Pater noster

Le 15/11/2005
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par nihil
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Thèmes / Obscur / Psychopathologique
Cette prière détournée, d'abord calme et plutôt sombre montre rapidemment une tendance psychopathologique intrigante. On reste tout du long dans le registre de la tension larvée et ça n'explose jamais, ce qui n'est pas un mal pour ce texte. Rien d'extraordinaire, mais quelques divagations paranoïaques intéressantes sur la foi et la soumission.
Elle est agenouillée au pied du lit, et le silence l’entoure. La tête baissée, les mains jointes. Seuls quelques rais de lumière blanche percent l’obscurité. Ses lèvres remuent doucement, sans s’arrêter, sans émettre le moindre son. Les poignets reposent sur le dessus de lit, un chapelet enserre les mains aux doigts croisés. Les yeux sont clos.
Le petit crucifix de bois, noir sur le mur entièrement blanc, domine la scène.
Dieu a dit : «Crois en moi».
Dieu a dit : «Je suis là, avec toi, et je serai toujours avec toi».
Dieu a dit : «Repens-toi de tes fautes».

Les mains serrent le chapelet de plus en plus fort et les jointures blanchissent peu à peu. Les lèvres remuent de plus en plus vite. Le front s’abaisse jusqu’à toucher les mains. Les paupières abaissées se contractent douloureusement.

Dieu a dit : «Crois en moi».
Dieu a dit : «Tout ce qui est à toi m’appartient et je suis ton maître».
Dieu a dit : «Tu m’obéiras»

Elle pleure en silence. Les larmes coulent le long des joues, sans être essuyées, et mouillent les mains. Le téléphone sonne à intervalles réguliers, sans qu’elle ne décroche. Chaque nouvelle sonnerie lui arrache un sursaut. Elle s’efforce d’ignorer les perturbations, se concentre.

Dieu a dit : «Ceux qui t’attendent dehors ne sont pas tes amis».
Et : «Ils te mentent, ils te veulent du mal, mais ils ne pourront rien contre ma colère».
Dieu avait dit : «Crois en moi et je te protégerai. Ma colère s’abattra sur mes ennemis et il me demanderont grâce».
Dieu a dit : «Cache-toi au fond de ton caveau, barricade-toi, méfie-toi de ce qui t’attend depuis tout ce temps à l’extérieur, méfie-toi de la lumière du jour, méfie-toi de tout le monde».

Le Seigneur soit loué pour ses grâces, et Jésus le fils mort sur la croix, et le Saint-Esprit. Préserve moi du mal et accepte-moi dans ta Sainte Eglise. Moi pauvre pécheresse, je demande ton pardon...

Dieu a dit : «Le cœur des hommes est corrompu».
Dieu a dit : «Ils se vautrent dans la débauche et l’infamie depuis trop longtemps. Ils enferment les innocents et libèrent les criminels».
Et : «Rien n’a d’importance. Oublie tout ce que tu crois savoir et crois en moi».
Et : «Quelqu’un devra bien se décider un jour à faire le ménage sur cette pourriture de planète».

Le signe de croix maintenant. Dépêche-toi. Garce. Garce. Reste à genoux et prie. Demande pardon. Tu paieras pour ça.

«Crois en moi, je ne veux que ton bien. Le temps que durera mon absence, je serai avec toi en pensée. Tu ne sauras rien mais je serai là, tout près de toi. Je te parlerai à l’oreille et tu n’entendras rien. Je te tiendrai la nuque quand tu t’agenouilleras devant tes statues blanches pour prier, ou devant les chiottes pour dégueuler. Je te dicterai les histoires que tu te récites le soir pour t’endormir. Je serai toujours là pour toi, ne t’inquiète pas, tout ira bien. Sois heureuse, mais n’oublie jamais que mon regard est fixé sur toi.»

Dieu a dit : «Où que tu ailles, je finirai par te retrouver».
Dieu a dit : «Je serai toujours là pour toi, ma fille, mon sang, ma chienne».
Et : «je me cacherai dans ton ombre, je serai ton jumeau invisible et tes amis imaginaires parleront avec ma voix. Je t’empêcherai de devenir un de ces putains de moutons aveugles, par la force s’il le faut. Tu ne sauras jamais que je suis là, mais tu penseras toujours à moi. On te traitera de folle quand tu parleras de moi. Ce sera notre secret à tous les deux. Je ne te quitterai plus».
Dieu a dit : «Leurs putains de machines à gommer la mémoire, je m’en tape, je finirai bien par me souvenir. Je te retrouverai, je te le promets».

Un grand coup ébranle la porte. Un deuxième. Un troisième. Encore et encore. Un souffle haletant derrière le battant. Elle ne bouge pas, ignore consciencieusement le tremblement de la porte.

Dieu a dit : «Nous sommes unis pour l’Eternité, désormais rien ne pourra plus nous séparer».
Et : « Répète après moi : notre père… Notre père… ».
Et : «Tes erreurs sont pardonnées, bien des années sont passées. Je te pardonne de m’avoir dénoncé. Ouvre cette foutue porte maintenant».

Elle baisse les yeux et entre les mains jointes se trouve maintenant un revolver.