De passage

Le 25/06/2005
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par Aka
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Thèmes / Obscur / Triste
Un texte sur le viol, sobre et sans débordements de sensationnalisme. C'est sensible et novateur, ce n'est pas un acte uniquement destructeur qui est mis en scène, il se crée une sorte de relation intime entre la victime et le violeur. Bien vu.
Et on est là, en elle, à déchirer ses chairs. Une jupe peut-être un peu trop courte ? Un regard un tant soit peu aguicheur ? N’empêche qu’on est là, en elle. Comme si était la place normale, attendue. Comme si le but ultime de son existence avait été d’accueillir en elle cette chose.
Alors elle ne crie pas. A quoi bon ? Elle reste bien sagement le trou béant à combler comme on l’attend d’elle. Et elle aimerait qu’il la crève à la fin, que ça finisse comme dans les films. Se faire tabasser à mort pour ne pas avoir à vivre avec.
Au-delà de la douleur, elle sent déjà le poids de la culpabilité. Elle l’avait remarqué pourtant. Alors pourquoi n’a-t-elle pas couru ? Pourquoi n’a-t-elle pas appelé ? Pourquoi ne s’est-elle pas défendue ? Pourquoi n’a-t-elle pas castré cette queue qu’on lui imposait dans sa bouche ? Pourquoi ? Parce que c’est comme ça. Parce que ce sont les statistiques. Parce qu’il vaut toujours mieux sauver sa peau que son cul. Après tout, à qui va-t-elle faire croire qu’elle est à une bite près ? Cette situation est somme toute bien banale.
Un amant de passage. La personne dont on ne sait rien avant, et encore moins après. Un peu comme le minet ramassé en boîte : celui dont on imagine les pensées le lendemain matin quand, un peu vaseuse, on essaye de se donner une contenance.
Est-elle la première ? Se souviendra-t-il de son visage ? Eprouvera-t-il de la honte, des remords ? Passeront-ils sans le savoir les mêmes nuits d’insomnies ? Se croiseront-ils dans les couloirs du même cabinet de psy ? Iront-ils vomir leurs tripes au même moment quand le souvenir sera si palpable qu’il en deviendra réel ? Commémoreront-ils la date anniversaire ? Auront-ils des crises d’angoisse similaires à l’évocation d’un lieu, à la senteur d’un parfum, à l’intonation d’une voix ?
Deviendra-t-il lui aussi un adepte du « un peu trop » ? Un peu trop longtemps sous la douche, un peu trop longtemps sans baiser, un peu trop longtemps sans aimer, un peu trop longtemps à vivre aussi sans doute...
A quoi bon se torturer, c’est fini : il est déjà parti. Ce on devenu il à cause d'un moment d’intimité. Cet homme qui, contrairement à tous les autres traversant sa vie, elle n’oubliera jamais.