Phobie 9 : armes et sang

Le 08/10/2005
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par Ryolait
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Dossiers / Phobie
Cette caricature futuriste de la société sécuritaire des Etats-Unis est assez sympathique. Le héros ne supporte pas les armes à feu dans un pays où la self-defense est devenue la première valeur. Un texte pas franchement bien écrit et plutôt faible psychologiquement, mais qui tourne au carnage apocalyptique, ce qui le rend plutôt appréciable.
Des flingues, il y en a partout. Chez toi, chez chaque putain de toxico, et même probablement chez ta grand-mère. Sauf chez moi. Là où je vis est d'ailleurs le seul lieu où je peux me sentir en quasi-totale sécurité envers ce monde qui m'entoure. Les flingues, j'en crève rien qu'à l'idée d'en voir une sur un vigile de l'un de ces supermarchés ridicules qui vend justement des flingues. Je ne peux presque pas faire mes courses à cause de cela, justement. Je suis obligé d'acheter ma bouffe chez l'épicier arabe de l'autre rue, dont sa thune doit sûrement provenir d'un de ces groupes terroristes, et qui doit pisser sur ma bouffe d'enfoiré d'occidental.
J'aurais pu vivre une vie normale. Une vie saine, pouvant dormir à poings fermés, tout en attendant le premier connard de drogué qui aurait essayé de tout prendre dans ma maison de merde, et lui foutre au cul mon fusil à pompe et appuyer sur la détente, sans remords, tout en m'appuyant sur le saint Second Amendement. Oui, j'aurais pu. J'aurais pu flinguer le premier gars qui m'aurait adressé la parole dans la rue, sur un ton qui ne m'aurait pas plu, à une heure qui ne m'aurait pas plu, à un endroit qui ne m'aurait pas plu. J'aurais aussi pu. Seulement, la vie est faite telle que nous ne choisissons en aucun cas son déroulement. Et moi, je suis obligé de vivre la mienne avec cette peur de mourir au premier coin de rue en recevant plusieurs grammes de plomb directement dans ma cage thoracique.

Cette vie aurait pu voir le jour, si je ne m'étais pas aventuré au travers d'une de ces zones d'insécurité totale, qui deviennent de plus en plus présentes dans chacune de nos belles villes d'Occident. Ce jour-là, j'aurais dû décider de ne pas aller voir mon frère, un bon-à-rien ne survivant qu'à son petit trafic de drogue. Ma mère venait d'être récemment tuée d'une balle perdue durant une fusillade entre bandes au beau milieu d'un centre commercial. Par un élan de compassion que je ne pourrais plus jamais retrouver, j'avais décidé d'aller voir mon connard de frère, par solidarité fraternelle, à ce que l'on dit. Conneries. Après m'avoir reçu comme le connard qu'il est, à moitié défoncé et à peine levé de sa longue hibernation, il m'a sommairement demandé de dégager. Je ne me suis pas fait prier, préférant me tirer vite fait du taudis décrépit, inondé de crasse, aux murs jaunis et rempli de toute la misère humaine dans lequel il vivait. Sortant à peine de cette merde sur fondations, je rencontre une bande de jeunes afro-américains. Comme quelqu'un avait décidé que ma journée serait d'un pathétique sans nom, cette joyeuse compagnie semble vouloir se diriger dans ma direction. Je presse un peu le pas, on ne sait jamais, ils peuvent avoir envie de se défouler un peu les bras, mais que cette envie n'était pas pressante et que si je me casse vite fait, on me laisserait tranquille. Malheureusement, ça ne se passe jamais comme ça. Ces petits cons, une bonne dizaine, voulaient voir si j'avais les capacités de jouer au distributeur de billets récalcitrant. Comme un con, c'est le cas. Les relations entre moi et ces petites fiottes furent en vue de devenir plutôt hostiles. Tout se passa rapidement en réalité, une trentaine de secondes. Pas le temps de négocier, personne pour voir la scène, j'étais dans la merde. Ils commencèrent par me frapper, me déséquilibrer, assez lentement, prélude à un carnage. Tout s'accéléra enfin. Durant ma chute, ma nuque rebondit sur le bord du trottoir, une blessure qui laissera quelques séquelles. Puis, c'est le moment le plus répétitif durant un lynchage, celui dont la victime se souvient assez facilement, du moins, si elle ne s'est pas encore évanoui ou si elle n'est pas encore morte. C'est le moment des frappes lourdes, dont on parvient difficilement à s'habituer. C'est là que la douleur se fait. Mais, j'aurais pu survivre à cela avec seulement quelques blessures physiques et psychologiques facilement réparables. L'un des plus jeunes du groupe, ayant pensé qu'il avait autre chose à foutre, avait décidé de jouer avec son revolver en attendant d'encaisser la monnaie. Si seulement cette petite frappe avait voulu suivre ses camarades en me démontant la gueule. Un simple mauvais réflexe peut parvenir à un massacre total lorsque l'on est en présence d'un revolver. Deux coups de feu. Un qui s'en alla à quelques centimètres du bout de trottoir où ma tête était reposée. L'autre fit exploser la boîte crânienne de ce crétin. Je revois encore la scène : Lui faisant tournoyer autour de son majeur l'arme à feu, ses potes me soignant à coups d'Adidas. Pas de cran de sécurité, deux coups de feu, l'adolescent est projeté violemment contre le bitume de la rue, où s'étale par la suite le reste de ses maigres capacités intellectuelles et quelques litres de son sang. La suite n'est pas très intéressante, voire banale : Fuite de la bande, arrivée de la police et des ambulances, etc... Après quelques mois de convalescence, j'étais en parfait état physique.

