J'ai fait un blog

Le 03/02/2007
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par Traffic
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Dossiers / Cyber-addiction
Une réflexion désabusée sur le phénomène des blogs. Décidément, c'est la semaine du désabusé. C'est même tellement désabusé que ça frôle le plat. Un peu d'agressivité que diable ! Ceci dit, ça soulève des points intéressants, c'est bien écrit. Une sorte d'éloge de l'indifférence voire de la passivité, ça donne envie de secouer l'auteur.
J’ai fait un blog.

Une erreur. On me l’avait dit. Un beau potentiel de regrets futurs. Mais l’ennui nous mène à des extrémités moyennes.

J’ai lu qu’un tiers des blogs européens était français. Ca ne trompe pas ce genre de statistiques.
Moi le mien c’est un blog où on s’ennuie. Il n’y a pas de photos, pas de musique. C’est un blog qui donne envie d’en faire un. Je pense que j’ai bien compris le concept français.

Normal, j’ai subi une formation lente et fastidieuse pour y arriver. Trente sept années stupéfiantes complètement soumises à une facticité en série. Le français est un élément humain sans prétention d’en être un exceptionnel mais qui y arrive parfaitement.

Les objectifs possibles à atteindre sont les seuls satisfaisants en fait.

En ce sens, j’ai la chance d’appartenir à une caste où la langueur est une forme de permanence qui nous occupe et nous rassure. Je m’occupe et je suis rassuré. Beaucoup. Parfois trop.

Beaucoup de gens tiennent des blogs. C’est une activité qui présente bien. Elle paraît absolument dénuée d’affectation.

Ces personnes rêvent qu’elles sont lus ou vus ou entendus et les trois à la fois si possible.
Elles se demandent parfois ce que les gens vont retirer de cette visite dans leur univers personnel. Ils en ont peut-être eu assez d’essayer de parler plus fort que leurs amis pour dire « Moi je ».

D’autres ont peut-être pensé que ce qui venait de leur arriver était formidable et puis ensuite ils se sont aperçus que ce qui leur arrivait avec leur blog était tout aussi extraordinaire. Ces individus sont ceux qui diront qu’il a été fondamental d’arrêter avec internet. De toutes façons, ils ont conclu depuis longtemps qu’ils incarnent de merveilleuses personnalités.

D’autres encore ont peut être voulu se donner la possibilité d’avoir un rayonnement nouveau dû à la technicité moderne. Ceux là fuiront vers les blugs ou les gloubs dès qu’ils en auront l’occasion. Et il y a aussi ceux qui ne comprennent pas. « J’ai un blog et j’en fais quoi maintenant ? »

Ces gens s’ennuient. Ils voudraient que tout soit autre.

Ils regardent la Starac pour la sixième saison. C’est forcément moins prenant.

Ils ont acheté une maison ou un appartement il y a deux ou trois ans. Ils sont endettés sur trente années pour de petites surfaces décorées chez Ikea. D’autres ont juste pu se meubler en récupération. Plus que 27 ans à tenir.

Leur travail est une litanie. D’ailleurs ils vont en changer.
Bientôt.

Ils le disent sur leur blog. Là ça y est, c’est la vibration. Ils viennent d’attaquer l’establishment frontalement. Ils ont trouvé le courage en buvant une demi bouteille de côtes du Rhône à eux tout seul. Fichtre ! Ils s’empressent de mettre en ligne la photo de leur bouteille à côté de leur animal de compagnie. Si c’est pas une longue patience avant la mort ça….

Moi je n’ai pas mis de photos. Enfin si. Une où je dis que je suis jaune et flou. C’était pour qu’on comprenne bien le concept de dérision. Personne n’est jaune et flou. Nous sommes juste un peu poilu et un peu fragile. Nous sommes juste en train de chercher de quoi nous occuper.

En plein centre de notre inactivité, on constate qu’il vient de nous sortir un poil sur un téton. Va-t-on le publier sur le net ? Ca semble tendancieux. Y a la mamie et la maman qui passe des fois pour dire coucou.

Mon blog se lit dans la langue de Molière. Ce fait est un indicateur d’ennui. Il dit que c’est intéressant de prendre le temps de ne s’occuper de rien. Il ment effrontément. Mais pas plus que ceux qui disent qu’il est intéressant de s’occuper de quelque chose. Le mien est dépassé par les évènements. Je ne le mets à jour qu’au rythme de mes pulsions. D’autres s’astreignent dessus chaque jour. Dans une polyérisation avérée. Venez me voir, je vous servirai l’apéro.

En général, je me méfie de ceux qui insistent pour me servir l’apéro.

Je me méfie de mon blog quand il semble inviter les autres à prendre l’apéro. Je suis pareil que vous. Un homo discountus certifié atone. Je fais des blogs. Je passe la journée à attendre que les gens viennent voir qui je suis. Je lis les commentaires enjoués que vous aurez laissé par compassion. Je me dis que ce n’est pas sûr.

Je ne rêve même pas de me voir désigné dans les dix blogs du moment par mon hébergeur. Je ne suis pas utopique.

Je clique tout seul sur mes pages pour augmenter les vues en fumant une cigarette. Je me trouve gamin des fois.

Il faudrait que je cherche un boulot pour arrêter de me plaindre et cesser de glisser Téflon. Comme si rien ne m’atteignait.
Il est évident que rien ne m’atteint.

C’est bien dommage d’ailleurs.

Avec tous ces efforts étranges pour se laisser percuter. Comme si on était seuls finalement. Chacun dans son univers. Comme si chacun rêvait qu’il était au milieu des autres.

Des millions de gens qui n’existeraient que pour le principe d’être le décor de millions de gens.

Nous ne serions donc que des adresses Url. Et les blogs le démontreraient.

Depuis le temps, les gens me regardent étrangement avec ce genre de sorties pas nettes. J’ai cessé de m’excuser d’être lucide. Etre un lumbago ne paie pas.

Au fil de mes pérégrinations d’internaute, j’atterris sur un site anti-compassionnel. Un illuminé a même prévu une corbeille à rampants où nous pourrions poser des liens de sites cocasses. Pour rigoler, j’y mets l’adresse dudit site. Et puis je vais faire cuire des œufs pour mon repas du soir.

Devant les disques jaunâtres en train de frire, je me dis que ce n’est plus tenable. Je prends une décision solennelle. C’est déchirant, ça résonne comme quand Bruce Willis file faire exploser la météorite dans Armageddon.

Demain, j’arrête toutes ces conneries.
Je vais acheter une chemise et une ceinture avec une boucle chromée pour mon pantalon le plus présentable et j’arrête de poser des lapins à mes rendez-vous des Assedic.

Le plus fort, c’est que je me souviens que ça faisait super vrai quand je l’avais déjà dit avant hier.