Hello world

Le 22/11/2004
-
par Guilhan
-
Thèmes / Obscur / Humeur noire
Le premier texte de Guilhan est une humeur noire typique, à la limite du modèle de démonstration : de la vie quotidienne de base sans but, éprouvante et insupportable, un narrateur harassé et prêt à péter les plombs, embourbé dans une normalité de façade qui ne lui convient plus. Le tout très autobiographique. Ici on a en plus des petites touches sarcastiques et un peu d'humour noir. Bien écrit et bien désespérant.
8h30. Le réveil passe sur « on ». Nouvelles à la Radio, petit tour du monde de la misère de mes voisins : licenciement massifs dans le nord de la France, procès du violeur pédophile multi récidiviste ajourné pour vice de procédure, prise d’otage en Amérique du sud, attentat suicide au Moyen-Orient, épidémie porcine en Asie, tremblements de terre au Japon. Mouais on doit arriver au millier de vies foutues…pas mal…en tout cas c’est assez pour se dire que finalement j’ai de la chance d’avoir le privilège de pointer le matin, du coup, je décide de ne pas me suicider en avalant ma langue. Page de publicité de noël…crash du réveil sur le mur. Ils ont faillit me saper le moral avec leurs lutins à la con ! Je pose le pied par terre. Hello world !
8h35. Mon bol de céréale…je suis toujours étonné par l’aspect proche du vomi de ces délicieux grains de riz soufflés une fois qu’ils ont fait trempette quelques minutes dans du lait chaud. C’est décidé, je me met au café le matin dès demain.

8h50. Ma tronche devant la glace, sale gueule ce matin. Putains de cernes…allez on entame la métamorphose en petit citoyen modèle. Se laver. Se brosser les dents. Se raser. Se peigner. Merde c’est toujours pas ça…mais où ais-je planqué mon masque « happy face » bordel ! Finalement je le retrouve…affolant comme je ressemble à quelqu’un de normal vu d’ici.

9h10.Machinalement j’allume mon pc avant de partir bosser. De toute façon je suis en retard. Tiens un mail. Et merde une chaîne de solidarité…une petite fille orpheline unijambiste qui attend une transplantation du cœur. Direction la corbeille. Qu’elle crève. J’inscris par principe l’expéditeur du mail à toutes les listes de diffusions SM et sur le site de la SPA à la rubrique adoption d’animaux exotique. Ca lui fera les pieds. Pas de nouvelles de mes pseudo potes, j’en déduis qu’il y a pas de déménagement ou d’anniversaire avec cadeau commun prévu pour le week-end.

9h15. Vraiment en retard. J’enfile mon manteau en speed et je claque la porte. Ma conne de voisine, le balai qu’elle a dans le cul et son roquet arrogant sont de sortie, il se met à grogner, je me jure qu’un jour je lui collerai un coup de latte. Enfin dehors, première bonne nouvelle de la journée : il pleut. Je m’allume une clope et mon baladeur. Peut-être qu’il se passera un truc sympa aujourd’hui.

9h17. Les batteries de mon baladeur me lâchent. Je finis mon trajet avec le bruit du monde extérieur. Avertisseurs, bruits de circulations, insultes cordiales entre chauffards, mômes qui braillent. Ah ! Le métro, enfin. Ici au moins personne ne se parle, tout le monde tire la tronche, je suis dans mon élément.

9h20. Putain de roumain avec son accordéon, il est trop tôt pour ta musique de merde ! Non j’ai pas de thunes, pis tu vois pas que tu fais chier tout le monde ! Se concentrer sur la vitre. Pub. Pub. Pub. SDF. Pub. Pub…deux lycéennes s’asseyent devant moi et continuent leur conversation comme si je n’existais pas. L’une d’elle ne sait pas si elle devrait coucher avec lui après la soirée de Steph vu qu’ils sont ensemble que depuis trois jours. Mais on s’en branle, fais toi troncher, tombe enceinte, fais toi avorter à coup de batte et ferme ta gueule.

