La psychanalyse du feu

Le 13/04/2006
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par Aelez
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Thèmes / Polémique / 2006
Dès l'intro on sent qu'on aura affaire à un bon texte, et ça se confirme à chaque nouveau passage. Le héros est un étudiant en pleine dépression qui vient chercher les bons conseils du site psychologique bien connu : la Zone. C'est ainsi que pour exorciser son passé miteux, il décide de brûler celui qui a pourri son enfance... Un texte tout à fait très marrant.
En l’espace d’un mois, j’ai essuyé un largage en règle par cette salope de Myriam, la mort de ma grand-mère, et le décès abrupt et soudain de mon hamster russe. Dans la foulée, j’ai combattu la maladie, me mourant à petit feu dans la solitude des 17m² de mon studio-étudiant devenu insalubre pour l’occasion (effets combinés des relents de rongeur moisissant et des effluves méphitiques s’échappant à intervalles réguliers de mes intestins pourris). Après ça, j’ai sombré dans la dépression - lien de cause à effet, j’ai pris sept kilos et je me suis rendu compte que j’étais moche. Et bien que la mort me semblât être la seule alternative honorable à mon état, je poussai la couardise jusqu’à refuser de m’approcher de mon balcon.
Bref, après ça, disais-je, mon psy l’employé de la société de dératisation qui est venue s’occuper de mon appartement m’a dit : « ce qui ne tue pas nous rend plus fort ». Ce fut l’illumination. J’allais non seulement redevenir le jeune homme fier et fort d’autre fois, mais j’allais en plus acquérir la sagesse du serpent, la ruse du renard, et euh... bref.
Fort de ces résolutions, je me levai, allumai mon PC, et me mit à taper avec ferveur sur mon clavier logitec tout neuf. Rechercher : dépression, psychologie, test. Résultats : aufeminin.com, mademoiselle.net . Trop mièvre. Je suis un homme, bordel. sante-mag.fr, dochebdo.com . Trop intellectuel. Je suis étudiant, bordel. zone.apinc.org . C’est le site. Celui qui fera de moi un homme accompli.

Comme indiqué, j’ai donc rempli trois pages de questionnaire, essayant d’être le plus objectif possible même face aux énigmes les plus déroutantes (« tu suces ?», « t’avales ? »), j’ai écrit cinq sonnets sur les majorettes sans rechigner, j’ai consenti à tester mes réflexes sur une nouvelle version de Doom où on tire sur des pianistes après s’être auto-médicamenté à grand renfort de Xanax et de Stilnox.
Et - joie, bonheur, ravissement - mes efforts de furent pas vains. Le verdict tomba, clair, limpide, transparent :
« Notre interprétation : Il est évident que vous souffrez d’un trouble post- traumatique persistant se manifestant aux alentours de la vingtaine et lié à un choc psychologique intense ancien. Vous présentez tous les symptômes d’une enfance bafouée ; les réminiscence de vos humiliation vous assaillent : vous vous sentirez souillé et avili jusqu’à la déchéance de cet agresseur séculaire, jusqu’à sa mort par immolation.
« Notre herméneutique aléatoire : Ta chatte, ta chatte, ta chatte. Va mourir, enfoiré de bouffeur de gnou malgache. Connard de lémurien pornographe surnuméraire inférieur void DTCS. Taggle.
« Notre solution : La saint-con. »

Ainsi soit-il, j’allais donc brûler. Brûler celui qui, des années durant, avait fait de ma vie un calvaire. Celui qui avait ruiné mon enfance, qui m’avait humilié en mon for intérieur ; ce monstre qui m’a accablé, abaissé à l’état larvaire, l’être ignoble à cause duquel je me suis senti mortifié à chacune de mes erreurs. Celui qui m’a montré à quel point j’étais un être inférieur.
Petit Ours Brun allait mourir.

