Programme électoral 6

Le 14/12/2002
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par Lapinchien
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Dossiers / Programmes électoraux
On salue le premier article de Lapinchien depuis plus de trois mois, hélas sans l'une de ses habituelles images de lapin jaune. L'attente valait le coup puisqu'on tient là un des meilleurs articles lus sur la Zone, sans doute l'un des tous meilleurs de Lapinchien. Ca mélange politique-fiction, humour, subversion, ça vaut vraiment le déplacement. Encore !
PROGRAMME IMPLICITE

Hier j’ai fait un cauchemar. Une nouvelle constitution nous retirait nos privilèges. Une nouvelle république faisait de nous les serviteurs des citoyens, nous n’y avions plus que des rôles d’exécutants. Heureusement çà n’était qu’un cauchemar.
N’empêche j’en ai encore des sueurs froides. J’y ai vu un peuple nous renverser en boudant les urnes, les mécanismes de culpabilisation de l’objecteur de conscience s’effondrer. Ils n’avaient plus peur, il avaient compris qu’ils pouvaient participer en s’abstenant, que personne n’allait récupérer le message sans équivoque qu’ils feraient passer en ne se déplaçant pas, tout du moins sans se ridiculiser. Ce message est évident : Il faut changer les règles du jeu, nous ne vous cautionnons plus !

C’était un cauchemar horrible… il me poursuit depuis et me ronge…Ils s’étaient rendu compte que nous les avions pris pour des moutons de panurge, que nous manipulions les media pour les normaliser, standardiser leurs angoisses individuelles, calibrer leurs espérances , packager le tout dans les emballages nickels qu’étaient nos candidats. C’était horrible, ils voyaient clair dans nos intentions opportunistes… J’ai ressenti la honte,…la honte d’être mis à nu,…mon incompétence affichée au grand jour…

Je participais à une émission politique à une heure de forte écoute quand soudain mes discours consensuels se mirent à m’exploser à la gueule, tous les spectateurs riaient de moi à chaque banalité démagogique que par habitude je lâchais certain de faire mouche. L’ assurance factice inhérente à celui qui perpètre un crime avec préméditation s’évanouissait. Je m’effondrais paniqué… Ils me riaient : « Mais tu nous prends pour des cons ? »

Mes adversaires complices, eux aussi n’en revenaient pas…Chacun de nous était un rouage de cette machine bancale à fabriquer des convictions de réactionnaires. Quelque chose venait de gripper. Cauchemar ! Des lois que je m’étais appris à croire universelles n’étaient soudainement plus vérifiées. Nous soufflions toujours le vent, mais les girouettes se comportaient de manière chaotique… Cauchemar ! Je m’enfuyais du plateau en me cachant derrière mes feuillets…je courrais mais ils devenaient translucides… les spectateurs se pouffaient de ma rougeur écarlate… mes adversaires de débat tentaient de s’échapper aussi, mais plus nous courions et plus nous rapetissions,… la sortie du studio s’éloignait et les rires devenaient de plus en plus forts.

La chair de poule me regagne rien que de vous en faire le récit ! Cauchemar ! Une constitution réactive, flexible et évolutive avait été instaurée. L’ancienne que nous avions réussi à ériger au rang de religion gisait au sol rongée par les nécrophages. Nous les missionnaires, les curés et les papes, …destitués…C’était la débâcle,… pas vu venir… abasourdis… plus personne ne croyait en nous…

Cauchemar ! Ils se mirent à organiser des élections qui ne ressemblaient plus en rien à des concours de beauté. Les candidats étaient des idées, personne pour les incarner ! Les programmes étaient débattus point par point… puis ils désignaient des « politiques professionnels » , assermentés, qui appliquaient sans faire jouer leurs opinions personnelles un contrat signé avec le peuple. Les nouvelles technologies de communication avaient trouvé un écho dans toute cette mouvance. Elles allaient permettre petit à petit de tendre vers une réelle démocratie, sans représentation. J’en tremble… Excusez moi de vous faire partager mes angoisses existentielles, mais je vous rappelle qu’au delà de mon esprit torturé, cette menace commence à se profiler dans notre réalité…

Il est donc temps de réagir tant que nous tenons les rennes mes chers amis…Nous avons le pouvoir, nous sommes les décideurs, en rien des mandataires de la masse… la masse est inculte et infoutue de se responsabiliser ! Je propose par conséquent que cette fois encore nous synchronisions nos programmes implicites pour assurer la pérennité de notre conjuration…

En priorité bien sûr, comme d’habitude, notre plus grand pouvoir… celui qu’on ne nous à pas encore retiré… l’éducation nationale… Nous les formons depuis l’enfance à ne voir qu’une seule réalité pour ne pas se rebeller de leur condition… ils se contentent des miettes par la suite une fois bien dressés… Nous leur dispensons le catéchisme , nous bornons à tout jamais leur vision du monde, pour légitimer notre position dans le système… cela doit durer ! Il faut même le renforcer ! Officialisons de nouveau les cours d’instruction civique , l’esprit citoyen se perd… Il faut conforter leur acceptation de l’existence de certitudes immuables. Charger les programmes ! Ils seront élevés comme des oies, choyés et gavés pour notre confort… et chaque connaissance qu’ils ingurgiteront de manière non critique sera un barreau de plus à leur cage dorée…

Ghettoïsons -les ! Ils aiment la chaleur humaine et les compagnons d’infortune… Perpétuons nos fractions et frictions de façade nous leur renverrons leur reflet… Qu’ils nous aiment ou qu’ils nous haïssent pourvu qu’ils s’intéressent à nous ! S’il s’ennuient, prenons bien soin que se soit toujours à plusieurs… JAMAIS SEULS ! C’est bien trop dangereux. L’ennui est une énergie monumentale ! Ils ne s’en doutent même pas, ils ont bien retenu la leçon… L’ennui induit l’exploration personnelle de l’univers, l’ennui induit le doute et la remise en cause… Tissons des liens sociaux forts… canalisons leur potentiel de réflexion pour qu’il oeuvrent dans notre direction et qu’ils voient en la politique la solution de tous leurs soucis…