9h30. Changement à Montparnasse. Regardez moi la civilisation comme c’est beau. Tout le monde se marche dessus pour sortir le premier, bouscule le connard qui essaie d’entrer avant son tour, personne n’est épargné, tous les moyens sont bons pour avoir sa place assise dans le wagon. Mais si vous êtes si pressés bande de moutons bouffeurs de merde, bougez vos gros culs dans les escalators au lieu de vous laisser porter ! Et tous ces militaires, ils servent à quoi ? A nous rassurer, à nous protéger ? Avec des FAMAS ? Et si l’un d’eux est mal luné ce matin et qu’il décide de faire un carton ? Durant quelques instants de pure extase je m’imagine de l’autre coté du canon, changeant toute cette foule en pâté pour chien informe, puis je retourne à la réalité en me disant qu’il me faudrait avant cela entrer dans l’armée, le jeu n’en vaut pas la chandelle.

9h50. Je pointe enfin au boulot avec vingt bonnes minutes de retard. Pour survivre à la journée je passe en mode automate. Caissier dans un grand magasin parisien, voilà un job étudiant épanouissant et qui donne envie d’aimer son prochain. Se faire traiter comme de la merde durant huit heures d’affilée par toute une ribambelle de richards exigeants pour qui t’es qu’un pauvre raté qui dois se plier au moindre de leur caprice. Je me demande vraiment si ça fait tellement de bien de chier sur plus petit que soi juste parce que la sacro-sainte loi du « client est roi » le permet. J’imagine que oui. Enfin ils sont pas tous comme ça, y a les « gentils » aussi…ceux qui vous font des blagues qu’ils croient originales, et ceux qui vous parlent un peu de leur vie pour vous montrer qu’ils vous considèrent comme une personne. Sauf que ladite personne elle a pas le choix, elle doit supporter leur conversation creuse en souriant. Ils ont raison au fond, ça coûte moins cher que le psy. Mais qu’ils aillent parler à quelqu’un d’autre merde. Peuvent pas se contenter du « bonjour - merci- au revoir » ?
Je vous parle même pas du responsable des caissiers de l’étage, lui qui a un vrai plan de carrière pour évoluer dans ce magasin qui pue le vieux : dans quinze ans s’il marche bien sur la gueule des autres il sera peut-être responsable chef et aura le droit d’aller lui-même chercher de la monnaie au coffre. En attendant il casse les couilles des employés sur qui il a un peu de poigne.

13h30. Pause déjeuner d’une heure… Bilan de la matinée : 8 remarques météorologiques, plusieurs centaines d’euros manipulées, 14 envies d’homicide avec circonstances aggravantes, 3 antivols « oubliés » par accident dans le sac de vieilles connes tellement liftées qu’elles peuvent même plus cligner des paupières, 7 petites mamies avec leur petit chien-chien, 2 « bonne journée » qui m’ont eut l’air sincères. J’ai vu pire. Je mange mon habituel steak fritte sauce au poivre accompagné de sa toute aussi habituelle cannette de soda, je me promet encore d’essayer les légumes la prochaine fois. Repas plié en quinze minutes, ça me laisse tout plein de temps pour fumer. Youpi.

14h38. Allez retour au poste. Je trépigne d’impatience.

19h30. Fin de journée. Je reprends le pilotage manuel dès ma sortie du magasin. Pas envie de rentrer tout de suite. Je mets les piles que j’ai piqué au magasin dans mon baladeur, ça sera toujours ça de pris. Je passe deux ou trois coups de fil, finalement un de mes pseudo potes est libre…pas de chance c’est celui qui vient de se faire larguer comme une merde par sa copine. Enfin c’est toujours mieux que de picoler tout seul.

20h20. Comme prévu, ça fait quinze minutes qu’il me bassine avec son ex, il a l’air intarissable sur le sujet, j’opine de la tête à intervalles réguliers, ponctuant par un « c’est sûr » de temps en temps. Ce con était amoureux, aïe t’es pas né à la bonne époque vieux…ou pas sur la bonne planète. De mon coté j’entame ma troisième pinte et je commence à avoir une furieuse envie de pisser. Chacun ses problèmes quoi.

22h45.Enfin de retour chez moi…ça tourne encore pas mal dans ma tête. J’aurais p’tetre du manger un peu avant de passer à la vodka. Une bonne douche, un petit coup de cyber intoxication, la dernière clope de la journée, ma berceuse chimique et le verre d’eau qui l’accompagne et au lit. Ah, oui…surtout ne pas oublier de régler le réveil.

22h46. C’est décidé demain je l’avale ma langue.