Petit Ours Brun, ce fils de pute. Après toutes ces années, j’avais réussi à me débarrasser de son image abjecte de peluche sclérosée à l’anus enfiché d’un manche à balais.
Longtemps, j’avais cru en lui. Petit Ours Brun n’était pas comme tous ces enfants sages fiers de leur moutonnerie : il balançait sa soupe à la gueule de sa conasse de mère, il rigolait en inondant la salle d’eau quand il prenait son bain, il pissait partout pour ne pas aller faire la sieste et vomissait sur le paillasson quand il rentrait bourré (où est-ce ma mémoire qui m’abuse ?). Mais chaque fois, c’était la même désillusion. Je pensais qu’enfin, il allait sortir un peu de la masse, affirmer sa différence et s’assumer complètement comme le préadolescent subversif que j’aspirais si fort à devenir… mais non, Papa Ours surgissait faisait les gros sourcils, et Petit Ours Brun allait passer la serpillière de la cuisine au pas de la porte sans émettre la moindre objection. Ce n’est pourtant pas que Papa Ours prenait la peine de développer une argumentation sans faille sur les faiblesses du comportement de son garnement.
L’évidence a donc fini par s’imposer à moi : il n’y a pas de place au troupeau pour les brebis galeuses. Il faut rentrer dans les rangs.
Petit Ours Brun et sa famille ont fait de moi un bordel de mouton. Je les hais.

Nous sommes le 8 mars. J’ai un mois pour localiser le repère des ours.

8 avril. C’est officiel. D’après l’alignement des planètes face à ton cul, la tanière de l’ours se situe dans la Creuse. J’achète donc mon billet pour Aubusson - billet de bus, cela va sans dire, aucune voie ferrée n’a encore osé s’aventurer jusque là - et je tente de m'équiper convenablement en vue de l’assaut.

10 avril, 7h30. Me voilà fin prêt. Je monte dans le bus, armé d’un jerricane d’alcool à brûler et d’un fer à repasser.    

15h15. Je chasse d’un geste irrité le nuage de moucherons voraces qui m’assaille depuis que j’ai passé la lisière de la forêt creusoise. Ca fait deux heures que je marche harnaché de mon équipement para-nucléaire et du groupe électrogène 5cv qui me servira à alimenter mon arme secrète au moment opportun. Tout ça commence à me peser sérieusement sur les épaules, et pour en rajouter un peu à mon état d’épuisement, j’ai la vague impression de tourner en rond. Incapable d’ébranler la ténacité du cumulo-nimbus d’insectes bourdonnants, je me vote une pause à l’unanimité.

15h30. Bordel, je suis complètement perdu. J’ouvre le jerricane d’alcool à brûler et je m’en jette un ch’ti pour me redonner du courage.

20h00. L’alcool à brûler, c’est comme le speed, mais en mieux. J’ai presque fini de quadriller l’intégralité de la des bois environnants. Si mes calculs sont bons, il y a 98% de probabilité pour que la tanière des ours se trouve dans les 764 hectares de frondaisons restants.

22h30. Je suis devant le repère de l’ennemi. Une maison en 2D située dans le plan (xOz) du repère terrestre supposé galiléen. Je me place face à la porte, à une côte y=85cm (une longueur de bras armé) de la charnière gauche. Je branche le fer à repasser, j’avale la dernière goutte de mon fantastique breuvage en attendant qu’il chauffe.

22h35. Je tire la bobinette. L’ourson devait s’ennuyer ferme à regarder Patrick Sébastien à la télé avec son papa, parce qu’il ouvre quasi-immédiatement. J’entends la maman ours crier « qui est-ce ? » depuis la cuisine où elle procède à son ouvrage quotidien.
Mon personnage est parfaitement au point : je suis un représentant en tupperwares qui passent au micro-onde. Comme prévu, ce sale enfoiré n’en a rien a foutre et en avise sa mère. Au moment ou il va me claquer la porte au nez, j’ajoute fort adroitement : « j’ai aussi du crack ». Ca fait son effet. J’en étais sûr.
Petit Ours Brun sors, me souffle « 140 euros », et referme la porte derrière lui. C’est le moment que j’attendais. Peste comme la foudre, je dégaine mon fer à repasser et coince énergiquement son humble gueule de connard en deux dimensions entre la porte rose et la semelle de mon arme.
Mouhahahaha.

L’ours a brûlé en moins de cinq minutes. Dans un élan de bienveillance envers les générations futures, j’ai repassé toute la maison, parents-ours compris. Elle se disperse maintenant au gré des vents, les bribes de ses cendres diaphanes virevoltant entres les feuillages délicats des bosquets alentours. Une larme de ravissement coule le long de ma joue, et achève sa course sur la semelle encore chaude du fer à repasser, laissant échapper un filet vaporeux dans un murmure d’allégresse. Grâce à moi, le monde va enfin retrouver sa quiétude. L’année prochaine, Candy va prendre cher du fer à souder dans son cul salope.