Scène 1 : 14H38
Jester gare son fourgon HAPPYWARE devant la grille. Une maison assez cossue. Il ouvre la portière arrière, empoigne une petite mallette, verrouille son véhicule et passe son badge devant le lecteur. Les portes de la demeure se débloquent. Il peut alors franchir le jardin, puis la porte d’entrée. Les volets sont hermétiquement clos et l'intérieur baigne dans l'obscurité. Premier problème : visiblement, l'éclairage ne fonctionne pas. Il allume sa lampe torche et se met en devoir de trouver le boîtier de commande du réseau domotique. Mais soudain, des plaques d'acier glissent dans leurs rails et obstruent toutes les ouvertures donnant sur l'extérieur, ce qui le fait sursauter. Il promène le faisceau de sa lampe sur les murs du vestibule et s'arrête sur les taches de sang qui maculent le carrelage, non loin de la porte qui donne sur le corridor. Il perçoit alors un bruit mécanique provenant des profondeurs du couloir.
Jester gare son fourgon HAPPYWARE devant la grille. Une maison assez cossue. Il ouvre la portière arrière, empoigne une petite mallette, verrouille son véhicule et passe son badge devant le lecteur. Les portes de la demeure se débloquent. Il peut alors franchir le jardin, puis la porte d’entrée. Les volets sont hermétiquement clos et l'intérieur baigne dans l'obscurité. Premier problème : visiblement, l'éclairage ne fonctionne pas. Il allume sa lampe torche et se met en devoir de trouver le boîtier de commande du réseau domotique. Mais soudain, des plaques d'acier glissent dans leurs rails et obstruent toutes les ouvertures donnant sur l'extérieur, ce qui le fait sursauter. Il promène le faisceau de sa lampe sur les murs du vestibule et s'arrête sur les taches de sang qui maculent le carrelage, non loin de la porte qui donne sur le corridor. Il perçoit alors un bruit mécanique provenant des profondeurs du couloir.
Machinalement Jester s’adosse contre le mur. Quelques gouttes de sueur perlent sur son front. Sa main s’engouffre dans la poche de son veston à la recherche de son téléphone portable. Le bruit strident se fait de plus en plus oppressant. Il s’approche de lui mais il n’arrive pas à en localiser la source. Jester balaye frénétiquement tout le corridor avec le cône de lumière de sa lampe portative, tout en longeant le mur. Soudain ses mouvements se figent. Un large sourire vient se substituer aux traits crispés de son visage. Ce bruit provenait sûrement d’un des drones aspirateurs qui arpentent tout bêtement la maison pour la nettoyer. C’est alors que ses pas viennent buter sur un objet mou. Il perd l’équilibre et se retrouve sur les fesses. La lampe lui échappe des mains puis se met à tournoyer, à rouler sur la moquette jusqu’à une rapide immobilité. Le faisceau de lumière s’arrête sur l’ouverture donnant sur la cuisine. Il y a là un drone effectivement, mais il ne s’agit pas d’un aspirateur. Que peut bien faire la tondeuse à gazon à l’intérieur de la maison ?
Son sang ne fait qu'un tour. Les tâches d'hémoglobine sur le mur du vestibule, la tondeuse à gazon dans le couloir, ce corps mou sur lequel il vient de buter... Un abominable scénario s'organise dans ses neurones en l'espace d'une fraction de seconde. Pareilles à des yeux rouges au regard féroce, deux lueurs se sont allumées au sommet de l'automate et lui donnent un air sadique de monstre venu du fin fond des égouts, qui s’approcherait lentement de lui en savourant d'avance le goût de son pancréas. Mais soudain, une myriade de lampions multicolores s'allume sur toute la surface du drone, deux membres métalliques chaussés de savates bleues à pois jaunes s'en extirpent prestement, puis se mettent à danser des claquettes, tantôt sur le sol, tantôt sur les murs ou le plafond, tandis qu'une mélodie ternaire, joyeusement rapide, résonne dans le couloir et qu'un chœur de voix féminines déclame, sur un ton allègrement folâtre : « Raaaaazzmot ! Laisse tes bottes ! Raaaaazzmot ! Il a la bougeotte ! Raaaaazzmot ! C'est ton pote ! Raaaaazzmot ! Ca dépote ! ». « Saloperie d’auto réclame à la con ! », souffle Jester, « Ce drone tordu m’a fichu la pétoche ! » Puis en s’adressant par dépit à la tondeuse : « Connerie de machine, on bosse dans la même boîte ! J’viens te livrer un nouveau copain ! Le tout dernier Zoltron 2500, l’ordinateur personnel le plus puissant de notre cher consortium !» D’un gros coup de poing sur l’interrupteur au sommet du drone, le livreur le déconnecte mettant un terme à son incursion irrationnelle.
