Nevrotica 1

Le 21/07/2002
-
par Tulia
-
Rubriques / Nevrotica
Fiction réaliste présentant la narratrice dans son environnement professionnel en train de piquer une crise inextinguible de fureur et de tout détruire autour d'elle. Très sombre. A lire.
Au bord de la rupture.

Ca commence à monter dans ma tête. Mes yeux se perdent dans le vague. Le temps ne s'écoule plus. Mes pensées restent fixées sur mon seul et unique objectif. Pourtant, ça s'agite autour de moi, j'entends des voix que je n'écoute pas et je vois des silhouettes se mouvoir.

Je me lève soudainement. Je soulève le bureau et l'envoie valdinguer par terre. Tout tombe : l'ordinateur, mes plantes, l'aquarium avec le poisson, mes classeurs de boulot terminé et mes piles de boulot à faire. J'ai chaud et je respire très fort et très difficilement. Je regarde tout autour de moi. JE vois mes collègues, ils m'observent et leurs yeux sont emplis de crainte. Un frisson me parcoure la colonne vertébrale. Je bascule la tête en arrière en faisant crisser mes dents. Puis je regarde à nouveau devant moi. Je vois du coin de l'oeil que mon poisson frétille sur la moquette. Je mets le pied dessus et l'écrase comme un mégot de cigarette.

En entendant le fracas terrible qu'a fait mon bureau en tombant, mes seize collègues qui partagent l'open space se sont levés pour voir ce qu'il s'était passé, y compris mon chef. Il me regarde au milieu de tout ce bordel, me dévisage et me demande ce que j'ai foutu. Je le fixe dans les yeux et lui dit d'une voix grave :
"Ce que j'ai fait ? Et bien regarde, j'ai tout explosé.
- Oui ça je vois bien que tu as explosé le matériel de la société.
- Tu parles de ça ? dis-je en shootant d'un grand coup de pied dans l'écran qui s'éparpille en encore plus de morceaux.
- Mais arrête bon sang !"

A ces mots, j'avance vers les bureaux de mes collègues en face du mien (enfin de ce qu'il en reste), je me positionne entre les deux écrans, en attrape un dans chaque main et les fait basculer en arrière afin qu'eux aussi se fracassent contre le sol. Je regarde à nouveau mon chef. Il a l'air en colère. Je le fixe de mon oeil le plus noir. La rage monte de plus en plus, elle coule dans mes veines, je la sens. Mes autres collègues tentent de s'échapper le plus rapidement possible. L'un deux, un petit branleur à peine plus âgé que moi qui se prend pour un kador poarce qu'il maîtrise cinq ou six langages de programmation et qui suce les boules des supérieurs de la boîte en restant tous les soirs au boulot jusqu'à 21 ou 22h, se coince les pieds dans les fils reliant son unité centrale à l'écran désormais à terre et se viande sur le sol. Je m'approche pour attraper l'UC à deux mains et la jeter de toutes mes forces contre la cloison basse qui fait office de séparation entre mon bureau et celui d'un autre collègue, un connard qui passe ses journées au téléphone avec l'Italie ou l'Espagne et qui met systématiquement le haut-parleur pour être sûr que je me chope une migraine carabinéeavant la fin de la journée. Je hais ce mec, je hais son téléphone et je hais l'Italie. La cloison explose sous le choc voilent du PC. Mon chef s'approche de moi pour essayer de me maîtriser mais il ne parvient même pas à m'attraper le bras.

J'entends une voix dans ma tête qui me dit que je dois tout casser, que je dois leur montrer ce que je suis devenue par leur faute. Je me dirige vers l'imprimante qui me martèle le crâne depuis plus de trois ans à cracher ses flots de pages incessants. Je l'attrape par en dessous, prend de l'élan pour traverser la pièce jusqu'à la fenêtre et la jeter du quatrième étage afin de bien la voir exploser en des milliers de petits morceaux sur le bitume du parking. Puis je me retourne à nouveau vers mes collègues. Ils sont tous là, regroupés dans un coin de l'open space, ils m'observent comme une bête curieuse. Je vois un petit groupe d'hommes s'approcher de moi. Ils sont cinq. Je prends une chaise, la soulève au dessus de ma tête et la jette dans leur direction, les yeux rouges de rage. Quatre d'entre eux l'évitent de justesse mais le dernier se la prend dans les genoux et tombe à terre. J'ai chaud, je transpire et je respire de plus en plus difficilement.

Profitant de ce moment de faiblesse de ma part, l'un deux se dirige vers moi très rapidement, m'attrape par le bras droit et me file une grosse baigne de la main droite. Je tombe à la renverse et ma tête cogne violemment contre le sol. Je tente de me relever mais je suis maîtrisée par les quatre hommes qui me tiennent chacun un membre. Je me débats, je m'agite dans tous les sens pour me libérer de cette emprise mais il me tiennent tous fermement. Je hurle, le plus fort que je peux. Puis je sens tout d'un coup une vague glacée s'abattre sur moi. Quelqu'un a rempli une bassine d'eau froide et me l'a jeté en pleine gueule. Je n'ai pas vu qui c'était car mes yeux sont emplis de larmes. Je continue d'essayer de me débattre mais il n'y a rien à faire, ils sont plus forts que moi, malgré toute la haine qui m'anime. Je ne peux plus du tout respirer et j'ai envie de mourir. Je sens que je ne me contrôle plus, ma vision se trouble jusqu'à ce que je ne vois plus qu'un grand écran noir et puis, plus rien...

