Phobie 12 : deo gratias

Le 09/10/2005
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par M. Con
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Dossiers / Phobie
Le héros a peur de l'enfermement, du silence et de l'obscurité. Le texte pointe directement sur un traumatisme d'enfance franchement douloureux, la narration est glaciale et tourmentée, l'ensemble violent et hautement appréciable. Hélas le style bat de l'aile par endroits, et ce principe du trauma qui explique tout simplifie radicalement le portrait psychologique, et l'appauvrit beaucoup.
« Tu verras petit, tu seras très bien ici.» Avait dit la vieille de la DASS.
- Sale pute !» J’aurais aimé la voir moi à quatre ans abandonnée, trimballée, ballottée puis rejetée, enfermée, isolée seule dans un orphelinat….

Je crois que c’est le silence qui m’a réveillé brusquement, ou l’instinct… peut-être.
Une certitude, les barrettes rouge sensées régler ma vie n’ont pas fonctionnées. Ce matin le réveil radio est resté muet et c’est l’affolement. J’ai beau essayer de me calmer mais il n’y a rien à faire, je ne supporte pas le silence. C’est même de pire en pire. Depuis plusieurs semaines je vais mal, je vis mal, même mon psy ne parvient pas à juguler mes peurs. Constamment elles jaillissent des profondeurs insondables de mon esprit tourmenté. Visions fantasmagoriques qui repassent en boucle, dévorant ma raison vacillante. Les murs gris, les longs couloirs sombres, la petite pièce du fond, le lit à barreau… L’épouvantail.
Je dois faire un effort, prendre sur moi, je suis fébrile, nerveux, de longues minutes sont nécessaires pour me décontracter. Finalement je parviens à me lever à tâtons pour récupérer ma montre qui traîne sur la caisse en carton faisant office de chevet, il est presque 7h30, pas de doute je serai en retard.

De toute façon je suis dans l’impossibilité de me presser, chaque matin c’est le même cérémonial, d’abord j’allume la télévision, c’est impératif j’ai besoin d’entendre des infos, de la musique, de la pub, n’importe quoi pourvu qu’il y ait du bruit, cela me rassure. Ensuite il faut obligatoirement que chaque chose soit à sa place dans un univers de sons et d’images alors je peux doucement trouver mon équilibre, me situer et affronter la société.

Noir complet, le téléviseur ne fonctionne pas. Je panique, me colle contre un mur, des ombres se forment, je les vois bouger, s’allonger, se déformer, s’agripper, il est là ! Je reconnais sa silhouette, il vient comme lorsque j’étais gosse. Je cherche l’interrupteur du bout des doigts et j’éclaire la lumière pour lui échapper. Pas d’électricité, c’est la panne totale. Je comprends pourquoi le réveil n’a pas sonné. En sueur je me précipite à la fenêtre pour ouvrir les volets et voir si mon voisinage proche est également plongé dans cette obscurité qui me fait défaillir. La ville semble totalement silencieuse. Aucune voiture, aucune moto, j’ai des palpitations, je suis moite. Cloué sur place, je n’ose plus regarder la pièce qui me sert de tanière, je me fixe sur la ruelle emplissant mes poumons d’air frais. Au loin un camion de poubelle vide la merde humaine. Je m’accroche à son rituel comme à une bouée de sauvetage. J’ai la tête qui tourne, je transpire, je l’écoute remonter lentement la rue, j’analyse chaque bruit, dissèque les mouvements et peu à peu je reprends confiance.

« Petit si tu n’obéis pas au curé, tu seras enfermé dans la cellule, crois moi on va t ‘apprendre à vivre ! On en a maté d’autres avant toi.»
Combien de jours, de mois, d’années cumulées, j’ai passé enfermé seul dans le noir et le silence ? Je ne saurais le dire, mais il n’y avait rien à faire, je ne pouvais pas encaisser ce jeune curé qui paraît-il nous aimait tellement.
Tellement au point de nous emmener le soir dans sa chambre au fond du couloir pour parler, lire des livres et surtout jouer à ses sales jeux. Je revois ses lèvres minces pincées en forme de sourire grimaçant qui se voulait affectueux, son teint pâle, ses yeux noirs, profonds qui brillaient d’une lueur bizarre tandis que ses mains longues et blanches glissaient sous nos blouses semblables à des tentacules de pieuvre.

