Surfaces deuxième partie (2/2)

Le 08/11/2005
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par Konsstrukt
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Rubriques / Surfaces
Le type qui s'est fait niquer ses deux mains dans l'épisode précédent revient se lamenter ici. Considérations sur la vie qui peut basculer d'une seconde à l'autre, déchéance et chant du cygne. Sur le fond c'est pas mal, mais le style terre-à-terre de Konsstrukt s'adapte mal à cette litanie de réflexions intérieures, c'est très long et exaspérant. La fin est presque inespérée, c'est une vraie frénésie de révélations, qu'on attendait plus, sur le contexte et les personnages de la rubrique, sur les Maîtres. Même si elle tombe un peu comme un cheveu sur la soupe, c'est une belle fin pour la rubrique Surfaces.
JOUR
Il n'y a plus rien après les poignets, à part de gros bandages qui cachent de grosses cicatrices. Difficile de regarder autre chose que ça. Difficile de penser à autre chose qu'à ça. Les médicaments la défonce c'est bientôt fini je crois.
J'ai des bandages des trucs de partout. Il me manque la moitié des dents.
Je n'ai plus de main.
JOUR / NUIT
Voilà ça y'est j'ai plus de bandage. Il n'y a pas de main en dessous. Voilà. Je peux même pas pleurer je suis trop défoncé aux médicaments pour en avoir la force. Je peux juste regarder mes moignons et les cicatrices encore enflées et attendre la prochaine piqure.
C'est drole de penser que c'est irréversible que ma vie est foutue que je n'ai plus rien plus de main plus de maison plus de travail plus rien tout ça en quelques secondes de douleur absolue dont je ne me souviens presque plus.

JOUR / NUIT
Il n'y a plus d'avenir le pire est passé maintenant c'est le néant je me dis. Mais je me trompe. Je n'ai pas d'angoisse juste la sensation d'être mort. Qu'est-ce qui va se passer après. Nulle part. Rien. Combien de temps ?
Je ne peux pas regarder ailleurs que mes moignons. Je ne peux pas.
JOUR
Impossible de m'arrêter de pleurer. Journée sans médicament je réapprend à marcher. Dehors c'est fini pour moi mais je retourne dehors dans deux semaines. Quoi faire à part mourir. Pour l'instant je pleure je pleure tout après ça sera tellement horrible dangereux que j'aurais plus même plus le temps de pleurer.
Je peux plus dessiner je pleure.
Je réapprend à marcher. Les infirmières me torchent et après dans dix jour ? De toute façon je ne pourrais rien faire aller nulle part. Putain c'est injuste injuste injuste injuste injuste injuste injuste injuste et je pleure comme un con mais je peux pas sangloter sinon j'ai trop mal alors pleurer comme ça ça fait même pas de bien mais j'ai pas le choix.
Les cicatrices dégonflent.
JOUR
Impossible de m'arrêter de pleurer. Journée sans médicament je réapprend à marcher. Dehors c'est fini pour moi mais je retourne dehors dans deux semaines. Quoi faire à part mourir. Pour l'instant je pleure je pleure tout après ça sera tellement horrible dangereux que j'aurais plus même plus le temps de pleurer.
Je peux plus dessiner je pleure.
Je réapprend à marcher. Les infirmières me torchent et après dans dix jour ? De toute façon je ne pourrais rien faire aller nulle part. Putain c'est injuste injuste injuste injuste injuste injuste injuste injuste et je pleure comme un con mais je peux pas sangloter sinon j'ai trop mal alors pleurer comme ça ça fait même pas de bien mais j'ai pas le choix.
Les cicatrices dégonflent
NUIT
Je fais les cent pas dans ma chambre. Je n'ai plus mal à la jambe. Je préfère marcher la nuit comme ça je dors pas. J'en ai marre des cauchemars. J'en ai marre de penser à ce qui va se passer dans une semaine aux circonstances de ma mort est-ce que je me ferai violer avant ou pas.

NUIT
J'ai rêvé qu'un type me cassait le crâne à coup de pierre et ensuite s'enfonçait mon moignon le plus loin possible et moi il me restait encore un peu de vie je voyait à travers un brouillard et quand avec l'autre moignon j'essayait de chasser ce brouillant je me rendais compte que c'était mon cerveau qui coulait de mon crâne fendu et là je me suis réveillé en hurlant.

NUIT
Je lèche ma cicatrice. Je peux pas la toucher. Je la frotte doucement sur les lèvres. Je passe lentement la langue dessus. La sensation est bizarre. C'est très désagréable sans être de la douleur et je peux pas m'empêcher de recommencer plusieurs fois. Je m'arrête quand la peau commence à rougir un peu et à me faire mal et à me gratter.
Je ne boite presque plus. Ce qui reste de claudication je le garderai à vie. A vie ça risque d'être très court.

NUIT
Elles sont bien propres mes cicatrices maintenant.
C'est comme deux signes plus au bout de mes bras. Qu'est-ce que ça m'ajoute je me le demande. Peut-être c'est comme dans les contes tu perds un truc t'en gagnes un en compensation. Ouais tu parles je ferais mieux de dormir.

