Enchaîné dans le Berry (1)

Le 31/08/2006
-
par Winteria
-
Thèmes / Débile / Vie quotidienne
Ce texte - pas mal écrit - dénigrant la campagne française, fit l'objet de débats acharnés et occasionna des nuits blanches au Praesidium suprême du comité de publication zonard. La pression populaire s'étant récemment accentuée dans des proportions dramatiques, nous sommes heureux de vous annoncer que le parti pro-bouseux vient de retirer son véto, dans un esprit d'union nationale. Vive la zone !
Moi, à vrai dire, je n'ai jamais aimé la campagne. Qu'on se le dise d'emblée. J'ai jamais pu supporter ses grandes plaines stupides et tranquilles, toutes semblables, ses immenses espaces vides. Même en carte postale, il m'a toujours été impossible de l'apprécier, elle et son petit air silencieux qu'elle se donne, la campagne. Pourtant, ma femme, elle a du trouver ça bien, certainement. Elle a dit, comme ça : "Chéri, on part à la campagne". "C'est bien la campagne, ça va nous changer de l'air pol-lu-é de la ville, chéri. Et puis on oubliera la routine, chéri". La routine. Tu parles.

C'est étrange, car lorsque nous sommes arrivés là-bas, - à la ferme de vacances, je veux dire - il ne pleuvait pas. D'habitude, il pleut toujours, à la campagne, et ça fait des gros tas de boue dans les cours des maisons, et de larges flaques aussi sur le bord des routes, où je m'amuse à rouler quand il y a des cyclistes ou des piétons sur le talus, pour les arroser. Ça leur fait les pieds, à ces égarés volontaires de la civilisation. Mais là, donc, pas une seule goutte, et pas un nuage par-dessus le marché. Rien. Juste un grand ciel tout bleu, qu'on aurait dit un drap bien étendu. Comme si la campagne, elle m'accueuillait avec un grand sourire narquois, les bras ouverts, en sifflant des insultes inaudibles tout entre ses dents. Comme si elle faisait semblant d'être contente de me voir, pour mieux me piéger après. Ça m'a comme remué, j'ai eu un frisson.

La ferme de vacances, c'était donc ça. Un grand bâtiment de pierre, avec une porte en très vieux bois ornée une énorme poignet ronde, si grosse qu'il fallait utiliser ses deux mains pour la tourner, et puis avec des grandes fenêtres toutes de bois aussi. Les grosses pierres étaient bien visibles, entre le mortier, et puis du lierre, je crois, poussait sur les murs. On aurait cru qu'elle voulait s'enfuir aussi la maison, et que la campagne la retenait. Moi je me suis tout de suite vu comme elle, entouré de lierre, alors que je fixais la girouette en forme de coq qui grinçait en pivotant lentement sur le toit. Tout cela m'effrayait. Jusqu'à la forme des tuiles sales et encombrées de mousse. Il paraît que ça indique le nord, la mousse. J'avais un repère au moins. Pour m'enfuir, je veux dire.

Ma femme avait trouvé ça sur Internet. Les fermiers, comme on dit, ils avaient donc un site sur l'Internet. Eh bien dis donc. C'est donc ça qu'on leur avait apporté, les ordinateurs, cinquante ans après le feu, que j'avais dit en riant à ma femme. Elle avait fait une vilaine mimique, même, comme si c'était pas vrai. Un peu comme quand elle me dit que je suis de mauvaise foi. Alors que moi, la mauvaise foi, jamais. Toujours est-il qu'elle avait du trouver ça chouette, Isabelle, parce que tout de suite, sans me consulter, elle avait réservé deux semaines de séjour là-bas. Moi ça ne m'avait pas trop plu, dis donc, mais je n'avais rien dit parce que j'avais un peu peur de sa réaction après la blague sur le feu, les ordinateurs et tout. Et puis pendant les deux mois qui ont suivi, elle s'en est vantée auprès de tout le monde, et tous ils disaient "Waaah", ou "Vous en avez de la chance". Moi de la chance comme ça, je veux bien la donner à un petit somalien, eh. Et puis un petit somalien, tout affamé qu'il est à la campagne, c'est bien. Au moins, il serait pas trop regardant sur la nourriture, hein. Moi je dis ça, vous savez ce que j'en pense. J'aurais bien voulu pouvoir le dire à Isabelle, mais je ne voulais pas la froisser. Je crois qu'elle aime bien les petits somaliens.

