Les bêtes de poisse 1

Le 27/10/2005
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par Marvin
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Rubriques / Les bêtes de poisse
Ce premier article de Marvin est d'une bizarrerie sans nom. Construit autour d'une intrigue de vieux polar pourri, c'est assez confus, on reconnait pas les personnages, mais c'est indubitablement déjanté, ce qui en fait une lecture de choix. Une espèce de Snatch pourrissant sauce gueule de bois. Une bonne bouffée d'air vicié, bien glauque, bien grinçant.
1. De la crémation des plaies, et brûle tes entrailles
Il paraît que j'ai été trouvée dans une poubelle.

C'est Stankson qui m'a dit ça.
Je n'en sais trop rien, en fait. J'ai évidemment bien senti les frères me rouer de coups de burin.
Ca m'a fait, je dois l'avouer, un peu mal.
M'en foutais, la concierge m'engueulera pareil de toutes façons, quand je décorerai son paillasson de vomi. Je me sens moyen, en fait. J'ai l'estomac comme un broyeur à sapin. Stankson me tend un café trop fort. Que j'ai bien vite fait de lui renvoyer sur ses mitaines, avec un jet de gerbe frisant la vitesse de l'éjaculation.
Stankson me dit que je suis dans un sale état. Que je ferais bien d'arrêter les conneries. Il me dit que j'ai ruiné le début de ma vie. Il me fait un mélodrame de poète. Il est doué, en mélodrame, mais méchant coup de pas de bol, j'accroche moyen à ses épiques paroles de héros. Alors je me contente d'entendre sa voix, sans chercher à comprendre ses mots.
Au bout d'un moment, je décide de partir. Je me rétame dans les tuyauteries avec une rare violence.
J'ai mal au dos, pour le coup.
Je sors de la chaudière de chez les vieux à Stanks, et je regagne mon immeuble. J'ai pas fait une centaine de pas qu'une première bombe me tombe sur le recoin de la tronche.
Y'a une lettre d'Ayne sur le sol, devant ma porte. Merde, comme si je pouvais sortir du gaz si facilement que ça et me mettre à manger les énormités que la vie m'offre sur un étron.
J'ouvre cette foutue lettre.
Bordel de Dieu.
Il écrit qu'il veut crever, il s'est découpé les veines, le con.
Je pourrais prouver à n'importe qui si on me croit pas. Elles sont avec la lettre, les veines.
Aah... La vraie baffe. Il a choisi ce moment pour annoncer un truc aussi débile... Merde, tiens, j'ai même pas envie de m'en occuper. Je rentre dans mon appart, et je me fais mettre à terre par un frère de la mafia.
Hier, c'était mon premier jour de pègre.
J'ai adhéré à ce... truc un peu par hasard. Une sorte de guilde qui fait des transferts pas jolis jolis, genre trafic d'organes. Moi je suis que navette entre deux QG. J'ai un peu le malheur de savoir bien conduire des camionnettes. Les frères de la rate, qu'ils se nomment, les enfants de chiotte.
Moi, j'en tiens une sacrée couche pour la journée. Le soir tombe juste et je sais plus où j'étais y'a deux heures. Je pense que... je vais retourner voir Stankson. Peut être qu'il rendra ma soirée amusante en me divertissant avec ses histoires pourries. J'ai déjà assez de crasse sur moi pour me fondre dans le décor de la cave.
Ah ouais mais c'est vrai que je suis un peu sonnée par le pain d'un des frères. Chez moi en plus. Je trouve ça mesquin. Mais bosser chez des tafioles ou autre part, ça changera rien au fait que j'ai pas la fibre des échanges commerciaux entre gangs.
Ouch.
Il m'a fait mal, le con.
Je suis étalée sur le seuil de ma piaule, la porte ouverte, et un sale courant d'air puant me souffle dans les oreilles. C'est assez désagréable. Et les bestioles des murs viennent bouffer le vomi sur mes bottes. Pour sûr, je vais me faire sacrément engueuler.
J'ai le sentiment d'avoir foutu une journée en l'air. Il commence tout juste à faire noir, et j'ai encore rien fait. Sans faire attention à mes os à moitié pétés, je me relève et referme la porte. Faudrait penser à se marrer, maintenant. Je vais chez Stankson. Manque de bol, il commence à pleuvoir, et je me retrouve trempée. Je pue le vomi réhydraté.
Faudra penser à bouffer, j'me dis. J'ai 500 kilos de reins à l'arrière de mon pick-up.
Et ça me fout même pas la gerbe.
A tous les coups, je suis encore déchirée. La pluie qui me fait l'effet de poignards de braise me confirme l'idée.
En arrivant devant la porte de la chaudière, j'ai furieusement envie de m'écrouler dans la fange. Si on arrive, personne pourra dire que je suis dans le gaz, et on va encore me jeter dans les poubelles communes pacqu'on croira que je suis morte... Ca ne me ravit pas.
Des pas. C'est mon pôte, qui vient.
Il aura... Bien fait de venir, tiens, j'ai... Comme des... Sortes de morsures dans... Le dos.
Eeesh...
Noir.

***

J'aime pas cette sale impression de déjà vu. Je suis encore assise à coté du placard à linge, et Stankson est debout en face de moi. Sauf que cette fois, il a l'air tout chose. Pauvre vieux, j'espère qu'il va bien.
Il fait mine de s'approcher de moi. Et mes premières paroles depuis une heure sortent en même temps qu'un vieux rot oublié au fond de mon estomac :
- Non ! Je pue !
Y'a des gouttes d'un truc acide qui me brûle les amygdales. De la bile. Encore ! Nom de Dieu !
Je pue, et je tremble. J'ai l'impression que le temps s'est considérablement ralenti et d'avoir atteint Parkinson avant l'âge. C'est pourtant chouette.
J'ai des tonnes d'images abstraites qui floodent ma vision, ça m'empêche de penser droit, dis donc.
J'ai nerfs qui tremblent, les yeux trop ouverts à mon goût. Comme quand je faisais peinture avec ma classe, avant que tout soit brûlé. Et que les bestioles survivantes commencent à devenir folles. On fait tellement pitié que même les cafards sont plus dignes que nous.
- T'es moisie de l'intérieur, ma pauvre folle.
- Toi aussi tu sens ?
Il renifle mon haleine et fait la gueule. J’t'ai eu, pauvre demeuré.
- Vous avez la bile qui chatouille votre palais, mon bien-aimé Stanks ?
- T'es qu'une blatte.
- C'est mon nom, p'tite bête.
Un autre éclair brûlant, plus fort cette fois, me contracte la poitrine. J'me sens rougir de douleur jusqu'au bout des narines.
J'me demande quand même ce que j'ai bien pu faire pour recevoir tant de pains comme ça. Ca m'fait bouffer la poussière, j'me rends compte que je suis totalement recroquevillée sur moi-même, contre le mur.
Des bêtes mes grimpent dessus, ou alors, ce sont mes propres mains. J'arrive plus à faire la différence.