« Faudra quand-même que je signale ce bug ». Jester, un peu claustrophobe est soudain pris de panique. Il se rue sur la porte d’entrée. Mais il a beau tirer sur la poignée de toutes ses forces, le passage reste irrémédiablement bloqué. Sa main gauche finit par dégotter son portable au fond de sa gabardine. L’infortuné tape fébrilement les 6 digits qui doivent lui garantir l’accès aux options de télécommande universelle du cellulaire. Il tente vainement de déverrouiller la porte. Le livreur se penche pour ramasser sa lampe torche mais au moment où il va la saisir, il est surpris par un courrant d’air tout près de ses phalanges. La lampe disparaît subitement, comme avalée par le néant, la tondeuse Razmot dans la pénombre vient de la happer. Jester retire promptement ses mains avant qu’elles ne finissent en charpie. « Bordel ! Mais je t’avais pourtant débranché… » Comme il n’y voit rien, il tente de se déplacer à tâtons, mais plusieurs fois, il manque de trébucher. Et comme il n’arrête pas de faire tomber tous les bibelots qu’il croise et de se prendre des coins de meubles, il se résigne à utiliser la veilleuse de son portable pour arpenter la demeure du client, qui ne sera pas content de toutes façons maintenant.
Mais la batterie de son téléphone ne tiendra pas longtemps. De plus, la faible clarté de son lumignon ne lui permet pas de voir bien loin. La tondeuse, même à sa plus haute vitesse de rotation, demeure absolument silencieuse. Elle a disparu de son champ de vision, et il se sent d’autant plus en danger qu’il est incapable de savoir d’où peut surgir la menace. S’il se trouve de nouveau nez à nez avec le monstre, il faudra qu’il trouve un moyen de lancer le programme de publicité automatique, comme il a involontairement réussi à le faire une minute plus tôt. Mais il n’a pas le temps de réfléchir à la question plus avant. Son pied bute de nouveau sur l’objet mou qui l’a fait trébucher. Il se baisse avec appréhension pour regarder : lentement, très lentement, il a l’horreur de découvrir ce qu’il prend d’abord pour un gros gigot ensanglanté… il s’agit en fait d’une jambe. Celle d’une petite fille. Jester ne s’en émeut pas. Il passe sa main dessus en la caressant. Elle est si douce, si délicate. Dommage qu’elle soit dorénavant séparée du reste du corps. « Fifille, fifille… », balbutie Jester qui vient de passer le portillon de l’antre de la folie. Mais alors qu’il se relève l’air hagard, il sent comme un léger courant d’air sur sa nuque… Les gouttelettes de sueur sur sont front s’évaporent. Une fraîcheur intense le gagne et l’emplit d’une sérénité qu’il n’a jamais connue auparavant.
« Fait pas beau, fait chaud, dans la couche d’Ozone y’a bobo ? Sirocco, coco, c’est l’Ventilo qu’il te faut ! » Ce slogan débile fait office d’extrême onction pour Jester. Les pales du ventilateur viennent lui trancher la tête, la lui projetant tout au fond de la cuisine, très loin du reste de son corps qui s’affale sans vie sur le plancher. Une pluie de confettis et de cotillons sortent du boîtier sous le rotor du ventilo, et viennent s’éparpiller sur la marre de sang qui orne à présent le corridor.
