Jean-Louis Chombier, super héros

Le 24/09/2006
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par Hokakyo
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Thèmes / Débile / Parodies
Grace au titre et à la première phrase, on sait d'avance ce qu'on va trouver : les aventures déconnantes d'un super-héros à la Normalizer. Le style très classe de Hokakyo, agrémenté d'humour british, fait merveille. Jean-Louis Chombier dégomme ses adversaires à tour de bras avec élégance et une certaine désinvolture, on a l'impression de se retrouver dans un excellent texte de Saint-Con. Tout à fait réjouissant.
J’étais tranquillement en train de prendre sur mon temps de loisirs pour ambiancer une dizaine de skinheads à coups de club de golf quand mon téléphone stridula dans ma poche. L’affichage numérique m’indiqua qu’il s’agissait de Jean-Michel. Je pris le temps d’exécuter un magnifique drive dans la tempe d’un tenant de la supériorité de la race blanche avant de répondre.
- Qu’est ce que tu fous ?
- Pour l’instant je fais office de physionomiste dans un cimetière. J’expulse des profanateurs extrêmement droitiste à l’aide d’un objet contondant.
- Bon, lâche les tondus et ramène toi, j’ai du travail pour toi.
- Je finis et j’arrive.
Je ne voulais pas abandonner aussi vite mes nouveaux meilleurs ennemis. A eux 9, j’avais mon 18 trous et à mon plus grand bonheur aucun lubrifiant à disposition. Je tenais à « faire le par » comme disent les golfeurs, et à améliorer mon handicap tout en augmentant substantiellement les leurs. Bien évidemment, ils émirent de nombreuses protestations. Mais ces gens là ne savent pas s’amuser. Je ne me privais pas pour le leur dire.
- Bien que vous entreteniez visiblement un certain appétit pour la destruction et une indéniable sympathie pour le Diable, vous n’êtes absolument pas Rock’n’roll…
Je terminais mon parcours et pris le chemin du bureau.
Au bureau, Jean-Michel me briefa rapidement. Mon concours était requis afin de mettre un terme à des nuisances causées par un groupe d’individus très mal éduqués. Tous les papiers étant correctement remplis, je pus me rendre directement sur lieux, un complexe d’habitation sis dans une banlieue fort mal aisée d’accès de l’est parisien.
Dès mon arrivée, je pus constater dans le hall de l’immeuble la présence effective d’une dizaine d’hominidés aux vêtements de sport bariolés, occupés pour la plupart à tenter de se constituer une piscine d’intérieur avec leur propre salive ou à perpétrer leur vile entreprise de saccage de la syntaxe française en envoyant des SMS abscons composés uniquement de consonnes. Je compris tout de suite qu’il allait être nécessaire, afin de gagner du temps, de m’adresser au plus grand d’entre eux, celui aux pieds duquel somnolait un chien d’une taille incommensurable.
- Alors malfaisant hip-hopiste, encore en train de fomenter une tournante sur la veuve ou d’essayer de rétrocéder de la drogue à l’orphelin ?
- Qu’est ce que tu racontes avec tes histoires de pompistes toi ? T’es malade ?
- « Wesh-toi-même-tu-sais-represent-man ! », si je puis me permettre de m’approprier ainsi certains traits de ton idiolecte. Comment s’appelle ce molossoïde à tes pieds qui ne porte pas la muselière réglementaire ?
- Mon iench ? Il s’appelle Tyson mais tu pourras crier son nom tant que tu veux pendant qu’il te bouffera le cul, il lâchera pas. C’est un bull mastif staffordshire pit dogue germano-argentin pur race croisé. Deux cent kilos de pression dans la mâchoire. Il peut te niquer les cervicales de la jambe rien qu’en les regardant un peu longtemps.
Il fallait que j’explique au chien ce qui allait se passer. Il n’avait rien à voir dans cette histoire et n’était qu’une victime de l’éducation de son maître.
- Tyson, je vais être dans l’obligation de tartiner le cul de ton maître de confiture de coups de pompes. Si tu restes en retrait, aucun mal ne te sera fait.
Le chien avait compris. Il recula et alla se coucher au pied de la porte de l’escalier de service. L’outrageur en pyjama à insigne crocodile écarquilla des yeux comme des soucoupes avant de s’adresser à moi.
- T’es guedin. Tu vas mourir.
Ce fut comme un signal pour ses amis qui se mirent dans l’idée de m’encercler. M’encercler est une très mauvaise initiative dans la mesure où elle met les « encercleurs » à portée de mes mains et de mes pieds. C’est ce qu’un de ces katas bien ajusté dont j’ai le secret enseigna aux malandrins tenants de la manœuvre. Une fois la menace éparpillée sur le sol, je saisis les testicules du mâle alpha à travers son pyjama d’extérieur. Comme je pouvais m’y attendre, la taille de ses organes reproducteurs était inversement proportionnelle à celle de son chien.
