupin a été bloqué et vous hésitez à souscrire un abonnement Guy Georges ? C'est pas grave, avec le 49-3, tu baises à l'oeil ! C'est comme ça, personne y peut rien, c'est le passe ultime !
    
Croyez-moi, le 49-3, c'est l'avenir. Vous devez absolument vous en procurer un. Moi, depuis que j'ai mon 49-3, je revis.
    
Bonne soirée et, pour citer un grand homme disparu récemment, BANZAÏ !

= commentaires =

David

Pute : -3
Flash ball, flash baffe    le 23/05/2016 à 16:59:44
Sayonara,

l'empereur s'étonne que vous ayez survécu à votre attaque kamikaze, notre maréchal aussi.
    le 23/05/2016 à 23:15:41
Tu écris ça parce que tu es énervé. Et aussi parce que tu n'écoutes pas assez de funk ! (l'autocorrect me propose "punk", ça passe aussi)

https://www.youtube.com/watch?v=-YRkTxTxXBE

https://www.youtube.com/watch?v=afKUsnPlyc4
Dourak Smerdiakov

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Pute : 0
ma non troppo
    le 24/05/2016 à 02:09:10
Présenté ainsi, ça sonne comme un calibre de munition, le 49-3.


(À propos du descriptif, on avait parlé du fait qu'il devrait à l'avenir directement s'afficher en page d'accueil - et non plus en infobulle volante - et qu'il fallait donc tendre vers une limite à 255 caractères.)
Clacker

Pute : 4
    le 25/05/2016 à 19:50:25
Ben ça m'a fait quelque chose. Ca a remué un truc là où je pensais que tout était mort, dans la zone approximative des tripes. C'est le genre de texte que j'aurais pris encore plus de plaisir à découvrir de vive voix.
Est-ce que c'est zonard ou pas, j'en sais fichtre rien et je m'en tape pas mal, je suis content de l'avoir lu.

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