Marguerite

Le 19/07/2006
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par Abbé Pierre, Ariankh
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Thèmes / Débile / Disjoncte
Ce texte est pas des plus clairs, mais s'y mélangent avec bonheur l'humour absurde et déjanté de l'abbé Pierre et la déconne débile d'Ariankh. De l'action frénétique qu'on visualise à grand-peine, des gags agressifs en pagaille, on comprend pas grand-chose, mais ça a l'air marrant à première vue. Ce serait plus efficace en BD.
Je hais ces réunions.
Et encore plus celles qui se passent dans des restaurants. Ambiance enfumée, dans le genre montée de brouillard en bord de mer. L'impression d'aussi peu comprendre que de voir ce qui se trame. La seule chose dont je suis certain, c'est qu'ils veulent tous ma place. PDG de Cirtenia, grande boite de fabrication d'emballages en polystyrène, c'est quand même enviable. Mais enfin, ils ont pas tort. Je leur ai tout appris et ils tentent de devenir les maîtres : c'est avec des gars comme eux qu'on prendra le contrôle de Rifluron.

Putain, déjà 13h. Heureusement que j'ai pris mon aprèm, sinon ç'aurait été invivable : mes rapaces sentent la viande de ce soir. Ca va être un joyeux foutoir au bureau. Et moi j'ai une journée tranquille en ville. Me faut des chaussures pour ce soir, déjà, direction le centre ville.

C'est l'été. Faudrait que je sorte plus souvent, je suis toujours à la ramasse... Ce boulot me prend trop de temps : plus rien le temps de faire avec Valentine, avec mes enfants, avec ma famille. Mais ça paye bien. Il va être temps que je leur passe la main, à ces requins. Et merde, une abeille qui me colle au feu rouge. Casse toi, saloperie. Retourne butiner tes fleurs, y a quoi en ce moment : coquelicots, tulipes, marguerites

Marguerites...Marguerites...Marguerites...MAaAAaaAaRrRRRGGGgggggGGgGg !!

Splatch, fait l'abeille sur la vitre, aidée par la cravate. Kronk, fait la porte arrachée par ma main vengeresse. Aïe, hurle-je en détruisant la vitre du voisin au feu rouge. "Mais bordel, vous êtes dinChbonk", fait le voisin en recevant mon poing dans le nez. Me faut un nouveau costume, c'est malin. J’assène un nouveau coup dans la tronche de cet attardé qui a littéralement bousillé ma chemise, il a pas l’air de se rendre compte de son acte, lui, avec ses mains qui aident sa tête à ne pas finir en maquette pour gosses.

Je vais me rasseoir dans ma voiture et reste deux minutes amorphe, surpris par un mal de crâne. Les klaxons me font reprendre conscience et j’écrase l’accélérateur avant de me rendre compChbonk que ma porte balaye tous les piétons amassés sur le trottoir. Un adolescent applaudit à s’en briser les mains ce record mondial de bowling. Je descends, surpris et désolé et m’excuse auprès de chaque personne dont une grand-mère, malheureusement handicapée, qui tente de pédaler dans l’air, les roues de son fauteuil lui écrasant la tête à chaque tour. Je la relève, sous les regards haineux d’une dizaine de personnes. Elle aussi m’observe, je baisse les yeux sur sa chemise, son col portant une broche discrète mais néanmoins visible. Tiens une

NYaAaAaAaaAaaAAAAAAAAAAAAAAAHhHhhhHhHHHh marRRrRrrRrRrrR YaTAaAAAAaaa

Mes mains attrapent les deux accoudoirs du siège, l’une enclenche la marche avant et je le retourne rageuseChblonk. Bordel, fourbe la mamie qui est actuellement en pleine séance d’étirement de façade. C’est fou les techniques inventées pour perdre ses rides. Sans aucune raison, je me mets à courir, laissant sur place ma voiture, les passants et un futur bouledogue.

Merde, j’ai déjà perdu deux heures, je sais même pas comment. Le centre commercial est juste en face de moi et je me dépêche de traverser pour y entrer. Il me faut des vêtements acceptables ainsi qu’un collègue pour m’accompagner, j’ai dû laisser la bagnole au parking de la société, ce qui expliquerait l’heure tardive. Vite, faudrait que j'y sois a l'heure quand même, une OPA c'est pas rien. Mais comment j'ai fait pour me foutre du ketchup sur la chemise ? Pas pris de mémorax a midi, j'ai oublié. Tailleur, pharmacie, appart, et restau. Merde, tailleur fermé le dimanche, quel con. Direction l'appart.