« Dieu est amour » Disait t’il drapé dans son habit de corbeau tel un épouvantail rodant autour de nos lits d’innocence

- fumier ! »


J’avais un copain qui bénéficiait souvent de ses intentions particulières, on l’a retrouvé pendu dans sa chambre. Ils ont dit à tout le monde qu’il était malade. Menteurs ! Mon copain n’était pas malade, il ne supportait plus les sévices pervers de son tourmenteur, il me l’avait confié un soir, j’aurais dû comprendre, mais à huit ans avec la peur au ventre j’ai simplement appris à haïr.

« Bande de salauds ! »

Pressé de fuir mon abri qui m’étouffe je descends très vite au café d’en-bas pour retrouver la vie, la lumière, des gens. Comme chaque jour je m’assois à la même place, le dos au mur et j’observe. Je me sens mieux au milieu des autres même s’ils se moquent de moi parce que je parle peu, mais c’est ainsi, je n’y peux rien, depuis qu’ils m’ont enfermé lorsque j’étais môme j’ai du mal à communiquer alors j’écris. Je joue avec ma cuillère dans la tasse fumante en écoutant le brouhaha ambiant, les plaisanteries grasses des habitués suivies des rires forcés, nécessaires à l’acceptation dans un groupe. Les conversations des femmes, les jeunes qui s’insultent près du flipper. Je vais mieux.
Les néons clignotants de l’enseigne caressent mes rétines, me réchauffent, me rassure, ça va aller. Je repense à cette fille que j’aimais et que j’ai pourtant laissé s’en aller parce qu’elle voulait un enfant et que moi je ne veux pas, je ne peux pas, je suis incapable d’envisager un futur, une continuité de mon errance.

« Allons petit ne fais pas tant de manières, je ne te ferai pas de mal ne suis-je pas le représentant de notre seigneur? Allons baise la croix du christ ! Baise la croix du Christ ou bien tu seras fouetté et tu retourneras en cellule petit mécréant, suppôt du diable !… »

Je serrais les poings résistant fièrement aux injonctions de ce malade omnipotent. Pourtant lorsque l’épouvantail hantait les couloirs la nuit, tel un ange de mort, je tremblais au point d’uriner dans mon lit caché sous la couverture de laine en suppliant. J’appelais maman ou papa mais le paradis qui n’existe pas ne laisse jamais revenir les siens. Et au matin je retournais en cellule sous les rires et les quolibets des autres.


Je me résigne à quitter le bar et je m’engage dans la rue grise. J’ai froid, une pluie fine lave la crasse et me glace la nuque, je remonte mon col et j’avance d’un pas rapide en rasant les murs pour me rendre à la station de métro la plus proche. Ce sera un peu long car je suis obligé de faire un détour afin d’éviter l’église, ce lieu maudit, humide et sombre comme une tombe, austère, silencieux, désespérément triste. Je ne supporte pas l’odeur de l’encens et des cierges qui s’échappent des portes. Ces maudites Portes immenses, démesurées à la mesure de l’orgueil humain, toujours ouvertes comme pour te happer au passage. L’antre de l’épouvantail.

Je fais donc un crochet c’est plus simple. Je prends par l’avenue, là où se trouve la foule, les boutiques, la circulation dense, les cinémas, ensuite je m’engouffre dans la station lumineuse aux odeurs de détergents et d’urine.
Ce matin le quai n’est pas bondé. Je le remonte en direction de la tête de station pour être devant, où il y a généralement le plus de monde. Je croise une femme lasse les bras chargés de paquets, deux agents de sécurité qui discutent, un couple qui se tient par la main, je les envie.
En retrait il y a ce petit garçon blond qui ressemble à un ange.

