Jo le neuski

Le 16/04/2006
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par Aem
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Thèmes / Saint-Con / 2006
Nourz nous a dégotté une petite perle en la personne d'Aem, qui écrit très bien. Son texte est bien foutu, et son personnage Jo le déjanté, crasseux et alcoolique est bien sympathique. Bien que con à bouffer du foin, faut reconnaitre. C'est pas de la grosse rigolade qui tâche, mais c'est une très bonne nouvelle. Encore !
Il s’appelle Joseph.
Joseph, comme celui qui a bourré Marie à Nazareth.
Sauf que Joseph, il n’avait pas le charisme pour être une idole. Il n’avait pas la foi non plus.
Joseph refusait de se faire voler la vedette par un connard nommé Jésus, ou n’importe qui d’autre. Il voulait qu’on se rappelle tous de sa vie, et de sa mort.
Joseph, il n’avait rien pour lui. Pas d’intelligence hors du commun, pas une belle gueule pour faire craquer les filles, pas une ruse spectaculaire. Il était un peu con, Joseph. Un peu comme toi, comme moi, comme tout le monde.

Alors, à défaut de mettre au monde un anorexique crucifié, il a voulu devenir quelqu’un. Tracer son propre chemin, jouer son propre rôle dans le film qu’est sa vie, et écraser les pavés comme certains brûlent les planches. Faire de son existence banale un roman passionnant, un de Balzac pour la lourdeur du style et de Despentes pour le coté trash et rock’n’roll.

Joseph était un raté - c’est certain - mais un raté que l’on se devait d’admirer. Celui qui devait compter dans toutes les fêtes, et dont les aventures épiques où le protagoniste devait faire oublier sa laideur et la pauvreté de son âme au profit du risque et du danger.

Pour commencer, Joseph, il a voulu qu’on l’appelle Jo. Prononcez « Djo. »
Jo portait une veste en simili cuir acheté a Emmaüs, sur laquelle il avait accroché des badges qu’il avait fait lui-même en utilisant la machine « Super Badge it ! » que sa petite sœur avait reçu à Noël.

Jo, il répétait tout le temps « Do it Yourself ! » C’était la seule phrase qu’il connaissait en anglais. Même s’il se disait Trilingue. Parce qu’en Allemand, Joseph connaissait 5 mots. « Sieg Heil ! » et « Arbeit Mach Frei! »

Les samedi soirs, on le trouvait au bar PMU au coin de la rue, pas celui qui fait karaoké, non, l’autre. Celui dans lequel on passe de la bonne musique aux guitares saturées et aux chants victorieux prônant la liberté et la solidarité. Celui où les flingues tournent dans les chiottes pour homme, où les orgasmes vibrent dans l’arrière salle et où les bières coulent sur le comptoir et dans le gosier des amis attardés de Jo.

On était donc samedi soir, et c’est dans un pogo, mêlé à la sueur et au sang, que Jo s’est vautré sur moi, comme une énorme limace projetée à 50 kilomètres heure sur une vitre.
La vitre c’était moi, et la limace, une métaphore de la carcasse de Jo, ses chaînes cloutées et sa crête mal fixée fonçant droit vers la fenêtre, là où j’étais.

Jo m’a écrasé les pieds, Jo a fait tomber ma clope, renversé ma bière, arraché mes cheveux, salis mes fringues et ensanglanté mes mains. Pas de son propre sang, non, du mien. Celui de ma main qui est allée s’entailler dans la vitre que nos deux corps ont explosés en tombant.

Jo est tombé sur moi, comme une épave échouée au milieu de la mer. Une baleine lourde de 92 kilos fait de crasse et d’alcool.

C’est ça, le début de mon histoire d’amour avec Lui.
Une histoire à trois. Jo, son rat et moi.
Son putain de rat qui venait courir sous nos draps la nuit, dans sa bagnole quand on baisait après un concert, dans ma chambre quand son propriétaire s’endormait trop saoul pour le rentrer dans sa cage. Et puis de toute façon, Jo refusait de l’enfermer.

« T’aimerais qu’on te foute dans une cage et qu’on te fasse bouffer des barres de granulés chimiques toi ? » Qu’il me disait. C’était son argument fatal ça. Qu’est ce que vous voulez y répondre ? Alors j’ai laissé le rat bouffer mes fringues - les trous, ça fait punk. La moquette dans ma chambre - « T’as qu’a foutre du parquet » qu’il me répondait, et les restes de bouffes qui traînaient hors du frigo.