Et donc nous y étions, devant cette "Ferme aux lilas", cette grande bâtisse entourée de divers autres bâtiments d'où se dégageaient des odeurs atroces, sûrement ce que la description nommait remarquablement "les doux arômes campagnards", ceux censés nous transporter "au plus profond de la campagne", "dans de gigantesques champs de blé et de larges prairies d'herbes verdoyantes et fraîches". C'est vraiment tout autre chose, en réalité, je peux vous le garantir. Je ne sais pas si c'est ça qu'elles sentent réellement, les prairies d'herbe verdoyante. Moi je sentais plutôt l'odeur des bestiaux, du crottin et de la poussière soulevée par la voiture qui déjà s'infiltrait dans mes narines. Ainsi, tandis que ma femme exaltait, y allant de ses "C'est vraiment magnifique chéri hein chéri" en bondissant sur place, j'éternuais. Je n'étais pas certain de partager son enthousiasme à Isabelle, sur le moment. Mais soit.

Bien sûr, il y avait François. On eut dit qu'il faisait partie intégrante de la maison, tellement il était vieux et sale et immense comme elle. Il s'était avancé vers nous en boitillant légèrement dans la cour poussiéreuse, semblant plier sous son propre poids. Ça, je m'en souviens, de François. Il aimait à se désigner comme le maître des lieux, et à le répéter inlassablement, si bien que j'imagine qu'on a fini par y croire vraiment. À vrai dire, à moi, il aurait bien pu me raconter n'importe sur les bêtes et les récoltes, ou sur les plantes, je l'aurais cru notre hôte, tant mon ignorance était grande, et surtout bien flagrante. Isabelle, elle, faisait semblant de tout savoir, et me conseillait régulièrement d'en faire autant. Mais François était si fascinant de par sa façon d'expliquer les choses, surtout la saillie printanière, que j'en oubliais tout, jusqu'à ce qu'il m'avait dit quelques minutes auparavant. Au final, je n'en sais donc pas plus qu'avant sur la moisson et le conditionnement des grains. Je n'ai le souvenir que de ses grands gestes bourrus qui bousculait l'air qui charriait des odeurs de fumier, de sa voix chargé de relents de Gitanes maïs, et de ses lèvres qu'on aurait dit grossièrement taillés dans un drôle de matériau tout mou, qui remuaient d'une façon extraordinaire au rythme du flot de paroles dont il m'enivrait. Mais au fond, tout ceci m'effrayait. Il y avait une certaine distance qui me séparait inexorablement de lui, quelque chose d'étrange comme une sorte de choc des cultures, et cela m'arrangeait, finalement. Les mots de François avaient beau me fasciner au plus haut point, je ne pouvais m'empêcher d'éprouver un certain dégoût pour cet homme qui suait des fleuves et des océans de sueur, qui passait ses journées à traîner torse-nu dans la merde de ses bêtes auxquelles il vouait un culte amoureux, et qui buvait le bon vin de la même manière qu'on boirait un élixir de jouvence, et qui mangeait tel Pantagruel lui-même. Car, oui, François, on aurait pu dire qu'il creusait sa tombe avec sa fourchette, à engloutir ainsi des énormes quantités de viandes diverses et de pommes de terre et de tout, même, comme si sa propre vie en dépendait. Comme si il fallait manger et manger et manger encore jusqu'à s'en crever la panse pour sauver sa peau. Il était là, à la ferme, à boire des litres et des litres de rouge des vignes d'à côté, comme il disait, et à refaire le monde, assis à la table de la cuisine, son grande verre dans sa main, sa main posé sur la nappe cirée, la nappe cirée posée sur la table, et ainsi de suite. C'était ça qu'il était, François. Infini. Infini dans ses propos, infini dans son amour pour la bonne chaire, pour la boisson et pour son travail. Et moi, au milieu de tout ça, je l'écoutais, médusé.

