Serial edit 2 : sainte-morphine

Le 20/11/2005
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par nihil
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Rubriques / Serial Edit
Difficile d'éditer une parodie stupide comme celle de Nounourz dans son premier épisode. J'ai donc presque du repartir de zéro dans ce texte qui reprend le ton mystique et la structure du texte d'origine. Seules les images et les symbôles changent, et le texte est transposé dans mon petit monde à base de morphine et d'agonie. Cet épisode pourrait être un pendant symbolique à Arch-Nemesis ou une annexe de Néo-Inquisition.
Textes précédents :

- Extrait de l'Apocalypse

- Apocatrip par Nounourz
La morphine, bien trop dosée, faisait peu à peu effet.
Ma vision s’obscurcit, et j’entrai peu à peu dans le monde Où-Les-Choses-Sont-Ce-Qu’Elles-Paraissent-Etre. Aussitôt, le battement de mon cœur se fit plus vrombissant que le plus terrible des séismes et ma peau recouvrait chacune des choses que je voyais. De mes viscères étaient faites les cieux, et de mon sang, la mer.

Six hautes figures encapuchonnées de blanc s’avancèrent jusqu’à moi et l’on me montra leurs bras amaigris, aux veines reliées à des perfusions. J’eus l’impression de me trouver devant un tribunal statuant sur ma peine. La première d’entre elles, de ses ongles durs, arracha l’aiguille du pli de son coude et le sang coula en goutte-à-goutte de ses doigts jusqu’au sol. Je sentis d’un coup ma souffrance s’alléger, et une voix tonna dans le lointain : « Vois ! »

Et voici qu'apparut à mes yeux un cheval blanc. Celui qui le montait avait les yeux fous et sa bouche sans lèvres articulait péniblement quelque sentence inaudible. Un grand froid se fit en moi et tout autour de moi la végétation dépérissait et fanait sous l’effet d’un souffle glacial.

Lorsque le second juge arracha sa perfusion, j'entendis la voix tonner : " Vois !"

Alors surgit un autre cheval, rouge-feu ; celui qui le montait, on lui donna de bannir l’humeur hors du corps des hommes, et mon monde s’assécha brusquement, et tout eau en fut retirée. Mon sang se fit boue et mes organes devinrent comme des formes d’argile, et s’affaissèrent au creux des cartilages étroits.

Lorsque le troisième juge arracha sa perfusion, j'entendis la voix tonner : " Vois !"

Et voici qu'apparut à mes yeux un cheval noir ; celui qui le montait tenait à la main une balance, et en comptait petitement le blé. Alors mon ventre se creusa et une impérieuse faiblesse m‘envahit tout entier, tandis que les hommes de la terre pliaient les uns après les autres sous le poids de la Famine.

Lorsque le quatrième juge arracha sa perfusion, j'entendis la voix tonner : " Vois !"

Et voici qu'apparut à mes yeux un cheval écorché, et ses muscles roulant autour des articulations ; celui qui le montait, on le nomme la Peste, qui décime mille armées d’un souffle, qui abat les puissants comme les faibles ; et l’Enfer le suivait. Alors le genre humain fut exterminé et disparut de la face du monde.

Lorsque le cinquième juge arracha sa perfusion, et que le sang coula en goutte-à-goutte de ses doigts jusqu’au sol, la Terre se couvrit d’une marée blanche, purulente, et le glas sonna. Je sentis ma maigre carcasse se replier sur elle-même. Je me courbai pour mourir enfin, et mille voix sourdes chuintèrent : « il est fini le temps. Oublie le poids de ta chair, oublie la maladie et l’infamie. Goûte ta délivrance, goûte-la bien car elle est la dernière chose que tu connaîtras jamais. Telle est le destin de chacun d’entre nous et il n’est nulle autre finalité pour une vie humaine. Viens, et rejoins-nous dans la longue plaine des sanglots et des murmures. »

Ma vision s’obscurcit, et je quittai peu à peu le monde Où-Les-Choses-Sont-Ce-Qu’Elles-Paraissent-Etre.

Lorsque le sixième et dernier juge arracha sa perfusion, il se fit un violent tremblement dans ma carcasse vidée, et le soleil devint noir, et la lune devint tout entière comme du sang, et les astres du ciel s'abattirent sur le monde, et le ciel de viscères s’éteignit, et les monts osseux furent arasés et disparurent. Les juges peu à peu s’éloignèrent de moi, en soufflant d’une voix presque inaudible : « nous n’avons plus rien à te pardonner, ni plus rien à te compter. Sois le plus heureux des hommes, car tu es celui qui touche la fin du doigt en ce jour. »

Car il est arrivé, le Grand Jour de ma mort et qui donc peut encore se lamenter lorsque l’échéance est arrivée ?