Les bêtes de poisse 2

Le 03/12/2005
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par Marvin
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Rubriques / Les bêtes de poisse
Le premier épisode de cette série a été saluée pour son écriture décalée et son glauquisme hypertrophié. Le second mérite les mêmes qualificatifs. C'est peut-être un peu moins frénétique, mais toujours aussi déjanté. On comprend toujours que dalle à l'histoire, mais on s'en prend plein les dents et on ricane.
2. Prend ton dû et sois une brêle
Hhhh..
Hh..
Hhhh..
Hh..
Hhhhhhhhhhrrr..
..aark..arRRKh..
Le sang, quand c'est vomi, déjà c'est pas bon, mais alors quand c'est vomi ET coagulé...

Après une semaine de squatte dans la chaudière, je peux penser comme un rat, et j'me dis qu'un rat, c'est super primitif dans le fond.
J'ai bien été obligée de reprendre mon boulot, après avoir eu une entrevue amère et salée avec mon chef de service. La bande de pourris... J'avais fais le bizutage comme qu'y disent. Je m'en fous, je retourne bosser, finalement, c'est pas ça qui va me rendre malade.
D'abord, on est TOUS malades.
Le premier qui viendra s'en plaindre trop bruyamment se verra charcuté par les gosses du coin. C'est que ça plaisante pas chez les mioches.
Et merde, faut encore que je charge les caisses, et que j'aille à l'entrepôt. J'aime pas l'entrepôt. Y'a un type là-bas qui découpe les gens qui a vraiment une tronche qui me revient pas. Il ressemble à mes furoncles. Et puis, il est pas commode. Il fait toujours exprès de laisser des boyaux par terre, juste pour que je me casse la gueule. Ca me met les nerfs à vif quand je dois tout recommencer à chaque fois, pendant qu'il me regarde en se marrant.
Je remarque une gamine pas vieille m'observer, à moitié cachée derrière mes caisses. Je laisse faire, histoire de voir si je vais réussir à patienter longtemps.
C'est agaçant à la fin.
La gosse me regarde avec un air hautain. Elle s'approche de moi et me balance comme ça :
- Eh ! T'es quoi comme métier ?
J'la regarde faiblement, de travers, et je réponds sans réfléchir (foutu pléonasme...) :
- Dégage.
J'ai même pas eu le temps de rebaisser les yeux qu'elle s'esclaffe de façon très irritante et gueule :
- Tu fais le trottoir ! Puuuute ! Pute pute pute pute pute !
Le pire, c'est que j'me marre même pas. Je bronche pas ni rien.
Je me crispe, je lui fous un pain et j'continue à charger les caisses dans le camion. Je vais vite, maintenant, j'ai vraiment pas envie qu'une douzaine de lutins carnivores s'abattent sur moi, d'autant plus qu'il y en a un peu entassés par morceaux dans les caisses que je charge.
J'me rends compte qu'il y a des gosses partout, morts et vivants, déchiquetés et entiers.
Même qu'y en a des vivants déchiquetés.
Allez, j'me dépêche. Dernière caisse, on ferme les portières, on se grouille de remonter. On se grouille j'ai dit.
On se grouille.
Je sens une douleur étonnante qui me cloue la jambe au sol.
Mmh. Non. C'est pas que j'ai pas peur de crever maintenant, mais j'ai surtout pas envie de me faire arracher ma peau centimètre par centimètre avec une pince chauffée à blanc. C'est parfois intéressant à voir, mais beaucoup moins à subir.
Je baisse lentement la tête, m'attendant à voir un bout de mollet manquant, déjà parti dans la bouche d'un gnome. Pas loin, c'est un piège à loup. Bien joué, j'avais pas vu l'piège. J'aurais pu marcher sur une mine, aussi. Pas de quoi se plaindre.
Décidément, la gosse avait raison, je suis une vraie pute aujourd'hui, une vraie pute à chance. Pas un seul mouflet se pointe.
