Serial edit 5 : lambda

Le 23/11/2005
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par Lapinchien
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Rubriques / Serial Edit
Lapinchien reprend totalement à son compte le texte d'Aka, change le contexte, le style, l'histoire. Hormis une structure en six points, l'épisode n'a plus rien à voir avec l'Apocalypse qui servait de point de départ à la rubrique. Le style est plus léger et dynamique, ça rend le texte fluide et agréable. Texte excellent, même si Lapinchien a pris beaucoup de libertés, il a écrit un épisode inspiré du précédent au lieu de l'éditer strictement.
Textes précédents :

- Extrait de l'Apocalypse

- Apocatrip par Nounourz
- Sainte-morphine par nihil
- Le fils spirituel par Glaüx
- Sous terre par Aka
J’ai le souffle coupé. J’arrive plus à respirer. L’autre connard m’a pris par le cou et sert de toutes ses forces. Mes tempes palpitent. Le sang afflue dans mes yeux. J’ai l’impression qu’ils vont exploser. Putain… Jamais j’n’aurais cru pouvoir passer à l’acte. Saloperie d’obsession à la con que je traîne depuis des lustres …

J’habite Porte de Clichy. Tous les jours, j’prends le RER C jusqu’au champ de Mars. Je taffe dans le coin.
C’est assez rapide comme trajet mais j’ai l’impression que çà dure des heures. Je hais ma vie. Je hais ce que je suis obligé de faire pour subsister. Je hais l’inconnu qui tous les jours s’assoit en face de moi dans la rame. J’y projette toute ma hargne de ce monde.

C’est imparable. Dès que le RER s’arrête à la station Avenue Foch, je l’attends. Et depuis 3 ans maintenant tous les jours, il est venu. Il entre dans la voiture, me repère, et prend place en face de moi. Je le fixe. Il me fixe. Je lui fais comprendre du regard sans jamais mot lui dire que j’aimerais le répandre dans tout le wagon. J’ai capté qu’il en était de même pour lui. On incarne la cause enfin trouvée de tous les malheurs l’un de l’autre.

Six minutes, six minutes de jouissance animale. Dans ma réalité, elles durent une éternité. J’en apprécie chaque seconde. Ce sont elles qui font mes journées, ce sont elles qui font que je me sens vivre. Le reste du temps, je suis catatonique et déprimé. A la souffrance physique s’ajoute la déchéance morale. Ma bouche est pâteuse sous l’effet des antidépresseurs. Mais je salive à cet instant, je domine mes drogues, mes peurs et je domine la terre entière…

Six. Mon enfance de merde, un père absent, bien trop lessivé par son boulot d’esclave pour s’occuper un minimum de son gosse le week-end, une mère alcoolique qui se défoule à coups de ceinturon sur son môme pour oublier que son mari ne l’aime plus, et qu’il en a engrossé d’autres depuis… Salopard de lambda de merde, tu pourrais être un des fils illégitimes que l’ paternel a disséminé aux quatre coins de la région parisienne ! Je ne sais pas la gueule que t’as… Tu crois que j’essais de deviner si je me reconnais dans tes traits ? J’en ai rien à foutre de ta gueule ! Je vois tes yeux bleus de merde et j’y plonge… Je vais te les arracher de l’intérieur après avoir fait pété ta mâchoire à coups de pompes et avoir perforé ton palais avec mes doigts. Tu es l’autre et rien de plus : « tu vas payer pour ça ! »

J’oublie tout le reste. Le train évolue dans un domaine relativiste. Les stations défilent et ne font qu’une en même temps, leurs noms se mélangent. Les autres usagers n’existent pas. Ils ne sont que des traînées stéréoscopiques à l’arrêt. Des trajectoires sans intérêt qui apparaissent et s’évanouissent dans des fade in et fade out en transparence.

Cinq. Ma scolarité de merde dans une ZEP à deux balles. Je suis au fond de la classe et j’entrave que dalle à ce que raconte l’extraterrestre sur le pupitre. L’inconnu, le lambda, t’es sûrement une de ces petites putes qui lève la main au premier rang ? Tu fais le malin pasque t’as des lauriers et des images alors que moi j’passe mes récrés au piquet ? Tu t’ prends pour un génie hein mec ? Pour un dieu de l’a dictée et des soustractions ? T’es qu’un enculé de collabo de merde, et ta réussite tu ne la dois qu’à mes échecs ! Tu sais pas qu’j’ai un canif dans la poche hein ? Vas-y lève le doigt, connard ! Je vais te chopper le poignet, j’vais te l’broyer, saloperie, j’ vais te sectionner ton index de merde pour que tu gueules. Puis j’vais te l’carrer dans ta trachée jusqu’à ce que t’en vomisse ta langue de pute de collabo de merde ! « Crève ! ».

Avenue Foch, Avenue Henri Martin, Boulainvilliers, Avenue du Président Kennedy, Champ de Mars… Les même quais salles et puants… les mêmes pigeons, les mêmes fientes, les mêmes crachats et chewing-gums sur le sol, l’odeur de l’urine est universelle, les mêmes papiers gras qu’on jette à coté des poubelles… les mêmes enculés de bourges à deux balles qui prennent le train par souci écologique.

