Speed rating

Le 18/06/2006
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par Hokakyo
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Thèmes / Polémique / Société
Sites de rencontres, coups d'un soir, misère affective, voici le décor planté. Peinture d'un monde féminin en pleine déliquescence, qui se cherche des codes et des valeurs de rechange. Formatage par les magazines, sexualité débridée de rigueur. C'est à tout ça que s'attaque notre héros, une sorte de super-héros masculin, misogyne, revanchard, tringleur de pétasses. C'est vraiment bien foutu, intelligent, bref une excellente lecture.
Impossible de se souvenir de son prénom. Après des heures de conversation sur MSN, durant lesquelles elle n’avait donné son prénom qu’une seule fois, au début, Liberal72 était incapable de dire comment cette fille s’appelait. Rien d’autre que Papillon32, son pseudonyme.
Pourtant, il connaissait énormément de choses d’elle : une bonne partie de l’historique de sa famille, sa position préférée pendant l’amour, le nom de son ex, ses diplômes, qu’elle détestait les choux de Bruxelles, qu’elle adorait les chats ; mais son prénom, non. Pourtant, ça ne lui posait aucun problème. Liberal72 savait pertinemment que quand on veut baiser une pétasse, il est plus utile d’avoir des anecdotes sur un séjour en club à Djerba (289 Euros la semaine, tout compris) que de connaître son prénom.
Liberal72 avait réussi à coucher avec 50 femmes en 14 mois. Ce dont il était le plus fier, c’était d’avoir réussi cet exploit en s’inscrivant sur un site de rencontres dit « normal », et non sur un site de rencontres dit « spécialisé». Ici, les pétasses cherchaient des maris, des amis, parfois des amants. La plupart du temps elles espéraient y trouver le prince charmant, rarement le coup d’un soir. Il ne s’agissait pas d’un site qui puait la misère sexuelle, il s’agissait d’un site qui puait la misère affective. La nuance était olfactive mais significative. Ici, pas de « couple libertin cherche homme TTBM, uniformes bienvenus ». Juste des femmes qui s’efforçaient de ressembler en tout point à l’image que leur renvoyaient les magazines féminins : trop de travail, pas assez de temps, l’indépendance affective et sociale, des strings sans être une salope, être une salope mais uniquement avec son mec, la thalasso et l’orgasme vaginal, choisir entre carrière et enfant, la peur de l’engagement chez Jules, de la transversalité dans le choix d’un eye liner, pour ou contre l’intelligence et « avaler » est il autorisé dans le cadre d’un régime hyper calorique. Des célibataires de 20 ans, frigides, chômeuses, avec des gros culs, stériles et qui détestaient tailler des pipes, étaient persuadés d’être celles dont on parlait dans les magazines. Elles qui n’avaient eu que deux partenaires et demi se considéraient comme des salopes intègres, se prenaient pour des working girls executive women alors qu’elles venaient tout juste d’avoir leur bac. A quasiment 22 ans et à la troisième tentative pour la plupart. Elles voulaient tout, tout de suite, y compris l’échec patent de leur vie sentimentale. Elles voulaient que leur vie sexuelle et affective soit le même fiasco que celui de leur mère et de leur grande sœur, mais plus vite. Elles voulaient avoir des problèmes avec les mecs, se poser des questions, avoir à choisir, déterminer si sucer c’était tromper et voir combien de temps elles pouvaient tenir avec un connard intégral. Si les hommes sont des adolescents attardés, si en grandissant ils deviennent des abrutis congénitaux qui s’arrangent pour lire le moins possible, pisser sans relever la lunette des toilettes et finissent par n’avoir d’autre intérêt que les morceaux de plastique de chez Visa ; les femmes, elles, continuent de jouer à la poupée même après dix huit ans. Elles jouent à la poupée avec elles mêmes. Elles se déguisent, se maquillent, prennent des poses, se coupent les cheveux, se peignent les ongles et finissent par avoir autant d’intérêt qu’un morceau de plastique de chez Mattel. Elles continuent aussi de jouer à la marchande et choisissent leurs « mecs » en fonction de critères bien précis, dans l’immense supermarché à connard qu’est devenu notre société depuis que les ravages de la mondialisation et des conglomérats industrielo-médiatiques ont fait fermer la bonne vieille épicerie de quartier à connards qu’était la société de nos parents. Pour ce faire, elles utilisent des méthodes de marketing éprouvées, des grilles de lecture élaborées et vont se promener dans ce monde cruel armées de certitudes qu’on diraient conçues par des singes échappés d’une expérience de vivisection avant qu’on ait eu le temps de leur recoller la calotte crânienne. Tout ça, Liberal72 le savait et en avait tiré des statistiques qu’il classait dans un tableau Excel. C’était le grand progrès qu’avait permis la démocratisation des rencontres sur Internet : la rationalisation de la gestion du réservoir de baise disponible, la quantification de l’investissement temps/argent pour chaque coup tiré. En bon contrôleur de gestion qu’il était, Liberal72 appréciait ça.
C’était ce qui lui permettait d’obtenir rapidement des rendez-vous avec des célibataires paumées qui acceptaient d’aller boire un verre avec un mec qui employait le terme « lol » comme si c’était un véritable mot de la langue française. Il savait aussi qu’à partir du premier regard, sa fenêtre de tir était très étroite. Et rien que le fait de penser au mot « étroite » lui filait déjà la trique. Ce n’était pas du speed dating, c’était du speed rating, de l’évaluation rapide, dont les critères sont à la fois simples et plus obscurs que ceux du FMI quand il doit noter l’économie d’un pays en voie de développement. Evaluation de potentiels : génétique, économique, sexuel, d’amusement (d’entertainment en fait).