- Bien. Je me présente, je m’appelle Jean-Louis Chombier. Mais même si tu pouvais dépasser la douleur que je suis en train de t’infliger et crier mon nom, je ne lâcherais pas tes minuscules noisettes pour autant. Vois tu, je dispose d’environ deux cent bars de répression dans la main droite et d’à peine moins dans la main gauche. L’équivalent d’un castor croisé avec une pompe hydraulique. Je pourrais te briser les cervicales ET les jambes rien qu’en les regardant, même pas très longtemps. Mais je trouverais ça beaucoup moins drôle.
Malgré la pression que j’exerçais à l’encontre de son appareil urogénital il parvint à marmonner quelque chose.
- Sur la tête de ma mère je vais te manger les yeux.
- Mmm mmm. Que nenni faquin. Tu vas gentiment m’écouter ou j’arrache tes minuscules sacs à jus de bébé et je les donne à bouffer à ton bull mastif staffordshire pit dogue germano-argentin pur race croisé.
La partie reptilienne de son cerveau prit le pas sur son Moi démesuré et lui ordonna de fermer sa gueule afin de préserver ses chances de se reproduire un jour. Il hocha imperceptiblement la tête.
- Très bien. Je crois qu’il est nécessaire que je t’explique ce qui est en train de t’arriver. Je suis ce qu’on appelle communément un super héros. Mais je ne suis pas pour autant né sur Krypton ni n’ai été piqué par une quelconque araignée radioactive. Je suis originaire de la banlieue de Roubaix et la dernière araignée qui m’a piquée m’a juste causé une tuméfaction écarlate. En fait, je me situe plutôt entre le Punisher et Batman. Comme tu peux le constater, contrairement à ce que pourraient laisser croire les comics que tu as sans doute feuilleté chez le marchand de journaux pendant que tu faisais semblant d’être un client lambda alors que tu volais des bonbons, je ne porte aucun déguisement ridicule mettant en valeur mon impressionnante musculature, pas plus que je n’utilise de gadgets compliqués pour sauter de toit en toit ou suivre mes ennemis à distance. Autre idée préconçue distillée par la presse jeunesse et qu’il est impératif de corriger, il se trouve que nous manquons cruellement de criminels retors d’envergure et de super méchants dignes de ce nom. Je déjoue rarement des complots internationaux visant à dominer le monde et je n’ai jamais repoussé d’invasion extraterrestre. Bref, je suis ce qu’on appelle un super héros de proximité. Pour employer une image que ton cervelet saturé de clips de R’n’B et de grec-frites soit en mesure d’assimiler, je suis un peu à Superman ce que l’épicier du coin de la rue est à Edouard Leclerc. J’ai une licence pour exercer mon activité, je suis déclaré à la préfecture de police, je paie des impôts et mes coordonnées sont disponibles dans l’annuaire. Tout ça pour te dire que si je suis ici présent en train de tenir dans ma main l’avenir de ta descendance, c’est parce qu’il se trouve que nous avons reçu énormément de plaintes à l’encontre de tes « homeboys » et toi, concernant votre stationnement intempestif à longue durée dans le hall de cet immeuble dont aucun de vous n’est locataire attitré. Un bref entretien avec un architecte spécialisé m’a confirmé que contrairement à ce que vous avez l’air de croire, les murs de cet immeuble ne risquent aucunement de tomber et vous n’avez par voie de conséquence aucune raison de les tenir. Si j’interviens ici, c’est parce que toi, tes copains et la basse-cour d’animaux divers que vous entretenez, enfreignez une bonne dizaine d’articles du règlement de copropriété, ainsi qu’un certain nombre règles élémentaires de savoir-vivre et d’hygiène publique. C’est pour mettre un terme à tout ça que des citoyens, las de vous subir, m’ont mandaté. Je vous prierais donc de bien vouloir déguerpir d’ici et de trouver un autre endroit à occuper durant votre temps libre. Ou peut être devrais-je dire durant votre temps de liberté, tant vous semblez trouver un plaisir pervers à faire des allers-retours incessants entre l’extérieur et les cellules de diverses maisons d’arrêt. Nous sommes-nous bien compris jeune homme ?
Il grogna en signe d’acquiescement. Considérant que la leçon était apprise, je lui lâchais les couilles et il recommença à respirer, s’hyperventilant au passage. Je sortis un papier et un stylo et les lui tendit. Il prit peur et tenta de reculer. S’il avait pu s’encastrer dans le mur, il l’aurait fait.
- Ne t’en fais pas, tout va bien. J’aurais juste besoin que tu signes mon bon d’intervention afin que je puisse dûment facturer ma prestation à mes commanditaires. La confiance n’est plus ce qu’elle était, de nos jours on croule sous les papiers.
Il saisit le stylo et gribouilla un glyphe incompréhensible d’une main tremblante. Ca ferait l’affaire. Je rangeais prestement le tout dans ma veste. J’en avais presque fini avec lui.