NUIT
Je sors demain. J'arrive pas à m'endormir trop peur. Demain j'arrive même pas à croire que ça arriver que ça fait trois mois que je suis ici. Que demain c'est fini plus rien il n'y a plus rien plus rien du tout. La rue et c'est tout. Je pourrais me suicider de suite mais j'ai trop peur de me rater d'être encore pire que maintenant. Mes cicatrices c'est pas des plus c'est des croix des interdictions. Elles disent terminé pour toi terminé.
Putain j'en peux plus j'ai peur.
J'ai trop peur mon corps peut plus supporter je me tord sur mon lit comment ont peur avoir peur comme ça je veux un coupe circuit merde un coupe circuit avant de griller d'exploser de prendre feu tellement j'ai peur je la sens ma peur putain je la sens dans mes bras me jambes mon ventre mon cou ça fait mal comme de la fière. J'ai peur putain j'ai peur.
JOUR
Je suis assis au bord du lit. Ma jambe est livide et maigre. Elle n'a plus de poil.
JOUR
Mon dernier repas. Dehors il n'y a rien pour moi. Tout ce qui m'appartenait à été vendu. Je ne possède rien d'autre que mes vêtements. Je me force à avaler même si j'ai pas faim. Dans une demi-heure je suis dehors. Et après ?

JOUR
Voilà l'hôpital est derrière moi chaque pas que je fais il est un peu plus loin j'ose pas regarder où aller nulle part où dormir nulle part. J'ai même pas appris à me torcher
JOUR
Je marche
Je marche.
Je marche.
Je marche.
Je marche.

Il n'y a rien à faire d'autre.

Je marche.
Je marche.
Je marche.

Le soir tombe.
NUIT
Les lampadaires s'allument. Mon estomac se tord. Les phares des voitures s'allument. La température va bientôt baisser.
Encore quinze minutes.
Il fait nuit.
Je me sens en danger. Je guette autour de moi.
Les rues se vident.
Je suis en danger.
Je dois trouver un abri.
Bientôt ce sera le moment des loisirs.
Maintenant c'est moi le loisir.
Les bruits de la ville me font peur. Je me cache quand j'entends des rires ou des moteurs.
La radio me fait peur.
NUIT
Il fait froid. Je suis assis. Je suis engourdi. Il fait noir. J'ai faim. Je suis en sécurité pour l'instant. Il fait trop noir ici pour qu'on me voit. Ma jambe me fait mal. J'ai trop forcé dessus aujourd'hui.
Par moment mes yeux se ferment.
Je rêve que je meurs.
C'est bon signe parce que ça veut dire qu'à la fin je me réveille.

JOUR ?
Oui.
Je me réveille en sursaut. C'est moteur euh un moteur de euh de voiture une voiture est passée en vrombissant. La lumière du soleil. Je me recroqueville. Ca sent la pisse. J'ai une nausée mélange de faim et de dégoût. J'ai envie de chier. Je peux pas défaire ma ceinture. Il faut que je me retienne. J'essaie de dormir encore je n'y arrive pas. Mais je n'ai pas assez de volonté pour me lever et partir d'ici.

J'ai faim.

J'ai faim.

Je me pisse dessus je n'en pouvais plus.

Je recommence à marcher et j'ai faim et je n'en peux plus et c'est la nuit.
NUIT
Je reste assis en attendant.
L'enseigne du restaurant s'éteint.
Plus tard.
Je plonge la tête dans la poubelle du restaurant j'aggripe les flancs de la poubelle avec mes moignons je mange comme un animal. Je me sens horriblement vulnérable. J'attrape des trucs et je sors la tête pour repérer le danger et je replonge la tête et ainsi de suite.
A un moment un type me filme en se masturbant. Pourvu qu'il n'ai pas envie de me tuer.
Plus tard.
Je cherche ou dormir.
Je reçois un boulon ou un truc sur le crâne.
Deux personnes me poursuivent en riant.
Je tourne dans une ruelle. Il fait noir. Ils ne s'aventurent pas. Je pleure. Je suis assis.

JOUR
Ca sent la merde. Ca vient de moi.
Je ne veux pas me relever. Je n'en peux plus. Autant se laisser mourir. Je pleure.
JOUR
J'en peux plus. Je me dis et merde.
Je fous un grand coup de moignons contre une poubelle. Puis contre le sol et là la peau éclate. Du sang coule.
Je mors la cicatrice. La douleur est trop forte.

NUIT
Je reprend conscience dans une mare de sang.
Mes moignons ont enflés. Ils sont très rouge la peau est très tendue. J'ai de la fièvre. Je crois que je ne passerai pas la nuit.

NUIT
Mes pensées sont sans ordre.
J'ai juste mal.
Je n'ai plus peur.
Je me suis encore compissé.
Je n'ai plus d'espoir ni de désespoir.