Scène 2 : 7h51
« Conchita, je suis en retard, vous conduirez les enfants à l’école après qu’ils aient fini leur petit dèj… », Maurice est un cadre modèle, jamais à la bourre à son boulot qu’il adore. « Et pis n’oubliez pas qu’à 9h, un coursier vient livrer mon tout nouveau portable… » Maurice est un battant, il a tout ce dont un homme comblé peut rêver : Plein de pognon, une belle baraque, une femme morte, plein de putes qui le harcèlent, deux grosses voitures dans le garage, un beau jardin avec une superbe piscine et une truie latino pour torcher ses boulets de gamins. « Papa, je peux emmener Rexbot avec moi en classe aujourd’hui ? » Jenny, c’est sa fille cadette… Enfin c’est ce qu’il croit, feu madame Maurice avait le feu au cul et culbutait tous les mecs qui passaient le seuil de sa porte… Elle est morte d’un cancer de la chatte, qu’on vienne me dire qu’y a pas de justice en ce bas monde… « Non Jenny, tu sais très bien que les drones sont interdits pendant les cours ! », interrompt Howard, le bâtard aîné de la famille à peine plus âgé que sa conne de sœur. « Arrêtche de fairche la moralche à Jennyche ! », beugle Conchita la nourrice de ces joyeux bambins, « Ch’est pas bienche de direche aux autrches ce qu’ils doivent fairche ! » Elle a un accent de merde comme tous les latinos qui parlent anglais alors qu’ils pourraient très bien parler espagnol, langue officielle des Estados Unidos de America depuis 2055.
Maurice a une particularité non négligeable. Il vit dans le futur, un futur où l’homme maîtrise enfin son destin, un futur où il n’y a plus de place pour le hasard, un futur où le moindre petit objet dans une maison a une adresse I.P. fixe et est asservi à un boîtier central domotique qui en régule les dépenses énergétiques, un futur où les humains sont des dieux assistés par des esclaves : des drones terminaux contrôlés par le boitier, la seule et unique intelligence artificielle de la maison.
Son sang ne fait qu'un tour. Les tâches d'hémoglobine sur le mur du vestibule, la tondeuse à gazon dans le couloir, ce corps mou sur lequel il vient de buter... Un abominable scénario s'organise dans ses neurones en l'espace d'une fraction de seconde. Pareilles à des yeux rouges au regard féroce, deux lueurs se sont allumées au sommet de l'automate et lui donnent un air sadique de monstre venu du fin fond des égouts, qui s’approcherait lentement de lui en savourant d'avance le goût de son pancréas. Mais soudain, une myriade de lampions multicolores s'allume sur toute la surface du drone, deux membres métalliques chaussés de savates bleues à pois jaunes s'en extirpent prestement, puis se mettent à danser des claquettes, tantôt sur le sol, tantôt sur les murs ou le plafond, tandis qu'une mélodie ternaire, joyeusement rapide, résonne dans le couloir et qu'un chœur de voix féminines déclame, sur un ton allègrement folâtre : « Raaaaazzmot ! Laisse tes bottes ! Raaaaazzmot ! Il a la bougeotte ! Raaaaazzmot ! C'est ton pote ! Raaaaazzmot ! Ca dépote ! ». « Saloperie d’auto réclame à la con ! », souffle Jester, « Ce drone tordu m’a fichu la pétoche ! » Puis en s’adressant par dépit à la tondeuse : « Connerie de machine, on bosse dans la même boîte ! J’viens te livrer un nouveau copain ! Le tout dernier Zoltron 2500, l’ordinateur personnel le plus puissant de notre cher consortium !» D’un gros coup de poing sur l’interrupteur au sommet du drone, le livreur le déconnecte mettant un terme à son incursion irrationnelle.
« Faudra quand-même que je signale ce bug ». Jester, un peu claustrophobe est soudain pris de panique. Il se rue sur la porte d’entrée. Mais il a beau tirer sur la poignée de toutes ses forces, le passage reste irrémédiablement bloqué. Sa main gauche finit par dégotter son portable au fond de sa gabardine. L’infortuné tape fébrilement les 6 digits qui doivent lui garantir l’accès aux options de télécommande universelle du cellulaire. Il tente vainement de déverrouiller la porte. Le livreur se penche pour ramasser sa lampe torche mais au moment où il va la saisir, il est surpris par un courrant d’air tout près de ses phalanges. La lampe disparaît subitement, comme avalée par le néant, la tondeuse Razmot dans la pénombre vient de la happer. Jester retire promptement ses mains avant qu’elles ne finissent en charpie. « Bordel ! Mais je t’avais pourtant débranché… » Comme il n’y voit rien, il tente de se déplacer à tâtons, mais plusieurs fois, il manque de trébucher. Et comme il n’arrête pas de faire tomber tous les bibelots qu’il croise et de se prendre des coins de meubles, il se résigne à utiliser la veilleuse de son portable pour arpenter la demeure du client, qui ne sera pas content de toutes façons maintenant.
