Enfer-sur-Seine

Le 01/01/2006
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par nihil
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Thèmes / Débile / Vie quotidienne
Quand on a du temps à perdre et rien de spécialement intéressant à dire, on peut toujours raconter sa vie de merde. C'est donc le récit d'une journée infernale au plus haut point, avec tout ce que ça comporte de rage vaine et de situations loufoques. On peut donc considérer ça comme un texte comique (très 'zone old-school' dans son genre) même si ce jour-là moi je rigolais pas du tout.
Ah, y a des jours… Des jours… Je crois qu’il y a des jours où on ferait mieux d’être mort. Voici donc le lamentable récit d’une de ces journées qu’on oserait aisément qualifier de merdique, de putain de bordel de merdique, d’enculé de chiottes d’enculé de merdique. Ce texte est en intégralité non-fictif, à mon grand regret.
Ce matin donc (en réalité c’était pas ce matin, c’était y a au moins six mois, mais on va pas se faire chier pour si peu, fermez-la, c’est moi qui raconte). Ce matin donc (je répéterai jusqu’à ce qu’on cesse de m’interrompre), ce matin donc je me lève à quatre heures du mat, ou quelque chose comme ça, une heure qui ne devrait pas exister, et qui se trouve placé sur le cadran plus tôt que celle à laquelle j’apprécie de me coucher. Bon, j’ai les yeux qui font des bulles, les cheveux sinistrés et du foin dans les jambes. OK J’essaie de me rendre présentable, ce qui tient du ravalement de façade et de la spéléologie amateur. Il faut dire qu’aujourd’hui je vais à l’hôpital d’Evry pour apprendre à faire des prises de sang. C’est bien ça, très très bien. Je suis content.
Evry ? Ais-je dit Evry ? Un frémissement parcourt mon échine. Evry c’est le putain de labyrinthe le plus incompréhensible de France, un amas de boulevards imbriqués, d’échangeurs tordus, de nationales sans panneaux. Je hais cette ville, je crois que j’aime encore mieux Amplepuis, ah ah ah, Amplepuis, ah ah ah. Bon je me suis muni d’un plan imprimé sur ce site d’enculés sournois de Mappy, mais je suis pas bien sûr de le comprendre. A vrai dire, j’ai beau le tourner dans tous les sens, je n’y comprends rien. En plus, apparemment le mot-clé « hôpital Evry », sur Mappy (tas d’enculés) renvoie à environ deux-cent possibilités, établissements médicaux, maisons de repos et autres conneries inutiles. Je suis pas bien sûr d’avoir choisi la bonne. Ca se présente mal. Mais bon, advienne que pourra, je suis un warrior moi, un vrai aventurier des temps modernes. Y aura sûrement des panneaux. On y croit à mort.
Je sors dans la nuit glaciale et hostile, muni de mon plan de merde et des coordonnées du cadre médical qui doit m’accueillir. Je m’engonce dans la carcasse froide de ma caisse. Allez, sois sage, saloperie de tas de boue, on t’as fait réparer la semaine dernière, on s’est fait enculer de 900 euros pour un fil dénudé, évite de me lâcher aujourd’hui. Les pannes de voiture avec une heure de sommeil dans le nez, c’est l’équivalent de la chiasse en épreuve de Maths au bac.

Evry, nous voici !
Jusque là, pas de problème, c’est indiqué, y a qu’à suivre l’autoroute. A cette heure, y a pas un chat. A hauteur d’Evry, c’est déjà un autre problème. J’ai en gros le choix entre « Evry-centre », « Evry-Ouest », « Evry-Nord », Evry Zone Industrielle », « Evry pourtour mais pas tout à fait ». Euh. Evry-Centre, ce sera très bien. Pouarf, malheur de misère ! Le dédale a fait une nouvelle victime, je ne sais plus ou je suis. Heureusement que j’ai pris de l’avance, sinon mon compte était bon.
Il fait nuit, il pleut, je m’arrête tous les dix mètres, en vrac pour essayer de comprendre où je suis. Je me dis que finalement apprendre à prélever des connards de vieux, c’était bien présomptueux de ma part et que je ferais mieux de rentrer retrouver mon nid douillet pour y mourir dignement.
Bon. Je demande ma route à des connards qui tentent d’éviter ce diable hirsute qui les agresse à cinq heures du mat. D’agression en agression, je me rapproche, mon but est tout près, il ne me reste plus qu’à trouver une putain de bordel de place de merde pour me garer. Parking ambulances et blessés, ce sera parfait pour moi, qui suis moralement blessé.
Mais ? Putain par où on rentre dans ce truc ? Passons-donc par le garage du SAMU. J’agresse un vigile des Urgences qui tente de me matraquer la gueule. Je sais, je sais, je n’ai rien à foutre ici. J’esquive et court dans les couloirs. Il se trouve que l’hôpital d’Evry ferait passer la ville elle-même pour un modèle de clarté tant il est bordélique. Je suis des panonceaux au hasard, Consultations, Réanimation, Enculade de saumons, Maternité, Urgences. Les Urgences, c’est là d’où je viens, mais il faut être clair : il vaut mieux retrouver un endroit connu que de continuer à s’enfoncer dans cet enfer.
Me revoilà à mon point de départ. Ayant appris de source sure que le service gastro que je cherche est situé dans un autre bâtiment (et ayant assommé mon interlocuteur de rage), je me retrouve dehors.