Quatre. Les femelles… Que des putes à la recherche de produits de grande consommation. Le prince charmant se livre sous cellophane de nos jours. Et elles n’ont d’yeux que pour lui. Mes échecs à répétition, les saloperies de râteaux qui te font une super carapace sur un dedans tout explosé, c’est sûrement à toi que j’ le dois, hein, petite merde de lambda ? Combien de chiennes dont j’étais amoureux fou, ont craqué pour ta sale gueule de phoque ? Combien de vies, j’ai raté à cause de toi ? Ta bite de merde t’en à plus besoin. T’as dû te l’éroder sur tellement de culs qui ne t’étaient pas destinés que ton gland doit être complètement insensibilisé maintenant. J’vais te choper les burnes et t’émasculer à grands coups de poings. Et quand tu te traîneras par terre de douleur, je te défroquerais et je te sectionnerais ce qu’il restera de tes couilles avec mon canif : « Profite bien du moment, rares sont ceux savent ce que l’on ressent lorsqu’on se fait labourer la prostate à coups de rangers. »

Lumière et obscurité se succèdent à intervalle de plus en plus rapproché. Ce sont des coups que la réalité me porte. Elle me sert au corps et m’assomme mais qu’elle ne m’avoue pas vaincu. Je tiens un de ces putain de représentant en face de moi, à ma merci depuis 3 ans….

Trois. Turbiner comme un con, me lever tous les matins pour bosser comme un dingue jusqu’à pas d’heure pour trois caillasses dans la gueule à la fin du mois. Le tout sous le mirador d’un boy-scout soit disant responsable mais qui en cas de pépin ne se prive pas de te refourguer la responsabilité pour laquelle il est si confortablement rémunéré. L’inconnu, le lambda, hein que t’es un de ces connard de cadre que je peux pas encadrer ? J’vais te foutre un coup dans la nuque avec mon portable et tu vas t’effondrer net. Et toi qui sais si bien me dire ce que je dois faire, ben tu vas choisir quelle est la meilleur façon d’être éviscéré en place publique. J’vais faire de toi de la marmelade Andros et la pulpe de tes organes te servira de linceul.

Tu crois que toi, Emissaire de l’altérité, du non-moi, tu me fais peur ? T’es rien comme tout le reste. Je suis seul contre vous tous, ou devrais-je dire contre toi ? Vous n’êtes qu’une masse difforme et grossière comparés à ma personne. Je suis stable et vous n’êtes rien encore, en perpétuelle mutation, en permanente modulation. Vous tentez de vous adapter à mon apparition, vous tentez de former un consensus, une unicité pour la confronter à la mienne, me prendre la vie ? Vous cherchez à me digérer de nouveau dans la mélasse : hein que c’est votre but ! Mais vous n’êtes rien pour l’instant, un magma bouillonnant ne sachant pas sous quelle forme se cristalliser, pour mieux me cerner et m’anéantir. Vous êtes un échec.

Deux. Assisté de merde, handicapé social, c’est dans ta poche de glandeur que vont mes retenues salariales… J’suis sur que t’es qu’un connard de chômeur à la con. Tu crois qu’avec mon curriculum j’ai pas lutté peut être pour trouver du taf ? J’vais te montrer de quelle autre façon, je peux te venir en aide… Une aide définitive… Même plus besoin de tendre la main, un connard ? J’ai plus de respect pour les clodos que pour ta gueule ! L’état se charge de venir cueillir directement le fruit de mes efforts à ta place, c’est ton émissaire hein, il vient me braquer pour ton petit confort… Tu m’ gaves ! Tu fais partie de la masse ? Ah c’est pour le bien du système ? Vient avec tes potes connard ! J’en ai rien à foutre de vos gueules, vous pouvez clamser que çà me ferait ni chaud ni froid… Tu m’indiffères, connard, pourquoi tu crois que çà fait 3 ans que je te fais face sans sourciller ?

Un, d’habitude je me lève car le RER ne va plus tarder à entrer en gare. Je ne sais pas pourquoi, mais aujourd’hui, j’ai vu mon reflet dans tes yeux bleus, lambda, et le moment où s’atténue ma rage, le moment où je reviens à d’autres niveaux de considération, ce moment où la déprime me regagne, où catatonique je suis résigné alors à aller bosser car tout simplement l’heure et le lieu sont venus, ce moment là n’était pas au rendez vous aujourd’hui. Je me suis jeté sur toi avec l’intention de te vitrifier la gueule. La haine décuple les forces et bien que je m’aperçoive pour la première fois que tu es bien plus musclé que moi, je n’ai pas pu m’empêcher de te décocher un coup de portable en plein dans la tempe gauche. Çà n’a pas eu l’effet escompté… J’aurais juré pourtant. Depuis 3 ans, je te voyais t’affaler comme une merde, je sortais alors mon canif et je te pourrissais de coups. Au lieu de çà tu m’as chopé à la gorge, tes pouces ont brisé ma pomme d’Adam et ils s’enfoncent doucement alors que tu serres ta prise pour m’étouffer.

Et c’est frustré que je pars, que je meurs. Un usager vient de tirer le signal d’alarme. Tiens, tout le réel, tout le système n’était pas contre moi ? Il a gagné, il m’assimile, le chancre est éradiqué pourtant…

J’expire un dernier souffle. Zéro.