Mais la batterie de son téléphone ne tiendra pas longtemps. De plus, la faible clarté de son lumignon ne lui permet pas de voir bien loin. La tondeuse, même à sa plus haute vitesse de rotation, demeure absolument silencieuse. Elle a disparu de son champ de vision, et il se sent d’autant plus en danger qu’il est incapable de savoir d’où peut surgir la menace. S’il se trouve de nouveau nez à nez avec le monstre, il faudra qu’il trouve un moyen de lancer le programme de publicité automatique, comme il a involontairement réussi à le faire une minute plus tôt. Mais il n’a pas le temps de réfléchir à la question plus avant. Son pied bute de nouveau sur l’objet mou qui l’a fait trébucher. Il se baisse avec appréhension pour regarder : lentement, très lentement, il a l’horreur de découvrir ce qu’il prend d’abord pour un gros gigot ensanglanté… il s’agit en fait d’une jambe. Celle d’une petite fille. Jester ne s’en émeut pas. Il passe sa main dessus en la caressant. Elle est si douce, si délicate. Dommage qu’elle soit dorénavant séparée du reste du corps. « Fifille, fifille… », balbutie Jester qui vient de passer le portillon de l’antre de la folie. Mais alors qu’il se relève l’air hagard, il sent comme un léger courant d’air sur sa nuque… Les gouttelettes de sueur sur sont front s’évaporent. Une fraîcheur intense le gagne et l’emplit d’une sérénité qu’il n’a jamais connue auparavant.
« Fait pas beau, fait chaud, dans la couche d’Ozone y’a bobo ? Sirocco, coco, c’est l’Ventilo qu’il te faut ! » Ce slogan débile fait office d’extrême onction pour Jester. Les pales du ventilateur viennent lui trancher la tête, la lui projetant tout au fond de la cuisine, très loin du reste de son corps qui s’affale sans vie sur le plancher. Une pluie de confettis et de cotillons sortent du boîtier sous le rotor du ventilo, et viennent s’éparpiller sur la marre de sang qui orne à présent le corridor.
Scène 2 : 7h51
« Conchita, je suis en retard, vous conduirez les enfants à l’école après qu’ils aient fini leur petit dèj… », Maurice est un cadre modèle, jamais à la bourre à son boulot qu’il adore. « Et pis n’oubliez pas qu’à 9h, un coursier vient livrer mon tout nouveau portable… » Maurice est un battant, il a tout ce dont un homme comblé peut rêver : Plein de pognon, une belle baraque, une femme morte, plein de putes qui le harcèlent, deux grosses voitures dans le garage, un beau jardin avec une superbe piscine et une truie latino pour torcher ses boulets de gamins. « Papa, je peux emmener Rexbot avec moi en classe aujourd’hui ? » Jenny, c’est sa fille cadette… Enfin c’est ce qu’il croit, feu madame Maurice avait le feu au cul et culbutait tous les mecs qui passaient le seuil de sa porte… Elle est morte d’un cancer de la chatte, qu’on vienne me dire qu’y a pas de justice en ce bas monde… « Non Jenny, tu sais très bien que les drones sont interdits pendant les cours ! », interrompt Howard, le bâtard aîné de la famille à peine plus âgé que sa conne de sœur. « Arrêtche de fairche la moralche à Jennyche ! », beugle Conchita la nourrice de ces joyeux bambins, « Ch’est pas bienche de direche aux autrches ce qu’ils doivent fairche ! » Elle a un accent de merde comme tous les latinos qui parlent anglais alors qu’ils pourraient très bien parler espagnol, langue officielle des Estados Unidos de America depuis 2055.
Maurice a une particularité non négligeable. Il vit dans le futur, un futur où l’homme maîtrise enfin son destin, un futur où il n’y a plus de place pour le hasard, un futur où le moindre petit objet dans une maison a une adresse I.P. fixe et est asservi à un boîtier central domotique qui en régule les dépenses énergétiques, un futur où les humains sont des dieux assistés par des esclaves : des drones terminaux contrôlés par le boitier, la seule et unique intelligence artificielle de la maison.