Local à poubelles

Le 30/01/2006
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par Lahyenne
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Thèmes / Obscur / Nouvelles noires
J'ignorais Lahyenne capable de pondre des textes structurés et sérieux et pourtant celui-ci l'est. C'est l'histoire de deux amis qui se retrouvent et se déchirent. C'est pas parfaitement écrit et pas forcément toujours adroit, mais l'intensité et l'émotion sont là, sans que ça tombe dans le grandiloquent ou le forcé. C'est pas mal du tout dans son genre.
Autour de moi, des poubelles. Leur odeur commence déjà à m'imprégner. J'avais peur de m'évanouir à cause de leur puanteur en rentrant, mais en fait je commence à m'y habituer. Des poubelles qui renforcent encore l'image de noirceur et de tristesse qui émane de ce local à poubelles. Un local comme tous les autres en somme. Sombre, triste, sans espoir. Il pue. Symbole de ma vie. Symbole de mon histoire.
Au milieu de cette crasse, je suis assis, un crayon dans la main droite, le papier dans la main gauche, reposant sur mes genoux. Pardonne-moi dès à présent pour les hésitations, la présentation et l'orthographe de ce bout de papier. Je sais que tu comprendras.
Il faut que je t'explique que ce n'est pas ma faute.
Je recommencerait toute la nuit s'il le faut, mais ce n'est vraiment pas ma faute.
Pas ma faute.
Je te promets, c'est pas ma faute.

Tout a commencé normalement. Ca faisait un bail que je n'avais pas revu Richard, au moins deux ans, et ce soir c'était l'occasion. On s'était appelés, mis d'accord sur une date et c'était ce soir. On a commencé par manger, tranquillements, et boire un peu.
On discutait, tu sais, comme deux amis qui trinquent en parlant du bon vieux temps. On était tous les deux amoureux, tous les deux contents de vivre, tous les deux avec une forte envie de parler et qui plus est de parler avec l'autre.
Souvenirs d'enfance, quand on foutait le feu aux paillassons de la montée d'immeubles où on avait grandi. Fous rires.
Souvenirs d'adolescence, de dessins de nichons en classe, attrapés par madame... qui déjà ?
Souvenirs d'étudiants, de groupe de rock, de beuveries, de nanas. Beaucoup de souvenirs de gonzesses. Et on boit, en trinquant à chaque fois et en se regardant dans les yeux.

Nous en sommes arrivés tout naturellement à parler du présent.
Tu sais, dans une discussion, il y a un moment où la discussion bascule. Où on passe d'une discussion de copains, qui prennent plaisir à se retrouver, à une discussion d'amis. D'amis qui parlent d'eux mêmes sans faux semblants, sans tergiverses. D'amis qui reflètent pour une fois qui ils sont. Cette transition s'est faite tout naturellement. Plus de mensonges, on évoque son âme. Ca paraît grandiloquent, mais il y a vraiment un peru de ça.
Et puis on a parlé de nos amours.
Et c'est là que tout a réellement commencé.
« Claire, elle s'appelle », qu'il me dit. « Sans déconner ? », j'ai répondu. Je devais avoir l'air d'un con avec ma bouche grande ouverte.
Ben ouais, pourquoi ?
Ma chérie aussi s'appelle Claire !

Là, on a tous les deux l'air d'un con. On se regarde, on éclate de rire, on se refélicite, et on s'embrasse. Puis on commence à les, à te décrire. Car tu le savais depuis longtemps n'est-ce pas ?
Tu devais bien rigoler à nous entendre parler l'un de l'autre, mais sans jamais faire le rapprochement.
Mais comment as-tu pû ?
Comment ? Je ...
Mais nous avons continué à discuter, trouvant la coïncidence formidable. Claire, une petite blonde, un petit nez, des grands yeux bleux rieurs, aime l'escalade et la danse...
Tiens ? Coïncidence encore ?
Claire, discrète malgré tout, aime ses petits secrets, ses instants volés.
Claire qui tousse doucement...
Claire qui ...
Claire avec ?
Claire que ...
Claire quoi ?
Claire c'est ... c'est ...

L'atroce vérité, ton atroce vérité nous a transpercé tous deux aussi sûrement que le Katana devait transpercer celui qui se faisait hara-kiri. D'un coup d'un seul, elle nous a brisé le coeur. Et nous avons pété les plombs.
On a hurlé, on s'est jeté dessus. Je crois qu'on a tenté d'abord de s'étriper parce que c'était nous, moi, l'autre que tu aimais vraiment. Puis on s'est battus par honte, par désespoir, par rève brisé, par surprise, par fierté et parcequ'on ne savait pas quoi faire d'autre. On a cassé tout un tas de trucs chez moi, je crois.
Mais ce n'était pas ma faute, tu comprends ? C'était pour toi !
Et il est tombé. La fenêtre était ouverte, nous avions chaud lors du diner. Il était bourré, moi aussi, et il est tombé.
Je ne l'ai pas poussé, je te le jure. Pas à ce moment là. Pas dans cette intension là.
Mais il est tombé.
En hurlant.
Et il a fait comme une atroce jolie fleur rouge tout en bas.
Et là, il y a eu un immense silence. Un silence environnant, de nuit paisible et calme. Un silence effrayant. Ce silence résonnait comme le calme absolu qui règne dans l'oeil d'un cyclone.

Et le bruit est revenu d'un coup. Le cyclone a commencé à se déchainer, encore et encore. Les voisins hurlent, une voiture écrase du verre en bas et part en pétaradant. Les voisins hurlent toujours. J'entends du bruit venant d'en bas, par la fenêtre, mais également de l'escalier de l'immeuble. Des cris, toujours plus de cris. Des bruits de course au dessus. J'entend comme dans un rève le voisin du dessus téléphoner à la police. C'est comme si j'étais au dessus de son épaule lorsqu'il parle de meutre, de défenestration.Et je reste planté là, au milieu de mon salon, ne sachant que faire. Ne réalisant pas encore en fait.
Le bruit m'entoure, me poursuit.
Une sirène commence à hurler dans le lointain, mais se rapproche, se rapproche et se rapproche encore. Je m'éveille d'un long cauchemar, et j'ai peur. Et la sirène commence à m'emplir le cerveau.

Alors j'ai commencé à courir. J'ai fui lâchement. J'avais la flemmede tout expliquer. J'avais peur de finir ma vie en prison. J'avais peur de la vérité. J'avais peur de t'affronter.
Je ne voulais pas te regarder dans les yeux, contempler ton regard plein de haine. Je ne voulais pas me haïr malgré ce que je savais ne pas avoir fait.
Ce n'était pas ma faute, et j'ai couru.
J'ai couru sans savoir où j'allais, pour fuir les sirènes obsédantes qui me hantaient désormais. Couru sans but autre que d'échapper à tout jamais à cette horreur, que de la laisser derrière moi.
Courir et courir encore. Avoir mal aux trippes, une douleur sourde qui efface toute autre pensée. Courir et le sang qui tape en cadence contre la fine paroi de mon crâne condamné.
Courir toujours.
Jusque ailleurs, jusque chez toi, jusqu'ici, ne connaissant rien d'autre que toi.
Jusqu'à tes ordures, ton rebut.
Jusqu'à ce papier et sa fin.
Jusqu'à ma fin.
Enfin.