Jo me chantait des chansons d’amour.
« J’aime ta main quand elle caresse ma bite » des Ecureuils qui Puent. « Fais-toi putain » de Tulaviok.
Il faisait peur à mes parents et émerveillait toutes mes copines.

Mon petit ami est un neuski, que j’leur disais moi.
Je promenais Jo comme une fierté, il me sortait comme son gibier.
Sa proie, sa nana. La fille qu’il se tapait le samedi soir, et même parfois la journée en pleine semaine.

On débutait le week end en achetant des bières a Champion et en mangeant un kebab chez le Marocain au coin de la rue. Jo cherchait la baston et on se barrait sans payer en s’embrassant dans les rues, dans les coins sombres, sur les parking.

Le jour de mon anniversaire, Jo m’a amené sur le pont qui dominait l’autoroute, et on a regardé les lumières des camions et des Twingo vertes se perdrent loin sur l’asphalte, dans la nuit. Vers 23h30 on a du rentrer parce que son rat était seul à l’appart et parce qu’il avait peur qu’il bouffe les fils du PC.
Sa crainte, c’était pas que l’appartement crame dans un feu de joie magnifique, mais que le rat se prenne un coup de jus et qu’il crève. Ou que le PC tombe en rade et qu’il ne puisse plus télécharger de films porno le jeudi, pendant que je bossais au restaurant de ma mère.

Un jour, alors que j’allais vider le trop plein d’alcool qui me restait en travers de la gorge dans les chiottes du bar pmu cité plus haut, j’ai vu Jo baiser ma meilleure amie. Il lui faisait des trucs dingues, et elle gueulait comme j’ai jamais gueulé en s’agrippant à sa crête et en lui disant « putain c’est bon, continue, putain. »

Je suis rentrée chez moi en chialant, du mascara pas waterproof du tout me coulant dans les yeux, le vent s’engouffrant sous ma jupe. Je tremblais de dégoût, de rage et de froid. En arrivant dans ma chambre, j’ai vu son putain de rat posé sur mon lit entrain de grignoter un vinyle d’OTH que j’avais payé 120 euros. C’était trop, trop pour moi, pour ce soir, pour nous deux. Nous trois, pardon.

J’ai attendu pendant des heures qui m’ont parues interminables. Tournant en rond comme un chien enragé entre quatre murs. Cognant les vitres parfois, moi-même, souvent. J’ai pris une douche froide en me disant que l’eau qui tombait sur ma peau était rouge. Comme une pluie de sang, de son sang.

Il est finalement rentré vers 5 heures du matin. Je ne l’attendais plus. Il s’est écroulé sur le lit en me demandant si j’avais nourri le rat.
Lentement, j’ai saisi ses bras, je l’ai aidé à se retourner, puis, je suis montée sur lui.

-    Non, pas maintenant, je suis fatigué.
-    Ah ouais ?
-    Ouais, c’était crevant ce soir, les flics sont venus et …
-    Fonkie est mort.

Flottement dans la scène. L’air était lourd, saturé par le silence.
Ses mains se sont collées à ma taille et il m’a envoyé valser contre le mur.

-    QUOI ?
-    Ouais, enfin… presque.

Je lui ai souris, d’un air qui se voulait rassurant mais qui était seulement sadique. Il s’est levé en prenant appui sur le mur et m’a gueulé je ne sais quoi. Des mots, toujours des mots. De trop cette fois ci.

-    T’es fatigué mon amour, allonge toi et on en reparle demain, ok ?
-    Putain … IL EST OU ?
-    T’as pas faim ? J’ai préparé du roti.
-    QU’EST CE QUE T’EN A FAIT, BORDEL ?

Je lui ai demandé une nouvelle fois, s’il n’avait pas envie de manger un peu, parce que moi putain, je crevais de faim. Finalement je suis allée à la cuisine et il m’a rattrapé en me demandant ce que je foutais. Quand j’ai ouvert le four, là, il a compris.

-    Quand même, le Zyklon B, ça devait vraiment être efficace.

Il n’a pas trouvé ça drôle. Moi, je m’écroulais sur la table dans de drôles de contorsions dues au fou rire qui me prenait soudainement. Le pauvre petit Fonkie tout dur, tout raide, posé dans l’assiette à fleur de ma maman.