Liberal72 avait des théories sur le plaisir féminin. Il avait potassé la question. Les massages, les différents types de plaisirs, le point G, la levrette, les sex toys, la sodomie, comment contrôler son éjaculation, etc. Les femmes venaient planquées sous leur carapace de conviction, lui arrivait avec un plan d’attaque, Sun Tzu de la baise. Tout un arsenal tactique destiné uniquement à les enfiler.
Au bout de quelques minutes de conversation avec l’une d’entre elles, il savait ce qui allait lui plaire. C’était ça son talent à lui. Son don. A sa façon de marcher, de bouger sa tête en parlant, de tenir son verre, de croiser les jambes ; il savait s’il fallait être tendre, violent, appliqué, parler ou ne pas parler avec elle pendant l’amour, la guider ou la laisser faire. Il sentait ses choses là. Il les cernait tellement facilement. Il avait le pouvoir, le contrôle, elles étaient des proies, il était un prédateur. Petites biches perdues tellement persuadées de savoir ce qu’elles voulaient, tellement sûres de maîtriser la situation, d’avoir le choix, qui ne se doutaient pas qu’il avait des appeaux plein les poches, plein la tête et plein les phrases. Que tous ses gestes étaient des nœuds coulants et que chacune de ses attentions était une mâchoire d’acier qui se refermait sur leur cheville. Grâce à ça, Libéral72 les baisait. Il leur cassait le cul avec le même plaisir qu’ont certains homos à détourner un hétéro du droit chemin. Il leur donnait ce qu’elles n’étaient pas venues chercher, à savoir des grands coups de bite. Elles voulaient le prince charmant ? Il leur carrait son épée dans tous les trous. Dans cette longue course de l’humanité vers le progrès qui nous a conduit à la fin de l’Histoire, les pétasses avaient oublié que les princes sont, avant d’être charmants, des chefs de guerre. A chaque fois qu’il en enfilait une, c’était une victoire. Liberal72 aimait les femmes comme le boucher aime les vaches. Il les baisait comme il les poignarderait, il les baisait parce que les poignarder était interdit par le Code Pénal. Comme tous les hommes, Liberal72 voulait se taper sa mère. Freud et les pétasses en étaient sûrs. Freud avait écrit des livres là-dessus, les pétasses en avaient lus des comptes rendus prédigérés et vidés de leur substance par des journalistes qui avaient abandonné leurs études de psycho au bout de leur troisième première année de deug, mais qui ne s’en tenaient pas rigueur quand il s’agissait de torcher un papier pour « Pétasse Magazine ». Liberal72 détestait les femmes à cause de sa mère, détestait sa mère parce qu’elle était une femme, qu’il n’avait jamais pu se la faire et qu’il ne pouvait pas lui enfoncer un couteau de cuisine dans le ventre pour le lui faire payer. C’était une ordure à moitié facho, con comme un manche, obnubilé par sa bite et persuadé que le mot concomitamment était une blague salace. Oui, Liberal72 était une merde, la lie de l’humanité et il était trop abruti pour en avoir conscience. Si « Je pense, donc je suis » est une vérité absolue, alors Liberal72 « était » moins qu’une éponge. Malgré tout, malgré l’éducation gratuite pour tous, malgré les vaccins, malgré la morale, malgré la science, l’église et le communisme, Liberal72 était parfaitement heureux comme ça. L’existence intellectuellement et émotionnellement amibienne de Liberal72, et le bonheur qu’il en retirait, étaient une insulte à l’art et aux mathématiques, une façon qu’avait l’Univers de chier dans la bouche de tous les gens qui s’étaient au moins une fois dans leur vie posé une question existentielle. Parce que la vie est mal faite et que la Grande Balance Cosmique donne finalement le même poids à toutes les existences, quelle que soit la tare. Il n’y avait pas d’autre explication rationnelle au fait que, malgré sa condition de produit dérivé de l’humanité qui s’euthanasierait immédiatement s’il accédait par miracle au niveau de conscience d’une bactérie du précambrien, Libéral72 se tapait les plus jolies filles, celles que tous les autres voulaient. Liberal72 était la preuve vivante que si on n’attire pas les mouches avec du vinaigre, on pouvait attirer les femmes avec des trucs vraiment dégueulasses. D’une manière sublogique, comme une routine informatique qui tourne en tâche de fond mais reste invisible aux yeux de l’utilisateur final, Liberal72 savait que tout ce ramassis de pétasses ne méritait rien d’autre que de recevoir la bénédiction de son chibre, parce que si elles acceptaient de coucher avec lui, c’est que c’était des connes et que les connes ne méritent rien d’autre que de se faire baiser. Il savait que c’était exactement ce qui allait se passer avec Papillon32, il le savait rien qu’à la façon qu’elle avait de porter son Mojito à ses lèvres et de remettre sa mèche en place.
Ce n’est que deux heures plus tard, quand Papillon32 enfila 28 centimètres de chair dans l’anus de Liberal72, que son prénom lui revint en mémoire. David. Il se demanda comment il avait pu oublier ça avant de se mettre à pleurer et à jouir de manière totalement synchronisée.