Comment j'ai enculé l'Amerique (4)

Le 28/11/2006
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par Lemon A
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Rubriques / Comment j'ai enculé l'Amérique
Nos deux touristes frenchies décidés à découvrir l'Amérique profonde traînassent sur une route pourrie dans un désert pourri et s'arrêtent dans un môtel pourri. Les autres épisodes ont démontré qu'il ne fallait rien attendre de particulier de cette rubrique, qui n'est qu'un guide touristique alternatif pour losers. Mais on s'est fait à cette idée, et on se coule peinardement dans un texte qu'on sait d'avance inutile et agréable.
On a pris la direction de Los Angeles. Retours vers la côte pacifique. Je fantasmais sur Tijuana, beaucoup plus au sud, au Mexique, immédiatement derrière la frontière, attiré par le vice, l'alcool et les filles faciles. Tijuana semble être une ville frontalière où les américains partent s'encanailler, une ville de fête et de bordel, de stupre et de fornication, une ville pourrie par le cours du dollard et les différences de niveau de vie moyen par habitant. Ce genre d'endroit attise facilement les mauvaises flammes circoncrites et cachées dans un recoin brûlant de ton cerveau. Mais Tijuana était trop loin, nous manquions de temps et, à cause de ces contraintes, ne pouvions nous y rendre.
Nous empruntions donc la mythique road 66 et traversions le désert mohave, je ne saurai me souvenir dans quel ordre et je ne sais plus non plus pendant combien de temps. A vrai dire, entre Las Vegas et Los Angeles ma mémoire ne me concède que des flash. Ainsi ce motel sordide situé dans une ville dont je suis incapable de retrouver le nom. Une ville de taille moyenne, traversée par une rivière, une ville puant l'humidité et la pomme de terre rance.

Le gérant du motel figurait un bon compromis entre l'homo sapiens et le gorille de jungle. Une épaisse fourrure couvrait ses deux épaules alors qu'il lui manquait des cheveux sur le haut du crâne. Ce type ne possédait pas de cou, il paraissait massif, forgé de cet alliage de muscles et de lipides caractérisant habituellement les brutes antipathiques. Un tee shirt sans manche "Metallica" ou "Slayer" et souillé d'une graisse dont on se refuse à imaginer l'origine tombait sur un bermuda également sale. Le type ne s'exprimait que par onomatopés. Nous comprîmes, toutefois, qu'il fallait payer la chambre d'avance.

Les batiments du motel formaient un U sur deux étages autours d'une piscine vide. Notre chambre ressemblait vaguement au tee shirt du gérant. A moins d'être médium tu n'aurais pas réussi à deviner la couleur initiale de la moquette ni à affirmer avec certitude si le systeme de climatisation, imposant comme un demi frigidaire renversé, n'allait pas imploser et t'asphyxier dans un nuage de fumée rouillée. Un sachet froissé de fast food tronait sur une table de chevet et divers résidus d'emballages pour frites et hamburgers jonchaient le sol de la pièce. Les deux lit aux matelats fatigués regardaient une énorme télévision posée sur une table de camping poussiéreuse. Les stores en fer et la faible puissance de l'éclairage achevaient de donner au lieu son aspect souffreteux.

Mon pote était largement plus dégoûté que moi. Il préconisait d'aller voir le type pour récupérer notre argent et de se barrer de là. Il prétendait qu'on trouverait bien un autre hôtel. Quelquechose d'acceptable il disait.

Nous avons remballés nos affaires et sommes retournés à la reception, un genre de cabanon, une baraque de chantier posée à l'entrée du motel. Les outils usés et les monticules de gravats alentours suggéraient une tentative de construction lointaine et oubliée. L'homme gorille feuilletait un magasine de cul où il était question de playmates plantureuses braquant des armes à feu. Elles rechargeaient, elles armaient, elles épaulaient, et elles tiraient mais il était difficile de savoir sur quoi vu que les photos ne montraient pas les cibles. Le type planta sur nous un regard vitreux et mon pote, posant son sac de voyage à terre, pris l'initiative de lui faire entendre notre réclamation.

Le tenancier ne bougeait pas, aucune expression significative ne traversait sa façade de bourrique. La scène avait quelquechose de comique, mon pote gesticulant pour récupérer notre argent, de plus en plus volubile, devant cette grosse masse apathique à laquelle il s'adressait en un langage des signes vindicatif et sous-titré de mauvais franglais. A un moment donné le type grogna un truc, se leva de son siège et colla une énorme baffe à mon pote qui, sous la puissance de l'impact, trébucha contre son sac placé sur le coté. Il se cassa la gueule par terre et ne devait pas être loin d'entendre siffler les trains.

Dans la confusion j'ai pas trop fais gaffe mais j'imagine que le type a aussi déclenché une sorte d'alarme. Car une porte du motel s'est ouverte sur une des ailes du batiment en U et une grosse femme vêtue d'une robe de chambre est apparu en braillant sur le pallier. Elle retenait un berger allemand par le collier. Il avait l'air plutôt furieux ce chien, bien motivé pour nous bouffer je dirais. Il aboyait comme un fou et il tirait tant et si bien sur le collier que la grosse femme fini par le lacher. Le voilà donc qui se précipitait sur nous comme un boulet de canon, à la vitesse de la lumière.

J'étais paniqué. J'ai balancé mon sac à dos et je me suis enfuis à toute berzingue vers notre voiture. Sans réfléchir, instinctivement. J'ai rarement courru aussi vite. Lorsque j'ai atteint la Dodge je me suis retourné pour voir que le chien était en train de gnaquer la jambe de mon pote. Le pauvre n'avait pas eu le temps de se relever, à tous les coups, et il se débattait avec l'énergie du désespoir. Et je voyais aussi le type qui sortait du cabanon par la porte de derrière. Il faisait le tour pour rejoindre mon pote et le chien, armé d'une batte de base ball.