Les divers tests psychologiques réalisés n'ont rien révélé de vraiment intéressant. Qui plus est, ça m'a coûté une fortune ces conneries. Heureusement que je suis pété de thunes, sinon je l'aurais senti passé. La vie a donc suivi son cours.

Sauf que depuis, je ne peux absolument pas voir, toucher ou utiliser une arme à feu. La vision de ce corps de jeune afro-américain, s'écroulant violemment sur la route, en étalant une longue gerbe de sang, d'os éparpillés et de matières rosâtres, je la vois dès que je ferme mes paupières. Et sortir en dehors de ma demeure m'est très difficile. Le monde extérieur me paraît beaucoup plus violent qu'il ne l'était avant cet incident. Néanmoins, j'arrive très bien à vivre. Je bosse chez moi et mes rares sorties sont certes peu prudentes mais j'ai survécu jusqu'ici. Enfin, sauf que j'ai une envie de crever absolue. Je ne vois plus aucune alternative à mon semblant de vie, et cela, je ne peux absolument pas me l'expliquer. Il suffirait que je prenne un rendez-vous chez ce psy', qui, dans un élan de générosité absolue envers son compte en banque, me laissa sa carte, au cas où. Mais j'ai décidé de ne pas céder à la facilité : Ce sera le suicide ou la mort. Il va falloir survivre dans ce monde où mourir au prochain coin de rue est une hypothèse tout à fait envisageable. Et pour cela, je vais devoir vaincre ma peur des armes. J'ai tout à coup très envie de tuer.

La facture s'éleva à plusieurs dizaines de milliers de dollars, mais bon, rien à foutre, ce soir c'est l'Apocalypse dans Manhattan. Finalement, avec une envie très forte, et surtout en sachant que j'allais me faire tuer dans la soirée, cette "phobie" des armes a disparue assez facilement Depuis que mon envie de tuer est apparue, une autre peur est venue en moi, à vrai dire, elle est présente en moi depuis toujours : Celle de vivre. Désormais, plus aucune alternative n'est visible, et j'ai juste envie que mon nom apparaisse soit lors du journal télévisé, soit écrit par un mélange de sang de plusieurs dizaines de personnes. Le petit massacre que je prépare sera de l'improvisation pure, et les souvenirs des séances de tir de toute ma vie me font rappeler les bases élémentaires du meurtre en règle. Ma préparation ne devra être que la plus rapide possible, et le massacre n'en sera que plus intense. Ça devrait bientôt commencer, une bonne position de tir, pas trop élevée pour voir les crânes des badauds éclater de manière la plus spectaculaire possible, ni trop basse, afin d'éviter au maximum les éventuelles répliques à ma destruction d'âmes. C'est que les flics n'aiment pas trop voir leurs heureux bienfaiteurs crever sous leurs yeux. Cela doit faire mauvais genre, probablement.

20h00, premier coup de feu tiré. Je vise plutôt bien je dois dire, et avec cette lunette de visée, j'ai facilement pu apercevoir le globe oculaire de ce vieux passant éclater vers plusieurs directions. Quelques fractions de secondes plus tard, une grande tache de sang éparpillé et mélangé avec diverses autres substances est visible à quelques mètres derrière le vieillard, qui restera immobile pendant quelques secondes, et s'écroulera de toute sa frêle carrure. Les réactions des autres passants sont très amusantes : les enfants pleurent, tombent, tapent du pied, tandis que leurs mères, affolées, ne cherchent qu'à s'enfuir, où pour les plus intelligentes, se couvrir derrière un muret. "Duck and cover", toujours. Un jeune ramasse un pavé, le jette dans une vitrine et s'empresse de prendre tout ce qui traîne : bijoux, montres, etc... Il ira loin celui-là dans la vie. Où alors plus que quelques mètres. Deuxième coup de feu sur sa gueule de voyou amateur, mais pour celui ci je joue la carte du sadisme en tirant plutôt sur la jambe pour commencer. Tout son butin s'envole, c'est pas de bol pour ce crétin, il aurait pu être millionnaire en attendant un peu, putain. Il tombe, ça fait mal. Il crie aussi. Je vise un peu plus haut cette fois ci : sur sa main. Elle se cloue littéralement au sol, avec un peu de recherche artistique ça fait un joli Christ, je décide donc de "clouer" l'autre main, pour qu'il souffre encore un peu. Assez joué, je vise la tête et elle s'écrase violemment contre le trottoir, brisant sa nuque et une bonne partie de la boîte crânienne. Les flics ont du être avertis depuis un petit moment déjà, on va accélérer le rendement. Un passant, deux passants, trois passants, des passants par dizaines, criant, s'affolant, se bousculant, mourant. Le pire, c'est qu'ils ne savent toujours pas qui tire. Tant mieux, on va pouvoir continuer un peu plus longtemps...

Ça fait deux heures que le massacre a débuté, plus personne aux fenêtres, plus personne dans les rues, plus aucune voiture n'ose s'aventurer dans l'avenue. Les flics ont tout quadrillé, personne ne passe sinon on trépasse. Je commence à me lasser... Tiens, un flic un tant soit peu inconscient... J'ajuste mon fusil, je vise, je tire. Soudain, je revois la scène du jeune noir jouant avec son flingue, deux coups de feu, sang et cervelle et violente chute. Et quand j'ai tiré sur ce flic, c'est cette chute qui est reproduite, avec son effusion de mort par l'arrière du crâne. Je crois bien que ce massacre est fini, j'en ai marre, je veux crever. Je serais la dernière victime de cette soirée. Je place mon fusil juste sous mon menton, je prends une grande inspiration et... Ainsi, c'est fini.