Lorsque je me réveille, je vois tous mes collègues autour de moi. Je suis toujours fermement maintenue au niveau des poignets et des chevilles. Il semble que je n'aie été inconsciente que quelques instants. Je ne me débats plus et mon chef me demande comment ça va. Je ne réponds pas mais je ne bouge toujours pas. Peu à peu, ils relachent leur emprise. Je n'oppose toujours pas de résistance. Je sais que si je bouge à nouveau, ils vont resserrer mes liens alors je coopère. Puis, j'entends la sinistre voix du chef du service informatique de la boîte qui m'ordonne d'être dans son bureau dans les plus brefs délais. Je me lève doucement pendant que les autres me lâchent totalement, tout en restant prêts à me maîtriser à nouveau au moindre faux pas.

Je suis le chef de service dans son bureau. Il me considère longuement avant de cracher son venin :
"Bon sang mais qu'est-ce qui vous a pris ?" Le regard noir que je lui jette en guise de réponse semble lui siffir.
"Bien... Vous venez de prouver devant tout le monde que vous êtes complètement folle. Vous en êtes consciente ?
- Oui.
- Et c'est tout ce que vous avez à dire pour votre défense ?
- Quoique je dise, vous allez me virer donc je peux même vosu dire que je vous emmerde si je veux, ça n'aggravera pas spécialement mon cas.
- Je vous interdis de me parler sur ce ton !
- Ecoute-moi bien espèce de gros connard, ça fait trois ans que je m'emmerde à bosser pour ta gueule...
- Ca suf...
- TA GUEULE ! Tu fermes ta grande gueule et tu m'écoutes maintenant ! Ca fait donc trois ans que je me fais chier comme un rat mort à t'obéir au doigt et à l'oeil dès que tu me demandes la moindre chose, à subir tes engueulades dès que tu estimes que je vais pas assez vite à résoudre tes putains de problèmes, à perdre chaque jour la moitié de mon temps à devoir justifier mon travail auprès de toi pour que tu contrôles bien tout ce que je fais. J'en ai marre. Tu comprends ça ? J'EN AI RAS LE CUL DE TOUTES CES CONNERIES ! Alors vire-moi si ça peut te faire plaisir, de touet façon, je veux plus voir ta sale gueule de con.
- Très bien, j'attends votre lettre de démission.
- Ouais c'est ça. Tu peux te la carrer bien profond dans le cul ma lettre de dem'.
- Sortez de ce bureau immédiatement.
- T'as raison, ta sale tronche me file tellement la gerbe que je vais pas pouvoir rester une minute de plus ici de toute façon. Adieu enfoiré de bâtard !
Je sors du bureau en claquant la porte. Mais quelque chose me dérange : la porte ne fait pas BLAAAAAAM en se refermant, elle fait DRIIIIIIIIING. Je m'arrête pour regarder autour de moi, tout devient noir. Mais qu'est-ce qui se passe encore ?

J'ouvre les yeux. Je suis dans mon lit. Le buzzer de réveil me tape dans le crâne, je l'éteins et je regarde l'heure : 7h15. Je rappuie ma tête sur l'oreiller et je réfléchis. J'ai rêvé. Tout ceci n'était qu'un rêve. Je vais donc devoir me lever et aller bosser. J'en ai marre. Je sens que la journée va être mauvaise. Je me lève, me prend une bonne douche, m'habille, monte en voiture et me tape mon heure d'embouteillage quotidienne.

J'arrive au boulot en retard, comme tous les jours. Mon chef me tombe dessus en me disant qu'il faut que je fasse un truc super important aujourd'hui et que ça doit être impérativement terminé ce soir. Je savais bien qu'elle serait pourrie cette putain de journée. Mon chef m'explique le problème, j'ai un peu de mal à interconnecter mes trois neurones pour bien comprendre tout son charabia. Je m'installe à mon bureau et tente tant bien que mal de m'atteler à la tâche.

Je bosse comme une conne toute la matinée à pisser du code, je me bouffe rapidos un sandwich tout en continuant à travailler et vers 15h, je commence à voir le bout de ma requête. Je tape le END; final et je lance la requête pour la tester. Erreur. Je crois que tout est contre moi aujourd'hui. J'édite ma requête, l'imprimante me crache une bonne vingtaine de pages de code, je sens que je vais m'éclater pour retrouver l'erreur dans tout ce bronx. Mon chef vient me voir pour la 72 000e fois de la journée pour savoir si j'ai bientôt fini. Je lui dis que non, ça plante. Il commence à s'énerver et me dit que je partirai pas ce soir tant que j'aurais pas pondu un truc qui tourne.

Ca commence à monter dans ma tête. Mes yeux se perdent dans le vague...