Je vois bien ma cible, au loin, mais y a un sacré bout de chemin pour y parvenir. Hors de question de reprendre la voiture, par là ça devrait y mener direct. En fait par là, ça mène direct dans le parc de l’hôpital. Il pleut toujours, le parc en question est un bourbier qui ferait passer le Vietnam pour le Saël. Je patauge jusqu’à une grille qui m’empêcherait d’aller plus loin, si je ne la franchissait pas à l’arrache comme un galérien que je suis.
Me voici enfin dans le bâtiment principal. Y a personne à l’accueil pour me dire où aller, mais y a des téléphones publics. J’appelle le cadre médical, pas de réponse. J’apprendrai plus tard qu’il est absent pour la journée. Il a du oublier jusqu’à mon existence. J’adore ça, être oublié.
Me revoici en train de déambuler dans les étages, de la boue jusqu’au cul, laissant de belles traces de pas mouillées dans les secteurs contrôlés.
Gastro nous voici ! Je rejoint à grand-peine le poste infirmier et j’attends. Je ne vois personne, je ne vois même pas de chiottes où je pourrais débarbouiller mon cul fangeux. Au bout d’un moment quelques infirmières maussades passent devant moi, comme si je n’existais pas. Je n’ose les interrompre. Un moment plus tard, je dois bien m’y résoudre, mais on m’explique avec surprise que les prises de sang sont déjà faites pour la journée. Je l’ai dans l’os profond. Je… Euh… Ca fait quel genre de bruit, une infirmière à qui on arrache les yeux tout en lui collant des grands coups de mallette dans la trachée-artère ? Je me retiens de vérifier, et je tourne casaque, la queue entre les jambes.
Putain. Putain de putain de putain de putain. Le pire, c’est qu’il faut que j’aille au boulot et que je me tape mes heures de la journée. Du coup, je suis à la bourre, faut que je bombe. Je vous épargne le trajet de retour jusqu’à la voiture, on est pas dans Rambo. A nouveau au volant dans Evry. En principe je dois me diriger vers Paris. Mais autant à huit-cent bornes de là, Paris est indiqué partout, autant ici, rien. J’ai droit à des noms de villes dont j’ai jamais entendu parler, du genre Grigny, Courcouronnes, Pourritude-sur-Seine. Allez hop, au pif, comme d’hab.
Et me voilà sur l’autoroute, à huit heures du mat en semaine, sur une autoroute qui mène vers Paris. Ceux qui ont habité la banlieue parisienne savent ce dont je parle. Mille, dix-mille, cent-mille bagnoles de connards d’employés tout autour de moi, rien qui bouge, un bouchon monstrueux. Je commence à claquer des dents, mon champ de vision tangue, je hurle, je brais, je hurle encore.
Evidemment cette autoroute n’est pas la bonne et m’éloigne de la maison, je ne m’en aperçois qu’une fois engagé dans ce bourbier mécanique immobile. La prochaine sortie est à vingt bornes, Savigny-sous-Orge. Vingt bornes à trois kilomètres heure de moyenne, c’est le bout du monde.
Bien sûr, c’est le moment où ma voiture décide de déclarer forfait. Poum, je cale au milieu de la voie, impossible de redémarrer. Ca commence à s’énerver derrière.    
Je vois rouge. Je me vois déjà sortir de cette saloperie de caisse, me mettre face à la file de connards aigris qui me klaxonnent, leur montrer posément ma bite avant de les abattre d’une rafale de mitrailleuse lourde. Hélas j’ai oublié ma mitrailleuse lourde dans le cul de mon chef de service. Ce sera pour la prochaine fois. En attendant je me contente de ronger mon volant, et de faire tousser le démarreur.
Après dix bonnes minutes je redémarre. Je sens que je vais recaler si je passe à nouveau à l’arrêt. Dans un bouchon, être à l’arrêt est un événement pour le moins courant. Je cale donc entre six et fois jusqu’à cette fameuse sortie, à ce stade je suis un monstre psychotique enfermé dans une camisole de métal, je ne suis plus sur d’être toujours vivant, je dégouline ma boue sur les sièges, j’en ai rien à braire, je donne des coups de poing dans le pare-brise. A Savigny, y a largement autant de monde que sur l’autoroute, seulement les voies sont plus petites.
Je m’arrête dans une station-service pour acheter un plan de la banlieue. J’ai une certaine chance : il n’y a pas de chien de garde pour me bouffer les couilles, la boutique est ouverte, les plans concernent bien la banlieue parisienne et pas la banlieue de Tokyo ou celle de Jupiter. Putain, c’est mon jour de moule, ce soir, j’encule un castor ! Au niveau de ma voiture, je m’imagine déjà avec un sabot au pneu parce que j’ai pas payé le stationnement, mais décidément j’ai une chance d’enfer, rien de tout cela, la voiture se contente de refuser de démarrer. Youpi !
Elle finit de mauvaise grâce par avancer et je traîne laborieusement le long d’avenues banlieusardes, qui se vident petit à petit de l’afflux de circulation. Il est dix heures trente, les gens sont maintenant au boulot, EUX !
Voilà ma banlieue, voilà ma ville, voilà mon quartier. Je m’échoue lamentablement sur la parking du boulot. Mon chef m’attend avec un grand sourire.
- Eh bien, il est onze heures. Si je compte bien, vous êtes là jusqu’à ce soit vingt-et-une heures ! Au boulot !
Je souris légèrement.