-    Oh regarde, il bouge encore. Attends je vais le remettre, thermostat 7 cette fois.

Il fixait le rat, ou les miettes sur la table, ou l’assiette à fleur de ma mère. En tout cas moi, il ne me regardait pas moi. Alors je l’ai pris par la main. Il me l’a broyé. J’ai souris, puis grimacé. Et finalement, avec le couteau que j’avais pris pour découper le rat, j’ai enfoncé la lame du plus profond que je pouvais, quelque part entre ses côtes.

L’effet fût immédiat, Jo lâcha ma main.
Jo tomba à genoux et le son lourd de son corps qui s’affaisse sur le sol me rappela le doux souvenir de notre première rencontre. Je le lui ai fait remarquer, il ne m’a rien dit.

« Mieux vaut mourir debout que toute une vie à genoux. »

Jo allait crever assis, je l’avais décidé ainsi.
J’ai cogné contre sa tête, je me suis fait mal aux pieds.
Alors avec le couteau, à plusieurs endroits, j’ai enfoncé.
La lame était rouge et Jo gueulait à peine.

Je l’ai finalement attaché.

« Non Jo, c’est pas pour faire du Bondage » que je lui ai dis.

Une fois encore, Jo n’a pas rit.
J’ai lentement découpé Fonkie en fine lamelles et je l’ai forcé à le bouffer. En finissant par la queue, bien entendu.
Jo bavait et tremblait de peur, j’ai bien cru qu’il allait gerber après avoir avalé le rat. Je m’en serais presque voulue, à me demander si c’était parce que la viande était mal cuite, ou parce que tout simplement, il n’aimait pas le goût.

Je l’ai encore fait un peu boire, parce que la bave au coin des lèvres, c’était pas ce qu’il y a de plus sexy au monde.
Je comptais le garder comme ça pendant plusieurs heures, plusieurs jours, l’éternité. Du moment que le rat était mort et qu’il ne couchait plus avec mes copines, je l’aimais toujours.

Mais Jo est fourbe. L’enculé. Alors que j’allumais une clope d’une main, tenant une bouteille de vodka de l’autre, Jo a voulu me faire tomber de ses genoux.

Et je suis tombée. L’allumette, la cigarette, et la vodka avec.
Moi sur le sol, le reste sur les genoux de Jo.

Le feu s’est embrasé et Jo, mon Jo, est devenu rouge, puis orange. Comme un sapin de noël en quelque sorte. Jo hurlait, je souriais. Sa peau brunie, rougie par les flammes se mêlait avec les fibres de son jean et les épingles à nourrice attachées un peu partout brillaient dans la pénombre. Métal en fusion, son être en décomposition.

J’ai éteint la lumière pour mieux apprécier le spectacle qui s’offrait à mes yeux. Sa veste en cuir prenait feu elle aussi. Pourtant, le vrai cuir ne brûle pas, c’est Jo himself qui me l’a dit. Et moi, je crois toujours Jo. Même, et surtout, quand il me dit qu’il m’aime, la gueule calcinée.

Mais l’Amour ne sauve pas tout, Jo.

Sa crête était comme une torche enflammée, des gerbes de feu montant jusqu’au plafond. Le gel aidant, la crête fondait. Comme un bonhomme de neige sous le soleil de Satan, mon amour flambait.

L’odeur de chair trop cuite et de ses cheveux caoutchouteux emplissait la pièce. Alors, je me suis levée pour ouvrir la fenêtre. L’air frais remplissait de nouveau mes poumons alors que l’homme de ma vie hurlait derrière moi. Si proche et pourtant si loin.

Tout c’est enchaîné très vite après cela. Moi même je n’ai pas compris.
Jo que je croyais mourrant s’est levé d’une force sur-humaine et s’est dirigé droit vers moi. Comme la première fois, sauf que Jo ressemblait plus à une écrevisse trop cuite qu’à une limace ce soir là.
Comme la première fois, Jo m’a entraîné dans sa chute, et du troisième étage nous sommes tombés, l’un sur l’autre, l’un contre l’autre.

Moi dans ses bras tendre, ou ce qu’il en restait, et nos chairs décomposées et démembrées sur la route, à quelques mètres de notre bar pmu.

La morale de cette histoire ?
Faites attention en achetant des vestes en cuir a Emmaüs, on risque de vous mentir sur la qualité, et ça peut coûter cher.
Très cher.