LA ZONE -

Septième chapitre : Viêt-Nam Surnaturel

Le 14/01/2020
par HaiKulysse
[illustration] Elle avait commandé un chocolat chaud et le ciel bleu, le Tzar toujours à la une des journaux comme rubrique mortuaire, était saturé de tyroliens points d’exclamation enfiévrés. Sous le porche de cette grande auberge de jeunesse donnant sur les cimes à conquérir et les wagonnets de charbon que le typhon avait dévasté, ainsi que les chambres du Yellow Submarine, sous ce porche, dis-je, l'air des montagnes farfouillait dans nos oreilles un interlude post-romantique et, séchant à peine au soleil, à cent lieues de s'imaginer repartir en digressions aléatoires, des coups de soleil attrapés pour verdir nos quelques paroles inaudibles, on en avait par kyrielles...

En 2057, à cette époque, troublée donc favorable, de gouailleurs, on n'entendait presque plus ces notes de musique qui ne pouvaient s’éteindre sans le recours au piano, dans le salon de l'auberge, à la tuyauterie actionnée par ses codes frappées...
Elle avait des bras fins ; et dans sa chambre du Yellow Submarine, elle avait emmagasiné d'hypothétiques bouteilles d'éther qu'on risquait au goulot pour embraser des idées sur le monde des mosquées, pour tutoyer aussi les sommets et les secrets que ces gars parcourant sans-gêne l'Orient unifié de leurs pas lents, militaires ou moscovites... ces goujats ne comprenant rien au Taoïsme et aux autres matières spirituelles orientales..

Elle avait aussi des veines violettes ; et on ne les discernait pas sans ulcérer le pianiste de l'auberge de jeunesse qui s'était mis alors, en cette fin d'année 2057, d'apprendre par coeur les partitions de ce bizarroïde piano... Ill y avait aussi, en elle, une latente envie de se nicher sur les rayonnages de la bibliothèque de Lucky Pierre...

Ainsi perchée, proposant comme traduction bancale tous ses bouquins privés de leur récit et de leurs attributs magiques, on l'entendait lire, cette nymphette, les textes oscillants de Lucky Pierre, à tel point que les museaux des bestioles du Viêt-Nam, dans cette nouvelle configuration, ne sniffaient sur le papier que des rails de coke que la lecture de ces dialogues décousus doublait l'effet...


En effet, les monologues de ce désaxé, auteur du cut-up agressif mais universellement et dignement reconnu par ces descendants de Burroughs, participant avec nous aux jeux de mots des ateliers d'écriture d'Alphonse Choplif, les monologues, dis-je, de ce défunt propriétaire du lot numéro cinq, avaient pris de de la valeur et avaient été vendus avec le tout aux enchères.
Des ateliers d'écriture que Angela, Nausicaa et moi-même, après avoir fumé une clope, délaissions pour partir à l'aventure dans les jungles équatoriales du Viêt-Nam ; notre point de départ : les terrasses de cette grande auberge, après avoir été requinqués par des boissons polaires fortifiantes...

Le souvenir de ces enchères pulsait encore dans le crâne de cette jeune fille, se remémorant qu'il n'y avait presque aucune parenté avec les livres de Lucky Pierre et le contenu de cette grande malle, à présent posée sur la moquette de la suite ; cependant on sentait d'avance qu'il y avait des choses harmoniques avec les carnets du lot numéro cinq et les ouvrages poussiéreux de Lucky Pierre : à savoir, le premier des carnets de Choplif, l'inventeur génial, enfermé jadis dans son bureau pour inventer une méthode d'écriture et pour proclamer à tout l'univers, si il voulait bien l'appréhender, l'invention d'une Zone, un espace imaginaire où les zonards métamorphosés en ces êtres spirituellement avancés, se livraient, aux pieds des plates-formes de lancement d'Apollo seize, à des rallyes surnaturels, ce premier carnet de Choplif, dis-je, partageait avec les romans de Lucky Pierre le plan d'ensemble de tout le manoir carillonnant régulièrement quand Angela, alors en voyages pour une durée indéterminée, ouvrait la fenêtre de sa chambre d'hôtel à Venise.

La peau de son visage était encore tendue comme celle d'un tambour, quand elle avait terminé son chocolat chaud et, en parlant de périple urbain puis montagnard, ses paumettes tranchant sans résistance, sans maladie particulière, avec la couleur méditerranéenne des lampes de cette auberge de jeunesse d'où partaient de parfaites volutes bleues, parfumées à l'ethernet, de ses étranges cigarettes, ses paumettes ainsi colorées, elle me confia son désir de se frotter d'un peu plus près à la noirceur des scies circulaires servant aux opérations de Choplif, le fondateur absurde de leur mouvement et même de leur parti politique.

Et de ses yeux, gouttait le sang répandu par ces scies circulaires, ainsi que les instruments chirurgicaux cachés dans la poche de sa fourrures d'hermine ; dans cette flaque de sang, il y avait là la métrique de ce piano vérifiant par son mécanisme prismatique et sophistiqué les appels manqués de cette puérile star du porno...
Et, dans la cheminée, les cendres de ces zonards qui n'avaient pas respecté les doses de potions permettant de se transformer en êtres prestidigitateurs, pouvaient rentrer entièrement dans une blague à tabac.


En effet, en lançant le début de leurs rallyes tendancieux, sur leurs réseaux sociaux, avachis dans leur canapé, obsédés par une grave dépression et cette tenace envie d’écrire leur noirceur, ils étaient tombés sur un os : ces écrivains maudits, qui s'interdisaient de toucher à cette sacro-sainte Marie-Jeanne, récoltée sous les lattes des saloons américains de leur Créateur, Alphonse Choplif, avaient fini par être brûlés sur les bûchers de la Saint Con allumée par des parchemins aux feux mâchant les flammes maniaques... un événement en avril qui fit marcher les douze moteurs aux combustions sanguines des gondoles de Venise.
Ces gondoles ? Synchronisées avec la chaleur des tropiques s'approchant de la fournaise et du festin nu de Burroughs, elles ne se doutaient pas que bientôt elles seraient coulées.

Et, dans le gros bouillon des lagunes vénitiennes, sous les flottaisons de tous ces vautours, des émeutes démoniaques allaient en profiter pour semer la discorde parmi les défunts zonards ; une discorde qui, langoureusement, avait attrapé le virus musical de cet étrange piano que Angela, sans l'air de feindre, jouait à présent...

Et ainsi l'absinthe se mettait à couler avec une touche d'exotisme que Lucky Pierre, silencieusement, décrivait dans ses lignes pressantes, découpées au ciseau, en livrant bataille pour repousser les angoisses de la page blanche.


Huitième chapitre à suivre sur https://www.lazone.org/

= commentaires =

Lapinchien

tw
Pute : 7
à mort
    le 14/01/2020 à 15:15:43
Comme le dit une fable de LaFontaine : "Si tu veux brûler l'ensemble des zonards, commence par toi-même."

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