Obténébration 3 : l'oeil aveugle s'est ouvert

Le 25/06/2005
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par Narak
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Rubriques / Obténébration
Narak achève sa trilogie Obténébration avec ce texte qui offre quelques réponses aux évenements embrouillés des précédents épisodes. Ceux-ci ne nécessitaient pas forcément d'explications d'ailleurs, et celles que Narak nous trouve ne satisfont qu'à demi, mais le ton lancinant et psychopathologique de la série est toujours présent dans ce texte, ce qui suffit à nous le faire apprécier.
Je suis le bras désarmé.
Récemment encore, je ne craignais rien.
J’étais l’ombre, j’étais le prédateur, j’étais la mâchoire

Voilà, maintenant une semaine qu’elles ne se sont pas manifestées. J’ai peur. Je sais qu’elles sont là, tapies dans les interstices les plus improbables. Là où chaque source de lumière a son opposé. Derrière chaque ombre, sous chaque objet, quand j’éteins une ampoule...Partout.
Je les sens partout. Je sais qu’elles ont accès à tout. Elles peuvent se jeter sur moi depuis le ciel nocturne. Jaillir de sous une voiture garée, de sous une plaque d’égout. La moindre personne que je croise peut tout à coup se transformer en une masse informe de tentacules noirs, mourant par la même occasion. Même dans ma bouche close, même dans le reste de mon corps, quelque chose peut a tout moment décider de s’animer pour me déchirer de l’intérieur. N’importe quand. L’abysse est partout. Il est parfois repoussé mais ce n’est que temporaire. La nuit revient toujours. Je ne peut pas leurs échapper ! Quoi qu’il advienne l’abysse me tuera. Il attend pour le moment. Il attend.

J’essaye de dormir le plus longtemps possible en espérant qu’elles me tueront dans mon sommeil.
J’ai essayé de me protéger au début. Je suis sorti il y a trois jours, à midi. Il faisait chaud. Le soleil brûlait dans un ciel tellement bleu qu’il en devenait blanc. L’air était tiède. L’espace d’un instant, j’ai réussi à les oublier. La solution était devant moi, je…
Je me suis imaginé un instant dans ce ciel. M’envolant à toute vitesse vers ce soleil. Mon corps ce mettait à tournoyer lentement, puis de plus en plus vite. La vitesse augmentait encore, jusqu'à ce que le réchauffement dû au déplacement l’air commence à me brûler.
Mais l’accélération continuait.
Jusqu'à ce que, sur tout mon corps, le passage de l’ombre à la lumière, le passage de la lumière à l’ombre soit tellement rapide qu’un fondu s’opérait. Et il n’y avait plus de lumière, et il n’y avait plus d’ombre. Tout ne faisait plus qu’un seul élément indéfini. J’étais enfin en paix.

Je suis allé acheter des néons. Je m’étais dit qu’en en amassant suffisamment je pourrais peut-être rester dans une lumière perpétuelle. J’ai acheté des néons. Beaucoup de néons. Il m’a fallu aussi des générateurs. J’ai passé une journée entière à faire les allers-retours à pied.
Dans la pièce la plus petite de ma maison, j’ai installé la lumière. J’ai fait passer les câbles des générateurs supplémentaires sous la porte. J’avais réussi. J’ai allumé les néons et j’ai passé la nuit dans cette pièce. Je sentais la lumière sur mon corps. C’était merveilleux ! Mes yeux sont restés ouvert pendant que je m’endormais et que mon esprit sombrait.

Quand je me suis réveillé, il faisait noir.

J’ai hurlé.
Pendant des heures. Je ne m’arrêtais que pour reprendre mon souffle. Je me suis étouffé, seul dans mon abri de verre. J’ai frappé contre les tubes de toutes mes forces. Je me suis lacéré le corps contre les débris. Je n’ai pas trouvé la porte. J’ai essayé de me dire qu’elles n’étaient pas obligatoirement responsables de ça. Les plombs avaient peut-être sauté.
Mais c’est impossible. Elles n’auraient jamais laissé passer une occasion telle que celle-ci.
Elles ne disaient plus rien. J’ai attendu que les voix reviennent, comme avant. Comme avant que je… Rien. Silence.
Me suis-je crevé les tympans dans un accès de rage pour être sur de ne plus jamais les entendre ?

Maintenant, j’ai compris qu’il ne servait à rien de lutter. Je suis la proie. Elles jouent avec moi. Le silence, le silence…Terrifiant. Peut-on mourir de silence ? J’ai tellement hurlé, cette nuit où j’ai cru qu’elles étaient revenues, que ma voix a presque disparue. Silence, encore et toujours. J’ai de grandes croûtes foncées sur tout le corps. Les entailles de referment doucement, mais il reste des éclat de verre dans la plupart d’entre elles, parce que je n’ai pas pris la peine de les retirer. A quoi bon…

J’ai cru sentir quelque chose bouger !

Elles sont là.
Elles sont entrées…Non, je déraille. Je tressaille à chaque bruit.
Pourquoi ne me tuent elles pas ? Pourquoi ne me tuent elles pas ! Je les attends !
Pourquoi m’ont-elles abandonné !
J’étais l’instrument !

Je me jette contre les murs. Mes entailles se rouvrent. Le verre s’enfonce plus profond.

Que dois-je faire !



Un temps.

Je sors. Je n’ai plus peur. C’est pourtant simple. Là, les escaliers. Là, la porte. Dehors. Il fait déjà nuit. Je me mords les lèvres et j’attends. J’attend qu’elles viennent me chercher, parce qu’elles viendront. Elles viendront forcément. Ce n’est qu’une question de temps. Dans combien de nuits viendront elles, je me pose la question.

Vous comprenez ? J’ai plusieurs théories là-dessus. Mais aucune n’est vérifiable. Et d’ailleurs, aucune n’est compréhensible. Aucune logique. J’attends qu’on en finisse. Vous comprenez ce que j’essaye de vous dire, n’est ce pas ? Elles viendront. Elles n’ont pas pu m’abandonner ! C’est une évidence ! Il ne me reste qu’à continuer ce qu’elles m’avaient ordonné de faire, mais sans leur soutien.

Ont elles réellement existées ?
Est ce que je n'ai pas tout imaginé ?

Quelque chose ne va pas, j'ai forcément oublié quelque chose, la nuit où j'ai épargné cet homme. Je n'ai pas pu leurs expliquer, mais elles ne veulent pas d'explications. Mais que veulent elles ? La mort ? La folie ?

Oui...C'est ça !

Ma mort...Ma folie !

Votre mort...Notre folie.