Ce que j'ai fini par comprendre assez tôt, c'est que nous n'étions pas là pour des vacances à proprement parler. Françoise, la femme de François, nous expliqua rapidement en nous réveillant à l'aube, le lendemain, que la seule raison pour laquelle elle louait des chambres dans sa grande bâtisse était que ses enfants, qui les habitaient auparavant, étaient partis à la ville, en insinuant vaguement une certaine trahison de leur part. Moi ça m'a bien fait rire, de voir que même les campagnards les fuyaient, leur trou, et pas que par nécessité. Cependant, je me suis bien gardé de lui faire part de mon amusement, à Françoise, quand j'ai aperçu l'air légérement rageur qu'elle arborait en évoquant ses enfants, et surtout quand je l'ai vu tenter de franchir la porte, non sans grande difficulté. Car si il y avait un point commun qui les unissait, nos hôtes, force était de constater que c'était pour sûr leur tour de taille. C'est le genre de détails qui sautent aux yeux, forcèment. Leurs prénoms, aussi. On aurait pu s'imaginer tout un monde, un univers juste ainsi, où les François se marieraient avec les Françoise, les Charlie avec les Charlines, et les Régis avec les Régine. Dans ce monde-là, en y pensant bien, il n'y aurait même pas eu de Gérard, ou d'Odette. Or, donc, ce qui passait pour un large embonpoint chez un François endurci par les différentes activités physiques auxquelles il vaquait toute la journée ressemblait davantage à une gigantesque ceinture flasque et informe chez sa femme, bien qu'elle mangeât beaucoup moins que son mari. Mais il n'était pas difficile d'imaginer une Françoise dévorant tout l'après-midi durant le contenu des placards en bois tout en affichant un regard pervers et un sourire mesquin. Vision cauchemardesque qui me traversa l'esprit une seconde durant, tandis qu'elle se débattait pour sortir de la chambre. Et donc, nous devions aider à la ferme. Elle nous l'avait annoncé. Moi, tout de suite, ça m'avait révolté intérieurement, de payer pour travailler. C'était donc bien un de leurs trucs de tordus, à ceux-là, pour nous convertir à leur mode de vie. J'ai rapidement vu ça comme un défi que m'imposait la nature, ou quelque chose de grandiose dans ce genre. Et j'allais le relever, nom de Dieu ! Et puis, comme nous l'avait dit la maîtresse de maison, "ce n'était l'affaire que d'une heure ou deux", "quelques tâches rapides et sans envergure", "pas physiques à proprement parler". Aussi, il semblait que dans notre nouveau monde, une heure équivalait à bien plus des soixante minutes citadines. Habitude campagnarde sans doute, de cacher des décuplages de quantité derrière des imprécisions fort traîtresses. Un "bon casse-croûte" devenait ainsi un repas à part entière. Les lopins de terres, des dizaines et dizaines d'hectares. Et ainsi de suite. Moi, je m'en suis vite méfié, de ces horribles imprécisions. J'ai vite appris à emporter quelques bouteilles d'eau qui me furent salutaires, alors que notre maître des lieux m'emmenait moissonner, selon ses dires, une petite heure.

Quand on en rentrait à la nuit tombante de cette petite heure, tout heureux d'en avoir terminé et tout épuisés aussi, trempés de sueur, il fallait le voir dis donc, le ballet de Françoise et d'Isabelle dans la cuisine. Les gros doigts boudinés de l'hôtesse refermés sur le long couteau de boucher, elle coupait cérémonialement le rôti en tranches épaisses et égales qu'elle nous servait alors, à son mari et à moi, dans de grandes assiettes aux motifs effacés, tout en engueulant presque Isabelle de la lenteur avec laquelle elle coupait les carottes, éfeuillait la salade ou nettoyait les radis. C'est une femme différente que je retrouvais chaque soir, mon Isabelle, toute tremblante et frêle, elle paraissait, comme si elle subissait une grande déconvenue. Mais elle se gardait bien de me le dire et elle redressait son corps fatigué dès que mon regard compatissant se posait sur elle. Ça lui aurait fait bien du mal sans doute, de m'avouer qu'elle ne sentait pas au mieux là-bas, à moi, affalé sur la table, un verre de rouge à la main, celui que je prenais soin de boire par petites gorgées de peur qu'il prenne l'envie à François de me resservir une quantité phénoménale dont lui seul avait le secret. Sûr que ça l'aurait blessée dans sa fierté de femme de regretter son geste auprès de moi. Au lieu de ça, elle subissait les ignobles remontrances de Françoise sans broncher, comme ça, sans la traiter de grosse vache à force de fatigue, ou quelque chose. Au fond, elle restait forte, ma femme, pour s'empêcher de laisser tomber le sopalin plein d'épluchures de pommes de terre, et de sauter sur la géante pour enserrer entre ses deux petites mains l'énorme cou. Et je n'en étais pas peu fier. Même que j'y pensais souvent, au courage de ma femme, excepté dans les moments où François s'adressait à moi.

