Comment perdre les JO : Montigny-le-Platane

Le 02/10/2005
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par Dourak Smerdiakov
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Dossiers / Comment perdre les JO
Une bafouille torchée du coin d'un comptoir dans l'une de nos bonnes cambrousses. Notre narrateur s'emploir à démontrer les vertus de Montigny-le-Platane en tant qu'organisateur des prochains Jeux Olympiques. Oui, j'ai bien dit : Montigny-le-Platane. Un texte qui pue le cognac à plein nez.
Voilà. J'habite Montigny-le-Platane, et je viens d'avoir une idée. Raz-le-bol des jeux olympiques du fric. C'est vrai quoi, la faim dans le monde, le trou dans la couche d'ozone, le prix de l'essence, les terroristes, les éruptions solaires, tout ça, quoi... On a vraiment mieux à foutre de notre pognon. Y serait temps de donner la priorité aux vraies valeurs. Faut sauver l'idéal olympique, puteborgne. Alors, voilà, donc, j'ai une idée. C'est simple : on organise les jeux olympiques à Montigny-le-Platane.
Oui, je sais, ça paraît pas évident. L'endroit n'a pas que des points forts. D'abord, la crue de la Sanldre en 1908 a laissé de douloureux souvenirs dans la mémoire collective, et le nom même de Montigny-le-Platane, de Mexico à Pékin, n'évoque que d'effroyables scènes de ravages apocalyptiques, dont preuve ce cliché de l'époque, reproduit en agrandissement sur la porte du département des relations internationales de la mairie, sur lequel on distingue, mélancolique et brunâtre, la ligne tracée sous les fenêtres du premier étage de la sus-mentionnée mairie par la dantesque marée à l'apogée de son flux. Raoul, un cognac. Mais, messieurs du CIO, c'est de l'histoire ancienne tout ça, et on a des étés plutôt secs depuis quelques années. J'ai dit sec, Raoul. On peut donc venir chez nous sans se mouiller les chaussettes, il y a longtemps que le monde devrait le savoir.
Non, le vrai problème, c'est les places de parking, et la signalisation routière. A midi, c'est pas facile de se garer au centre de l'agglomération, y a toujours plein de monde devant le bureau de poste, qui est pourtant toujours fermé, n'essayez pas de comprendre. Et, en été, il faut compter avec les voitures des membres du club de pétanque d'Ornain, qui aiment venir s'adonner à leur sport favori sur notre magnifique grand-place (église du XVI et monument au mort de 14-18). Mais, en cas de jeux olympiques, on pourra leur demander d'aller s'adonner plus loin. Et puis, on peut faire comme pour la fête municipale, on demande pour pouvoir garer les bagnoles dans un champ.
Pour la signalisation routière, il faut bien avouer qu'elle ne se distingue ni par sa clarté ni par son omniprésence. Elle nous vaut chaque année le passage de touristes égarés qui, se croyant en route vers le cimetière militaire de Dénicourt, viennent tourner en rond dans Montigny-le-Platane pour finalement demander leur chemin à Raoul, qui les renvoie en général vers Ornain parce qu'il n'aime pas les Boches (personnellement, je désapprouve Raoul sur ce point, je crois que les Boches sont des gens bien, qui ont droit à l'erreur comme tout le monde, et on va pas leur tirer la gueule parce qu'on a été ennemis pendant une ou deux misérables petites générations, les Boches c'est quand même pas des Anglais, et précisons bien qu'ici on est pas nationalistes, on a l'esprit olympique et on adore la tolérance). Mais donc, cette signalisation quelque peu radicalement inexistante, elle pourrait devenir dommageable si jamais des gens devaient vouloir se rendre volontairement chez nous, et donc il faudrait faire un petit effort de ce côté-là, je vous l'accorde. Fous-moi la paix, Raoul, avec mes donc. Je donc si je veux. Donc.
Sinon, au niveau des stades, pas de problème, le gouvernement s'en occupera, en plus on a voté pour lui, ici. D'ailleurs, y a plein de place, ils pourront en construire tant qu'ils veulent. Même du côté d'Ornain, pourquoi pas ? Comme ça ils pourront rester chez eux pour jouer à la pétanque dans leur stade. Comme quoi tout s'arrange.
Au niveau de la menace terroriste, pour changer, on pourrait demander des casques bleus à l'ONU. Je sais que vous avez l'habitude de faire appel à l'OTAN, mais l'ONU c'est plus international, et les soldats nigérians ou pakistanais ça coûte moins cher à faire venir, et en plus ça nous évitera d'avoir des Amerloques en train de mastiquer de la gomme à mâcher dans tous les coins. Et comme ça, ça fera multiculturel, et ça, on aime bien, nous, le multiculturel, et la tolérance, et tout ça. Donc, l'ONU. De toute manière, à part un ou deux gauchistes qui renversent les poubelles et l'ordre établi, on a jamais eu de terroristes dans le coin. Des huguenots, il y a longtemps.
Pour impliquer les jeunes, on a plein de projets également. Le truc, ce serait d'abord de les attraper par surprise en organisant une rêve partie (plutôt du côté d'Ornain, si possible). Ensuite, on les mettrait dans des camions de l'ONU et on les emmènerait faire un parcours sportif aménagé par les scouts dans les bois de Denicourt. Pour les motiver, on pourrait proposer comme prix des places dans une émission de télé-réalité, mais ça reste à négocier avec les gens de la télé. On en profiterait pour enfin achever le déminage dans les bois de Dénicourt.
Pour la cérémonie d'ouverture, tout dans la sobriété, l'élégance campagnarde, la parcimonie budgétaire. Parce que, quand même, la faim dans le monde, le sida, et tout ça. Sinon, dans un esprit progressiste et citoyen, on pourrait faire venir des pédés pour faire une joyeuse parade dans les chars du carnaval (plutôt à Ornain, l'urbanisme s'y prête mieux). On remplacera les chars après. Ce serait un beau message de tolérance adressé au monde entier par Montigny-le-Platane, et nous on a rien contre les pédés. On pourrait même inviter des noirs avec des tam-tams. D'ailleurs, y a beaucoup de pédés noirs, à ce qu'on dit. Enfin, à ce que dit Raoul.
Bref, je suis persuadé que vous êtes déjà convaincus. Pour les détails, on s'arrangera quand on connaîtra vos goûts et vos numéros de compte. Je sais que vous êtes des gens difficiles à convaincre, mais on devrait pouvoir s'arranger.
Voilà, je vous laisse, parce que Raoul voudrait rentrer chez lui. Je glisse des timbres dans l'enveloppe, parce qu'il ne faudrait pas ruiner l'olympisme, ainsi qu'une carte postale du cimetière militaire de Dénicourt, parce qu'on n'en a pas à Montigny-le-Platane. D'ailleurs, on n'a même plus de platane, depuis le cataclysme de 1908.

Lucien Bodart, maire de Montigny-le-Platane.