De passage (nrz subjective mix)

Le 29/06/2006
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par Nounourz
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Dossiers / Remix
Difficile pour moi de résumer ce texte, qui sera le dernier en solo de Nounourz (je ne compte pas les collaborations en attente de publication). C'est un remix d'un texte d'Aka, qui abordait le ressenti d'une victime de viol. Nounourz le retranscrit avec justesse à la première personne, ce qui ajoute de la force au texte tout en conservant l'étrange distanciation qui faisait l'originalité du texte d'origine. Poignant.
[ remix du texte De passage d'Aka ]
Cinq minutes qu'il s’affaire, qu’il me halète son haleine nauséabonde dans la gueule. Je le sens, là, en moi, je le sens déchirer mes chairs. Jupe trop courte, regard trop aguicheur, décolleté trop provocant ou plus simplement, le fait d’avoir été au mauvais endroit au mauvais moment : j’ignore pour quelle raison il a jeté son dévolu sur moi. Qu’importe, pour le moment il est là, en moi. Les yeux fermés, il s’agite en ahanant, mais garde étrangement un sourire satisfait. Comme si c’était sa place normale, attendue, comme si mon existence entière avait eu pour seul but d’accueillir cette chose en moi.

Je pourrais très bien crier, appeler à l’aide… Mais à quoi bon ? Personne ne viendra m’aider, quand bien même il y aurait une foule à quelques mètres de nous. Consciente de l’inutilité d’un tel réflexe, mieux vaut rester sage et silencieuse, et je m’efforce de n’être, comme on l’attend de moi, qu’un trou béant à combler. Ne plus penser, ne plus être, incarner l’absence. Je ne suis qu’une poupée de chair, un jouet entre les mains d’un gosse qui - je l’espère - se lassera bientôt. Mon seul souhait, à l’heure actuelle, serait qu’il m’achève une fois son affaire terminée… J’aimerais une fin digne des films les plus sordides, qu’il me crève, me tabasse à mort, afin que je n’aie pas à porter durant le reste de ma vie ce poids sur ma conscience. Je l’imagine porter ses mains à ma gorge, je me vois rendre mon dernier souffle tandis qu’il éjecte sa semence dans mes entrailles. Je l’imagine sortir un couteau, un poignard, je vois la lame rougie de mon sang s’enfoncer et ressortir de ma poitrine. Je l’imagine m’attraper par les cheveux, je vois le rebord du trottoir se rapprocher à grande vitesse de mon front, les chocs successifs, et le fondu au noir…

Responsable. Je suis la seule responsable, la seule à blâmer dans cette histoire. Ce qui m’arrive est entièrement de ma faute, je ne peux en vouloir à personne d’autre… pas même lui. Au delà de la douleur, je peux déjà sentir cette culpabilité peser sur mes épaules, qui ne me quittera plus jusqu’à mon dernier jour. J’avais pourtant remarqué cette silhouette qui me suivait, entendu ces pas derrière les miens qui se voulaient discrets. La fuite et l’appel à l’aide étaient deux alternatives parmi d’autres que je me suis refusée à choisir ; je n’ai pas même esquissé le moindre geste défensif. J’aurais également pu castrer cette queue qui avait tenté de se frayer un chemin dans ma bouche, mais je n’en fis rien non plus. Pourquoi donc avais-je été si peu réactive ? Parce que. C’est comme ça. Parce que ce sont les statistiques. Parce qu’en fin de compte, il était préférable que je sauve ma peau plutôt que mon cul : de deux maux, il faut savoir choisir le moindre. Dans ce genre de situations, les choix s’imposent d’eux-mêmes ; ensuite, il est de toute façon trop tard pour regretter. Reste la résignation, des souvenirs qu’on s’efforcera de ranger dans une case reculée de sa mémoire. Une tentative maladroite de minimiser le drame ; après tout, vu le nombre de bites qui me sont passées entre les jambes, une de plus ou de moins ne fera pas grande différence. En fin de compte, cette situation n’a rien de tellement original…

En y réfléchissant un peu, c’était finalement comme un amant de passage ramené après une soirée, un peu aussi comme ces minets qui se ramassent en boîte : le genre de personne dont on ignore presque tout, et au sujet duquel on n’apprendra rien. Un inconnu dont on se souviendra le visage, la voix… et la force et la fréquence de ses coups de reins. Il m’arrivait parfois, tandis que je me réveillais aux cotés de mes aventures d’une nuit, d’essayer d’imaginer leurs pensées.
Suis-je la première ? Se souviendra-t-il de mon visage ? Eprouvera-t-il de la honte, des remords ? Passerons-nous sans le savoir les mêmes nuits d’insomnies ? Nous croiserons-nous dans le couloir du même cabinet de psy ? Irons-nous vomir nos tripes au même moment quand le souvenir sera si palpable qu’il en deviendra réel ? Commémorerons-nous la date anniversaire ? Aurons-nous des crises d’angoisse similaires à l’évocation d’un lieu, à la senteur d’un parfum, à l’intonation d’une voix ?
Deviendra-t-il lui aussi un adepte du « un peu trop » ? Un peu trop longtemps sous la douche, un peu trop longtemps sans baiser, un peu trop longtemps sans aimer, un peu trop longtemps à vivre aussi sans doute… Une existence entière perturbée, hantée par ces dix minutes que je revivrai en boucle encore et encore, sitôt qu’un homme s’approchera un peu trop de moi, qu’une conversation s’orientera vers les histoires de baise voire d’amour…

A quoi bon me torturer ainsi, c’est fini : il est déjà parti. Ce on devenu il à cause d'un moment d’intimité, cet homme qui, contrairement à tous les autres qui traversèrent ou traverseront ma vie, restera à jamais gravé dans ma mémoire…