Ce qu'on peut dire, en tout cas, c'est que du travail, à la ferme, il y en avait. On n'y pense pas, comme ça, en les voyant de temps à autre à la télévision les fermiers, se plaindre de la chaleur ou des loups ou des ours qui bouffent leurs biquettes, mais il y en a, de l'ouvrage. Et puis, tout compte fait, il n'y avait pas beaucoup d'ours là où nous étions, pas plus que de loups d'ailleurs, alors on ne perdait pas de temps à veiller sur les chèvres. C'était déjà ça de pris. Le défi que le destin m'avait lancé prenait chaque jour un peu plus d'ampleur. Un peu comme ma fatigue, finalement. Il fallait donc nourrir les vaches, ramasser la merde des vaches, l'étaler sur les champs comme engrais, moissonner, nourrir les vaches avec le produit de la moisson, traire les vaches sans oublier de ramasser les merdes des vaches, d'aller l'entasser là-bas dans un champ, puis moissonner un autre champ et donner la récolte aux vaches. Les vaches, au fond, on leur mettrait un circuit fermé de la bouche au derrière, elles ne s'en rendraient certainement pas compte. Et le soleil, du haut de son ciel, se foutait bien de nous, à briller comme jamais on peut penser à briller, à nous faire un bronzage jusqu'aux manches et au col de nos tee-shirts et aux jambières de nos shorts. Ah, ça, on était beaux, nous, dans le Fiatagri ou la moisso. Car à la ferme, beaucoup de choses changent de nom. Par exemple, le tracteur devient le Fiatagri, la moissonneuse-batteuse devient la moisso, les chèvres, les biquettes, la machine à traire se transforme en pompe à lait, les vaches deviennent les chéries, et ainsi de suite. C'est assez drôle, au début, lorsqu'on cherche à comprendre ce qu'ils veulent nous dire, ces fermiers. Mais une fois expliquées, ces choses-là deviennent pénibles. Par exemple si, quand François m'avait dit "Tu vois, de là à tout là-bas, tu passes la moisso, moi je reviens, je vais chercher mes cageots de rouge au vignoble d'à côté", je n'avais pas deviné ce qu'il voulait me signifier, j'aurais certainement pu éviter de frôler la mort par déshydratation. Oui, car ce qui différencie un moissonneuse-batteuse et une moisso, c'est l'absence de climatisation chez l'une. Je vous laisse deviner laquelle. En vérité, j'aurais du faire semblant d'être à moitié stupide ou quelque chose, lorsque François m'expliquait comment elle fonctionnait, cette grosse machine. J'aurais du faire comme d'habitude, à fixer ses mains et ses lèvres, et à me laisser transporter loin de là par sa voix raillée. Mais l'essentiel, comme il disait, mon hôte et maître, c'était d'avoir du bon vin en rentrant. En rentrant des champs, justement, il fallait encore travailler. Cueillir des pommes ou des poires ou des groseilles au verger, ramasser les pommes de terre, balayer l'étable ou râtisser étaient de ces tâches tardives, de celles qu'on fait aussi vite que possible parce qu'on a faim et que Françoise commence à hurler et qu'il faut se dépêcher sinon ça va être froid. Ça, on ne s'ennuyait pas. C'est pas un reproche qu'on aurait pu leur faire, à nos hôtes, c'est certain.

