Mac 3 appelle station

Le 13/02/2007
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par Mill
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Thèmes / Obscur / Anticipation
Tiens, un texte-catastrophe, qui relate la perdition progressive d'un engin spatial. Sauf que au lieu de tomber en panne, les structures de ce vaisseau sont carrément en train de se décomposer, ou plutôt en train de muter en système organique. Lecture agréable.
    - Allo allo! Mac 3 appelle Station. May day, may day! Mac 3 appelle Station!
    Dépité, le commandant de bord reposa le micro. Le sort semblait décidé à s'acharner sur son équipage, son vaisseau et lui-même. Depuis plusieurs heures que son co-pilote et lui tentaient de joindre le Q.G., il venait d'acquérir la douloureuse certitude que la radio ne fonctionnerait plus. En définitive, ce n'était pas surprenant. Rien ne semblait fonctionner dans l'appareil.
    Le vaisseau traversait depuis quarante-huit heures un curieux processus de décomposition qui ne cessait de s'accélérer. L'alarme, d'abord timide, lui était venue de l'un de ses hommes. Celui-ci n'avait pu se servir de la machine à café. Il suffisait pourtant de presser un bouton, puis de cueillir son verre. Une panne quelconque, s'était-il entendu rétorquer, un brin moqueur. Ensuite, les canalisations d'eau s'étaient rompues en plusieurs points, ce qu'il avait évidemment jugé beaucoup plus grave.
    Il se rappelait avoir examiné les dégâts avec un étonnement croissant. Non seulement l'eau avait inondé les salles où l'on entreposait la cargaison, les provisions et "l'outillage manuel nécessaire à toute embarcation spatiale susceptible de rencontrer des difficultés avec le coeur informatique de la machine" - l'ironie de la chose ne lui soutira qu'un sourire épuisé - mais il apparaissait flagrant qu'aucune espèce de réparation ne pouvait être envisagée. Les tuyaux ne s'étaient pas brisés par enchantement. Une matière noire, suintante, et qui semblait en outre s'étendre aux matériaux environnants, recouvrait les pièces de métal. Celles-ci avaient perdu leurs caractéristiques essentielles, de telle sorte qu'il était désormais hors de question de les souder, de les tordre ou de les remplacer par de nouvelles pièces, qui ne tarderaient pas à être contaminées. Le chef-mécanicien rapporta avoir observé les mêmes dommages à l'intérieur des rouages de la machine à café, et assez vite, de nombreuses pannes se déclarèrent simultanément dans tout le vaisseau. Certaines lumières s'éteignirent alors que des ingénieurs, des mécanos ou des soldats tenaient conseil autour d'une de ces "taches" de pénombre grasse et flasque. Ce fut bousculade sur bousculade, et des cris suffoqués indiquèrent aux plus chanceux que l'un d'entre eux avait, par mégarde, touché la chose à pleines mains.
    Ailleurs, des passagers civils découvrirent, héberlués, des pans de mur entiers noyés dans cette substance informe. Ceux qui ne s'évanouirent pas survécurent, et tentèrent, sans succès, de convaincre le reste de l'équipage que les parois respiraient. Plusieurs crises d'hystérie éclatèrent dans les quartiers privés. Il semblait, en effet, que la chose s'était déclarée d'abord dans la zone supérieure pour gagner ensuite progressivement le fond du vaisseau, contaminant chaque étage à la manière d'une épidémie.
    Mais qui a jamais entendu parler d'un virus, ou d'une maladie qui s'attaquerait au métal? Le commandant de bord avait fait descendre les survivants dans les cabines des soldats, situées en contrebas, mais il savait que, sans une aide extérieure, tous étaient condamnés à périr. L'un de ses seconds, un lieutenant des plus compétents, lui avait confié, avec un sourire de dément, que des ailes s'étaient greffées à l'astronef, et qu'il n'avait pas à le regarder comme s'il était le plus grand fou de l'univers, parce qu'il n'existait pas d'autre explication possible au fait qu'ils volaient en zig-zag, au grand dam des manoeuvres des pilotes et des ordres du commandant.
    Définitivement vaincu par les événements, celui-ci rejoignit le reste de l'équipage dans la grande salle. L'ambiance y était confuse, la panique totale. Il remarqua sans broncher, mais sans non plus réprimer le frisson d'angoisse qui lui parcourut la moelle épinière, que les murs extérieurs s'étaient mués en une sorte d'épiderme noirâtre et visqueux, semblable à ce qu'il imaginait être l'intérieur d'un abdomen d'insecte.
    Le vaisseau se mit alors à vibrer, à tressauter sans cesse. Le sol perdit de sa stabilité, flanquant la plupart des présents sur leur derrière, leurs genoux, leurs mâchoires endolories. Le commandant de bord retourna jusqu'aux commandes, à présent noircies de cette matière infâme. Il s'installa comme il put dans l'illusion de son influence sur le levier, les touches et l'écran, et constata sur celui-ci que d'immenses perturbations avaient surgi de nulle part. D'énormes masses blanches, qu'il eut souhaité qualifier de vaporeuses, ectoplasmiques et inoffensives, cherchaient à abattre la navette, à l'aplatir, ou peut-être, à la projeter avec force et violence dans quelque trou noir, quelque comète, le magma du soleil le plus proche...
    Une irrésistible secousse lui fit perdre l'équilibre. Il tomba de son siège, ignorant dans la frénésie et la douleur les ténèbres tangibles qui lui dévoraient les mains. Déjà, les moteurs prenaient feu, la coque éventrée semait des ombres mouvantes dans le vide, leurs cris mouraient sur leurs lèvres.

*        *        *

    L'enfant regarda la paume de sa main et fit une grimace où se mêlaient sans doute répugnance et cruauté. Il essuya ensuite les restes de l'étrange mouche bleue sur un mouchoir qu'il roula en boule au fond de sa poche.