J'ai très mal. Ca va pas non plus te chatouiller, un mollet broyé. Mais je l'ai encore sur moi, et c'est déjà pas mal. J'espère juste qu'on va pas me l'amputer, j'en ai besoin pour utiliser le frein. J'ai bien un ami qui se dit docteur, mais le pauvre, il délire sur la guerre à chaque fois qu'il boit, et à force, ça me flanque les boules. D'autant plus qu'il est incapable de faire sa chirurgie en étant sobre.
Faut être doué pour retrouver son chemin ici. C'est carrément devenu un paysage monochrome gris.
Trois clopes et demi plus tard, j'arrive sur les terrains vagues. Si je croise Stankson, je le jette dans un feu. Cet enfoiré m'a enfermé dans le local du compteur électrique pendant deux jours, ça m'a foutu un teint encore plus gris que ses yeux.
Les carcasses des tanks et les quelques os rongés m'indiquent que j'approche du point de livraison. Y'a un hangar au bout du terrain, c'est là que vivent les quelques bons chirurgiens, triés et directement exportés ici depuis leurs souterrains.
J'aime pas non plus cet endroit, des gens tarés vivent ici. Ils parlent bizarrement et mangent mes livraisons. Quand j'arrive, j'ai pas à attendre longtemps avant qu'ils courent vers ma camionnette et crient comme des jeunes chiens. Et des types en gris viennent, me font signer un papier, me filent de quoi de payer mon loyer et mes clopes, et me laissent partir.
Sauf que cette fois, y’a un sale brouillard de vermine, grise pour pas changer, et je manque me paumer entre les débris humains. Des vieux loups trop affamés pour bouger me laissent passer en me montrant des langues de vipères, je les recouvre avec le nuage de cendre que mon véhicule fait en passant.
Dix mètres plus loin, j'y vois plus que des ombres.
J'ai appris à ne pas paniquer dans des situations où tu peux te faire manger sans discuter par des gens qui sont peut-être de ta famille, comme t'as eu le malheur de garder un peu de ta conscience, t'arrive à voir que ce sont des humains.
J'arrête tout, et au risque de passer pour une bite molle, je fais marche arrière.
Trois restes de corps pendus aux poutres de ruines butent violemment sur la vitre du coté passager. J'suis allé trop vite.
J'entends des cris, comme des loups humains.
Et comme par miracle, la purée grise se lève légèrement, assez pour que je me rende compte que, oh bordel, mon chef est à 20 centimètres de ma gueule et me flanque la trouille de la journée. J'ouvre cette foutue vitre.
- T'allais pas partir ma grande... me dit le gus en gris.
- Ben nan... chef... J'ai les caisses.
- Décharge.
L'autre gus en gris-un-peu-plus-foncé me pousse. Ils se marrent. Allez... J'ouvre les portes arrières, et je décharge tout. Ca sent la barbaque moisie. Chais pas comment on peut prendre son pied à bouffer ça.
Gris-plus-foncé me frotte les cheveux.
- Eh, les pendus qui sont là, tu vas nous les préparer.
- Chuis que livreuse.
- Tu la ferme, saloperie, tu prends leurs membres et t'amènes à Nun. Il te paiera.
Les gosses de catin. Les croûtes. Ils se sont encore foutus de ma gueule. J'aime pas le boulot supplémentaire, c'est pas marqué dans les horaires, en plus.
Je case tout le gibier coupé pêle-mêle à l'arrière, ça excite les fous du terrain qui, pour une fois, vont pas me tenir les jambes jusqu'à ce que je daigne leur balancer quelques doigts.
J'ai les naseaux remplis de cendre, je remonte encore, et je me casse.
J'ai eu ma paye le quart d'heure qui a suivi, gerbé un bon petit coup, et j'ai rejoint Stankson en fin d'après-midi, pour prendre nos verres avant que les putes arrivent au parc pour les happy hours.