Mes clés sont dans la bagnole, c'est malin. Et la bagnole est certainement à trois kilomètres, c'est encore plus malin. La voisine a un double, c'est intelligent. Ding dong. Oui bonjour, est-ce que je... non, j'ai eu un accident vers midi, c'est le ketchup des frites. Moi, fou dangereux ? Mais puisque je vous dis que c'est de la sauce tomate ! Me moquer, non, j'oserais pas. Sympathique, votre bouquet de

HHhghmghHGhhmghGHMgHGHgHGGRREREReEERHRErherEeeee

guerites. Madame, vous me les brisez, si j'ose. Vous n'avez pas besoin de votre jambe pour me passer mes clés ? Je vous l'emprunte. Arrêtez de hurler, vous allez me faire croire que je vous fais mal, c'est pas possible en ayant bouffé une poignée de porte au niveau de la mâchoire. Vous devriez penser à la reprendre, elle va vous faire défaut sous peu. La moquette est tâchée, c'est malin Madame. Vous avez un peu de ketchup sur le front. J'adore vos fleurs, je vais vous en prendre deux ou trois. Tout compte fait je vous laisse votre jambe, les fleurs ont meilleur goût. Par contre votre caniche s'en délecte, ravi d'avoir fait un heureux. Ah, ça y est, j'ai trouvé mes clés, elles étaient pas dans votre cul en fait. J'y ai d'ailleurs oublié une marguerite. Bonne journée.

Bon, vite, changer de costard, il est vraiment massacré. Salut chérie, non je fais que passer. La voisine ? Mais on s'en tape, je suis vraiment pressé là. Non, juste du ketchup, t'en fais pas. Bisous à la petite, je vais à ce dîner.

Merde, plus le temps d'aller chercher la bagnole. Mais... c'est... Yves ! Allez, amène moi, on va être à la bourre. Passe par l'autoroute, ça ira plus vite. Tu penses quoi de cette OPA ? Ca va marcher ou pas ? C'est bien, t'es un battant : même dans les pires situations. Yves, arrête de te congratuler juste pour ce compliment, remets tes mains ou tes pieds sur le volant, bordel. Ma cravate ? Ah non, du ketchup, seulement, ils en mettent une trop grande dose à la cantine. Sois pas si curieux, parle moi donc plutôt de ta morue de femme, les gosses salent toujours ? Merci de te taire, Yves, tu es d’une rare finesse d’esprit.

Yves, pourquoi tu prends pas la route du bureau ? Non, mais, quand je te dis qu’on va au bureau, c’est qu’on doit prendre la route du bureau. Comment ça, je l’ai pas dit ? Mais écoute un peu ce qui se passe autour de toi, t’es comme tout le monde, en fait, complètement concentré sur sa personne. Qu’est ce que tu peux être con, des fois, gentil vraiment, mais d’une connerie qui devrait être à labelliser. Arrête de pleurnicher, tu fais fleur bleue là, on se croirait dans un immense champ, à gambader et à rire sous le soleil, caressant de nos mains les

NyYYyYaAaAhHhHhHAahHhmAahrRgGgUeRrErRrRGeGgI

Mon coude part dans la mâchoire d’Yves qui va s’étaler lamentablement sur la porte latérale, avant de rebondChbam et de finir la tête sur mon épaule. Yves était bien gay, alors. Je lui assène rageusement plusieurs coups rapides dans la joue afin qu’il aille s’embrocher sur le frein à main, la viande tuméfiée est toujours plus tendre. La route, Yves, la route, tu vois bien qu’on dévie complètement là, je t’avais dit de faire attention, et stoppe tout de suite cet air indifférent, je n’apprécie guère tes mimiques. Bon, j’ai choppé le volant, je fonce sur la bande d’arrêt d’urgence et fais de grands signes de la main à un père de famille à qui mon pare-chocs a emprunté le gamin. Ca m’énerve, les gens qui attachent pas leurs gosses, on sait jamais ce qui peut leur arriver.
Et voilà l’abruti qui court derrière la bagnole tout en gueulant des inepties incompréhensibles. La marche arrière, c’est bon, je suis juste devant lui. Le bouton pour ouvrir le coffre, il est là. Votre menton, vos dents et votre œsophage retomberont Monsieur, il fallait aller à l’école Monsieur pour connaître la pression atmosphérique. Je vous laisse votre enfant, il n’a plus de jambes, mais il lui reste les mains, ça lui suffira pour rattraper la majeure partie de ce qui vous a été malheureusement enlevé. Au revoir Monsieur. J’appuie sur le pied droit d’Yves, qui joue la rigidité sentimentale, pour accélérer et je fais quelques centaines de mètres avant de m’arrêter sur une aire de repos.