« Comment ça tu ne veux pas chanter dans la chorale ? Tu feras ce que je voudrais, j’ai besoin d’angelot pour la crèche de noël, j’y mettrai le temps mais je te materai !
Le curé s’agitait dans son antre, il allait de la cure à l’autel en passant au milieu de l’allée centrale. Ombre noire, virevoltante dans un univers froid aux senteurs acres. J’attendais ramassée comme un chat dans un coin. Puis il revenait en gesticulant, ses grosses chaussures résonnaient sur les dalles grises. Il m’attrapait par la manche de mon pauvre vêtement usé puis me tirait, m’obligeait à le suivre, Je hurlais, il me frappait, je me débattais alors les coups redoublaient.

« Tu vas m’écouter dis ?… Vois le christ qui te regarde il est mort pour notre salut à tous je suis son messager, tu me dois l’obéissance absolu.

- Il a tué mes parents, je le déteste et vous aussi !

- Je vais t’apprendre moi à blasphémer notre seigneur…


Je regarde l’ange jouer sur le quai en attendant le métro. Comme une clarté dans le flou, une lumière dans la grisaille, une visualisation de ma propre enfance volée. Perdu dans son monde, indifférent à son entourage, il fait des gestes précis, murmure des formules magiques s’invente un univers à lui ; comme moi.
Masquée à ma vue par un pilier, une forme surgissant du béton pénètre son espace tel un diable sortant d’une boite et avance vers lui. Une main décharnée se déplie lentement et se tend pour lui saisir l’épaule.

« Allons viens ici toi ! Tiens toi tranquille sinon, tu sais ce que je t’ai dit ? Ce soir tu seras puni. »

« Cette voix ! »

Tout bascule, le sol m’attire, m’appelle, le plafond s’étire, les murs se déforment, se disloquent, les lumières de la station explosent en milliers d’étincelles multicolores qui m’aveuglent. Je vacille, je crois que je vais m’évanouir. A quelques mètres de moi se tient la matérialisation de ma déchéance qui poursuit avec un autre son travail de destruction. Il attrape l’enfant qui se débat et l’attire brutalement à lui.
Sous ses traits vieillissant Je reconnais ses lèvres minces presque pincées en forme de sourire grimaçant qui se voulait affectueux, son teint pâle, ses yeux noirs, profonds qui brillent d’une lueur bizarre. J’ai envie de vomir, je m’accroche au néant, mon esprit part en lambeaux. Tétanisé je fixe ma peur vivante.

L’épouvantail me remarque à son tour, me dévisage perplexe, cherche, fouille dans sa mémoire, finalement un rictus de satisfaction laisse apparaître ses dents jaunis, il m’a reconnu. Je me vois avancer vers lui dans un flottement, mes bras en avant, vidé de tout. Ils ouvrent les siens comme pour m’accueillir. Mes mains le saisissent, je le pousse violemment, il recule sous l’impact, ses pieds glissent sur les carreaux, son regard se transforme en peur, il sait. Un souffle d’air chaud envahit la station, deux phares trouent l’obscurité du boyau, le métro arrive puissamment à quai émergeant du ventre de la ville dans une plainte de ferraille déchirant le silence. Encore un mètre, le vide, une plainte animal et il s’effondre sur les rails comme un sac, un épouvantail, immédiatement avalé et déchiqueté par le métro qui freine inutilement. Je m’entends marmonner :

« Te voilà enfin auprès de ton maître ! »

Je me sens saisi, plaqué au sol. J’entends autour de moi des cris diffus, des hurlements de femmes, je me laisse faire indifférent, passif déjà ailleurs. L’enfant blond demeuré immobile me regarde, me sourit, ultime rayon de soleil dans ma nuit sans fin. Je ferme les yeux car déjà je sais qu’ils vont m’enfermer seul dans une cellule…

Les murs gris, les longs couloirs sombres, la petite pièce, le lit à barreau… Et l’épouvantail viendra me prendre encore, et encore, et encore.