- Je ne te l’ai pas précisé tout à l’heure, mais il se trouve que je suis aussi Chevalier des Arts et des Lettres, ce qui, au passage, n’a rien à voir avec le jeu les chiffres et les lettres. Mais ce n’est pas en ma qualité de super héros que j’ai été décoré. C’est pour la publication d’un certain nombre de recueils de poésie en prose au tirage confidentiel mais qui ont tous reçu un accueil critique chaleureux. Cela n’a absolument rien à voir avec ce qui nous occupe actuellement, mais j’aime bien le mentionner. Ca flatte mon ego et ça prouve que je ne suis pas qu’une brute épaisse. Sur ce, tu m’excuseras, mais pour faire bonne mesure je me trouve dans l’obligation de vaporiser la majorité de ta dentition.
Ce qui fut fait promptement.

Je sortais de l’immeuble et m’apprêtais à retourner au bureau, quand tout à coup une voiture contenant 4 hommes fit une embardée d’une ridicule inutilité afin de me couper la route. En une fraction de seconde, le véhicule se vida de ses occupants et je compris immédiatement que j’avais à faire à une escouade de ce que le ministère de l’Intérieur identifie comme étant la BAC, à savoir la Brigade Anti Criminalité. Immédiatement s’en suivit une kyrielle d’injonctions impossibles à suivre même pour le plus doué des gymnastes. Quelque chose comme « bouge-plus-à-plat-ventre-les-mains-dans-le-dos-croisées-sur-le-capot-écarte-les-jambes-assis-couché-ouvre-la-bouche-dis-33-parle-bien-dans-le-micro-vide-tes-poches-enculé ». Ne pouvant, et surtout ne voulant, exécuter aucun de ses ordres contradictoires, je me contentais de soupirer nonchalamment. Ce qui a généralement le don d’énerver n’importe quelle personne étant en train de vous dire ce que vous avez à faire, et encore plus la police. Malgré tout, ils parvinrent à se contenir et l’un d’entre eux s’approcha, l’arme au poing.
- On sait qui t’es Jean-Louis Chombier ! Et on est venu pour te dire de dégager ! On n’a pas besoin de super héros dans le quartier ! La loi et l’ordre c’est nous ici !
Que de clichés dans la même phrase. On se serait cru dans un mauvais western. Son semblant d’allocution me permit néanmoins de comprendre deux choses. Tout d’abord qu’il était inutile de leur montrer ma carte de super héros assermenté, puisque c’était là le noeud du problème. Ensuite que cet homme abusait de la boisson et que d’ici peu son foie pourrait alimenter une centrale électrique en brûlant sans discontinuer pendant au moins deux ans tant il était imbibé d’alcool. Je me pris quand même au jeu d’essayer d’entamer une discussion raisonnable.
- Je sais que tu as beaucoup de mal à assumer le fait que tu appréciais énormément que ta maman te prenne ta température et te mette des suppositoires quand tu étais petit, et que cet amour démesuré que tu portes à la violence physique, à la domination psychologique et aux armes de 4ème catégorie vient de ce conflit intérieur. Mais je veux que tu saches qu’il n’y a aucune honte à avoir. A titre personnel, je me contrefiche de tes pulsions et pour ce que j’en sais Jésus-Christ te pardonne. En ce qui concerne les autres prophètes, j’avoue que ma culture religieuse a quelques lacunes. Alors on n’aura qu’à rien leur dire. Maintenant, si tu voulais bien t’écarter de mon chemin, nous gagnerions tous un temps précieux.
Ce à quoi l’agent de police prit soin de répondre :
- Sur la tête de ma mère je vais te manger les yeux.
La vie n’est qu’une suite d’éternels recommencements. Là où les mots s’avéraient inutiles, il était temps de faire jouer le reste de mes talents.
- Hé bien butor, si tu veux déjeuner à la table d’un botteur de fion 5 étoiles, tu vas être servi !
C’est avec un plaisir non dissimulé et, je dois le reconnaître, un certain zèle que je le fis donc profiter de mon menu spécial : double fracture tibia péroné, rupture du métacarpien, déchirure de la plèvre avec supplément perforation du tympan gauche, le tout sur place. Ce auquel j’ajoutais au bénéfice de ses collègues des contusions multiples accompagnées de leurs 15 jours d’ITT, à emporter et sur le compte de la maison. Je vous en prie, ça me fait plaisir.
Et s’ils n’avaient pas tous été victimes d’un knock-out en bonne et due forme, je suis prêt à parier qu’ils auraient apprécié l’air de Be-bop entraînant que je sifflotais gaiement en repartant.

Le reste de la journée fut plutôt calme et c’est avec le sentiment du travail bien fait que j’allais me coucher tôt. Quand on fait mon métier, il est important d’avoir ses huit heures de sommeil. Demain le jour se lèverait et de nouvelles missions attendraient Jean-Louis Chombier, super héros à plein temps et poète à ses heures perdues.