Puis venait le repas, ou l'étalage, comme je l'appelais. On eut dit que le but du jeu était de sortir un maximum de choses du frigidaire, des différents paniers ou des placards, comme pour ne pas laisser un seul espace vide sur à la surface de la table. N'importe qui aurait pensé à un inventaire, en voyant tout ce fatras de fromages, de fruits, de boissons, de salades différentes ou de viandes, encore, posé sur la nappe cirée jaune. Ils ne lésinaient pas, au moins. Ça non plus, on n'aurait pas pu leur reprocher. Même parfois, François était obligé de poser quelques bouteilles de rouge à ses pieds, à cause du manque de place. Souvent, il les oubliait là, et les retrouvait une fois tout le monde couché. Il était comme ça, François. La cuisine était immense, à l'image de tout dans la ferme, carrelée de sortes de gros pavés d'une étrange couleur, mélange de bordeau et de marron. Ils étaient brisés, çà et là, à des endroits qu'on aurait cru pensés. Sur toute la surface des murs de pierres s'étalaient des objets divers et variés, très anciens pour la plupart, de ceux que l'on voit dans les vitrines d'antiquaire. Fers à repasser fondus dans un métal très pesant, jeux de casseroles en cuivre, vieux paniers faits d'osier. Au-dessus de la gazinière, - par ailleurs, lorsque je remarquai en ricanant qu'ils avaient le gaz, je crus une seconde durant que j'allais mourir écrasé par l'imposante masse graisseuse de notre hôtesse - il y avait même une vieille faux, longue et fort aiguisée. On se serait crus dans une brochure vantant les mérites de cuisines faussement rustiques à monter soi-même. C'est d'ailleurs une de leurs forces majeures, aux campagnards, celle de mettre en exergue chacun des clichés qu'on leur attribue. J'en étais tout étonné, de voir cette maison, ces gens et cette cuisine, tout comme on les satirise quotidiennement, aussi consciencieux qu'eux d'appliquer à la lettre les idées reçues dont ils semblent se vanter, ces fermiers, aussi saugrenues qu'elles soient. Ça m'a beaucoup fait penser, cette histoire. Et pourtant, Dieu sait que je n'aime pas penser à des choses comme cela. Ça me donne mal au ventre.

Françoise ne me parlait jamais. On eut dit qu'elle tentait de se faire discrète auprès de moi. Sur le coup, c'était loupé, étant donné qu'elle ne manquait jamais de m'obliger à me coller contre un mur ou à me lever de ma chaise pour lui permettre de passer, mais elle ne m'adressait pas la parole pour autant, pas plus qu'elle ne parlait à table, domaine où François était maître. J'ai trouvé ça étrange, forcèment. J'ai tout de suite pensé qu'elle tentait de compenser son poids par le silence, mais j'ai réalisé qu'elle ne faisait que s'allourdir plus encore, de cette façon, avec le poids du silence. J'ai même été fier de moi, à faire un jeu de mots comme ça, sans même trop y réfléchir. Toujours est-il qu'elle semblait m'éviter, la Françoise, même si dans les couloirs, c'était difficile pour elle comme pour moi. J'en ai déduis qu'elle ne devait pas beaucoup m'aimer, et qu'elle ne devait pas aimer beaucoup de monde non plus, à sa façon de l'entendre parler des femmes du village à ma femme, quand elles étendaient le linge. Elles étaient toutes énormes et stupides, apparemment. Même si je n'aime pas croire les racontards. Je me demandais même parfois si elle aimait son mari, à la manière qu'elle avait de lui crier dessus tout le temps, comme si c'était un moyen de communication d'usage à la campagne, mais j'ai évité de trop m'avancer là-dessus car, comme je vous le disais, le mode de vie campagnard, je n'en connais que ce que j'ai bien voulu en regarder sur Arte. Et puis, elle le regardait toujours furieusement, comme si il avait égorgé son chaton ou je ne sais quoi tandis qu'elle évitait soigneusement le mien, même quand elle me forçait à me frotter à elle, dans les corridors de la maison. J'ai fini par laisser tomber cette histoire, les fermiers étant ce qu'ils sont, et puis elle faisait bien la cuisine, et c'est à peu près tout ce que je lui demandais, alors...