Je ne pleure plus.
JOUR NUIT ?
Je reçois un coup en plein visage. Je crache du sang avec l'impression de
                             me noyer
                            me réveiller d'un cauchemar
On me refrappe et je perds conscience.

JOUR NUIT ?
C'est une pièce mais c'est pas l'hôpital. J'ai une nausée qui me brouille la vue. Quelque chose écrase mon ventre mes poumons je m'évanouis.

JOUR NUIT ?
Je suis réveillé. Je regarde la cicatrice qui me cisaille le ventre. Je reconnais l'état dans lequel je me trouve c'est les antidouleurs. Je sens encore la pisse. Je suis tellement défoncé que je ne peux même pas me redresser pour voir à travers la fenêtre.
J'ai faim.

J'ai faim.

J'ai faim.

J'ai faim.

J'ai faim.

J'ai faim.

J'ai faim.

J'ai faim.

J'ai des mains je dessine des choses belles c'est un rêve.

Je suis sur une terrasse sans rebord je suis au bord et devant c'est un à pic d'un kilomètre peut-être y'a pas de vent je vais vomir.
Je suis dans une pièce vaste meublée avec goût et tristesse.
Mon coeur cogne dans toute la poitrine.
C'est pas un rêve.
Il y a un escalier.
Je descends.

Je descends.

Je descends.

Je descends.

Je descends.
"Je parle là-dedans sans savoir si on m'entend. Ca me paraît invraisemblable, mais je crois que c'est qu'ils, enfin ce que les maîtres veulent. Je parle dans la radio et tout le monde est forcé de m'écouter. Je suis Jean, j'ai trente-deux ans, et j'étais dessinateur. Je me trouve actuellement au centre de la ville, et très loin en dessous. Je suis au dernier sous-sol de la tour des maîtres. A ce que j'ai compris, je m'apprête à les tuer. Si réellement vous m'entendez, alors cette civilisation prend fin. Tout ce que je vais vous dire, je l'ai lu sur les mur de l'escalier qui m'a conduit ici.
"Avant les années étaient numérotées. Le temps n'était pas cyclique comme maintenant, il était linéaire. En 2006, les maîtres n'étaient pas encore les maîtres mes juste des chercheurs. Ils ont contribué à l'invention de l'immortalité. Ils se sont enrichis, et petit à petit pris de plus de pouvoirs, eux ou leurs alliés. Ils avaient le temps. Ils sont devenus les maîtres de l'espèce humain en 2080, et ont bâti notre monde. Cinquante ans de vie pour chacun, vingt ans d'études, trente ans de travail, les loisirs la nuit, le même jour qui se répète inlassablement. Ca fait mille ans que ça dure. Mille ans vous pouvez pas comprendre ce que ça veut dire. Moi j'ai compris. Mille ans. Ils ont vieilli mille ans sans mourir. Partout dans la ville il y a des caméras qui filment et enregistrent les meurtres et les suicides, et eux ils regardent le meilleur, sans rien faire du tout. Toutes les baises, tous les morts, tous sous leurs yeux qui ont mille ans. Ils n'en peuvent plus. C'est pour ça qu'ils ont crée ce complot, ils veulent mourir.
"Ils veulent que je les tue.
"Vous savez ce qui se passe quand on a cinquante ans ? Les gardiens viennent, ls vous emmènent ici, et vous restez dans une pièce hermétique et vous mourrez. C'est tout. Vous mourriez juste de faim et de soif et de manque de sommeil. Et c'est filmé. J'ai vu ces films. Et les corps ils sont tous sous la ville. Sous la ville y a mille ans de cadavres, et les machines creusent tout le temps. Je les entends moi maintenant, et si vous faites attention vous allez les entendre. Je coupe la radio, écoutez..."
"Les morts. Plus on descend, plus ils sont frais. Il a fallu que je m'en nourrisse.
"J'ai maigri. J'ai des plaies aux pieds. Les enfants. Vous devez savoir. Pour un enfant en camp d'éducation, un autre est livré aux maîtres. Un sur deux. Torturé le plus longtemps possible, jusqu'à la mort, et filmé. J'ai vu leur film préféré. Il dure trente heures, et c'est un montage de quinze années de tortures. L'enfant est mort à quinze ans, oui. Avant les gens gardaient leur enfant avec eux. Je vais pleurer, pardon"
Je coupe le micro.
Autour de moi mes murs sont des vitres et derrière les vitres sont des cadavres entassées qui forment des tableaux abstraits. Je suis fiévreux maigre infecté de partout j'ai la dysentrie et mille ans de cadavres au-dessus de ma tête. On est en 3031 et alors.
Je pousse la dernière porte. Ils sont la tous les sept à me regarder arriver sur une centaine d'écrans géants ils me tournent tous le dos. Il y a partout des enfants suspendus à des chaînes tous ne sont pas morts.
Là je comprends pour la cicatrice je vois un flash sortir de mon ventre une déflagration qui sort de moi et m'arrache au monde et la je me demande si je

FIN