Serial edit 3 : le fils spirirtuel

Le 21/11/2005
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par Glaüx-le-Chouette
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Rubriques / Serial Edit
Glaüx ajoute une trame narrative à mon edit, qui était un enchainement de visions juxtaposées. Il parvient donc à changer ce texte en une véritable nouvelle, mystérieuse et onirique, qui reste malgré tout empesée d'une structure trop rigide et d'un symbolisme assez peu en phase avec la littérature moderne. Le style de Glaüx est reconnaissable, ici un poil trop soutenu pour avoir un plein impact.
Textes précédents :

- Extrait de l'Apocalypse

- Apocatrip par Nounourz
- Sainte-morphine par nihil
La morphine, bien trop dosée, faisait peu à peu effet.
Je le vis trembler et ses yeux révulser. Quant à moi je le contemplais avidement, jouissant de sa jouissance à laquelle il n'aspirait pas. Ma vision s'éclaircissait à mesure, mon cristallin atteignait l'éclat acerbe et sûr du tortionnaire.
Lui, il entrait peu à peu dans le monde Où-Les-Choses-Sont-Ce-Qu’Elles-Paraissent-Etre. Aussitôt, le battement de mon cœur se fit plus rapide et je perdis toute maîtrise. Ma peau se hérissait davantage à chacune des choses que je le voyais vivre. Dans mes viscères tournait l'essieu de la Roue du Mal, et mon sang était Mère de toutes cruautés.

Il partait, et je suivais ses visions sur mon moniteur.

Six boutons rouges capuchonnées de blanc ; six commandes d'injection mécanique de mélanges de morphine et d'autres drogues. Il les avait regardés avec terreur, avant que je ne l'attache sur la table. C'est ainsi que dans son rêve, sur l'écran, six hautes formes encapuchonnées de blanc s’avançaient à présent jusqu’à lui, jusqu'à moi en lui ; et l’on me montra leurs bras amaigris, aux veines reliées à des perfusions. J’eus l’impression orgasmique d'être et bourreau et victime.

La première des formes, de ses ongles durs, pressa la poche de drogues liquides reliée à l’aiguille plantée dans la jugulaire de mon fils, et le fluide coula goutte à goutte jusqu'à ses doigts bleuis par le garrot, jusqu'aux veines du blanc de ses yeux. Je sentis tout à coup sa souffrance s’alléger.

Une voix, ma voix, tonna dans le lointain - car devant la table d'opération, je criais - : « Reste ! »

Et voici qu'apparut à ses yeux, à mes yeux, sur l'écran, un chien blanc comme pavot brûlé jusqu'aux cendres. L'Apocalypse semblait avoir habité ce chien, avant qu'un juste feu le réduise à squelette tonnant. Sur son dos, un nain dont le visage ressemblait horriblement au mien. Il aiguillait le galop frénétique du chien, et sa bouche sans lèvres articulait quelque sentence inaudible. Tout autour de moi, de lui, du lévrier impossible, la végétation dépérissait et fanait sous l’effet d’un souffle glacial. Je commençais à avoir peur des effets de la drogue sur un esprit si jeune, voyant cette folie. Mais l'exaltation m'avait pris, je continuai la perfusion.

Lorsque la seconde forme pressa la seconde poche, j'entendis la voix, ma voix, tonner : " Reste !"

Alors surgit à l'écran, en tons trop contrastés, un autre chien, rouge-feu ; celui qui le montait, on lui donna de bannir le sang impur hors des veines de l'enfant, dont les artères, à l'écran, s’asséchèrent brusquement ; tout plasma en fut retiré. Seule la liqueur perfusée y demeura, et ses organes, mes organes, devinrent nerveux et coupants comme son cri, mon cri, était strident. Le chien rouge feu mordit le chien blanc, qui se dispersa tout à coup au sol, en poudre fine et légère.

Lorsque la troisième forme pressa la troisième poche, j'entendis la voix, ma voix, tonner : " Reste !"

Et voici qu'apparut à ses yeux, à mes yeux, un chien noir du noir de l'oxyde de l'aiguille vue au microscope ; celui qui le montait tenait à la main une balance à poudre. Il y pesait le limon blanc laissé par le premier lévrier. Alors sur la table, le ventre de la chair de ma chair se creusa, comme pris de famine, comme déjà crevé par la mort. Une terrible inquiétude m‘envahit tout entier. J'avais peur que ses spasmes le soustraient trop tôt à sa jouissance, à ma jouissance.

Lorsque la quatrième forme pressa la quatrième poche, j'entendis la voix, ma voix, tonner : " Reste !"

Et voici qu'apparut à ses yeux, à mes yeux, un chien écorché, décharné, dont les muscles roulaient autour des articulations ; celui qui le montait, on le nomme la Haine, celui qui décime mille armées d’un souffle, qui pénètre les puissants comme les faibles ; et l’Enfer le suivait. Alors le chien rouge feu et le chien noir s'entredéchirèrent, s'arrachèrent la peau l'un à l'autre, et il ne resta plus d'eux que l'image dédoublée de la Haine.

Lorsque la cinquième forme pressa la cinquième poche, et que le fluide coula goutte à goutte jusqu'aux doigts bleuis par le garrot, jusqu'aux veines du blanc des yeux, de ses yeux, de mes yeux, les lèvres de mon fils se couvrirent d’une écume blanche, tourmentée, et son râle commença. Je vis sa maigre carcasse se cambrer en arrière, malgré les sangles. Il se courbait jusqu'à ne plus toucher le métal que par le bout blanchi de ses talons, et l'arrière de son crâne.

Lorsqu'il allait mourir enfin, dans l'écran et mon pharynx, ma voix, mille voix crissantes lui hurlèrent : « il est fini le temps ! Oublie le poids de ta chair, oublie la maladie et l’infamie que sont ta vie. Goûte la délivrance que je t'offre, goûte-la bien car elle est la dernière chose que tu connaîtras jamais. Telle est le présent que chaque père devrait offrir à chacun de ses fils, car il n’est nulle autre finalité pour une vie humaine que souffrir sans cause et sans but et sans fin. Vas, et rejoins tes frères dans la longue plaine des sanglots et des murmures. Car ce que je t'ai donné, je le reprends. Et ce que je t'avais pris, je te le rends. »

Mon écran s’obscurcit ; lui, il quittait peu à peu le monde Où-Les-Choses-Sont-Ce-Qu’Elles-Paraissent-Etre.

Lorsque la sixième et dernière forme pressa la sixième et dernière poche, il se fit un violent tremblement dans la carcasse de l'enfant, et l'écran s'éteignit, après qu'un flash ultime l'ait rendu flamboyant comme sang, et le râle se fit souffle, et les sangles se détendirent à nouveau. Le souvenir des formes peu à peu s’effaçait de ma rétine.

Mais la peine m'envahit à mesure que l'exaltation fuyait ; je me vis devant le corps du défunt juvénile, et le désir me prit de le voir vivre encore. Je remontai de la cave, ma femme devait m'attendre dans ses draps tièdes.

Car là est mon destin, faire naître selon Dieu, mais selon sa justice, qui pourrait laisser vivre ?