Le croyant

Le 22/02/2007
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par Mill
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Thèmes / Polémique / Système
Un texte qui porte sur la croyance religieuse, avec une vision de la foi et de Dieu un peu décalée. On s'en bat un peu l'oeil des croyances du narrateur et de l'auteur, mais son point de vue a le mérite d'être un peu original. Tout le monde y trouvera sûrement à redire. Je commencerai le tir de roquettes en signalant que comme beaucoup d'écrits de cet ordre, ça se pose un peu trop en vérité absolue.
    Je crois en un dieu sans limites. Un dieu multiple et omniscient, qui fait partie de moi et dont je fais partie, une entité sans dimensions, sans épaisseur, puisqu'elle englobe et contient tout. Ce dieu, mon Dieu, regarde à travers tes yeux et les miens, autant de lentilles, écoute et entend par l'intermédiaire de nos oreilles, renifle avec nos narines; et c'est lui qui pleure ou qui sourit, en un mot, qui s'exprime en haussant les sourcils, en plissant les lèvres, en tirant la langue... Il est en chacun de nous, il est chacun d'entre nous, chacun d'entre nous est Dieu.
    Voilà pourquoi je renie l'église catholique, les sectes chrétiennes autant que païennes, le protestantisme et les orthodoxes, l'Islam et ses dérivés, le bouddhisme, le shintoïsme, et j'en passe, et non des moindres... Dieu n'a pas besoin d'éloges ou de prières. S'agenouiller devant lui revient à s'agenouiller devant soi.
    Il n'a jamais non plus revendiqué un seul écrit, que ce soit de sa main ou bien rédigé à sa demande, ce qui signifie donc qu'il n'a jamais professé aucune loi universelle, ni prêché une morale statique et inaltérable. Les seules paroles qui viennent réellement de lui ont été tracées par des plumes on ne peut plus matérielles, tenues et maniées par des doigts humains, sur un livre long et abstrait, interminable et infini, comme le temps, sans aucun début, sans aucune fin sinon lui-même, l'ouvrage aux mille et une langues du passé et de l'avenir, aux écritures aussi nombreuses et opposées que des grains de poussière dans un grenier, celui qui regroupe l'oeuvre écrite de l'humanité, de l'Iliade à L'Herbe Bleue, en passant par la bible du roi James, Les mille et une nuits et les bandes-dessinées hétéroclites de Ptiluc. Même Mein Kampf, le petit livre rouge et le scénario de Deep Throat ont jailli de sa main divine, sa main qui guide les nôtres.
    Vous comprenez maintenant, j'espère, le pourquoi de la haine, du sang qui coule à flots, des boucheries et des guerres, du sida, du cancer, de la peste noire, de l'égoïsme... tous ces fléaux qui nous sont devenus familiers et relativement acceptables à force d'habitude. Remarquez, ce n'est pas plus une critique qu'une simple et froide constatation: je me compte parmi vous, en égale particule de Dieu. Haine et amour ne signifient donc rien pour lui. Après tout, Dieu est homme, Dieu est tous les hommes, et Dieu est chaque homme. En vertu de cette incontestable vérité, Dieu est détestable, et mieux encore, Dieu aime au sens sexuel du terme, comme il lui arrive d'haïr, d'exécrer, d'abhorrer un autre réceptacle de son essence plus que sacrée - et ceci n'est ni une louange, ni une marque de respect. Il peut très bien caresser l'espoir insensé de commettre un crime gratuit et déraisonnable. Un tel acte n'est pas bien grave, puisque Dieu est immortel, et que, si sa forme humaine, multiple et dissociée, assassine un autre élément de son humanité, elle n'élimine aucune parcelle de divinité: on ne peut pas tuer Dieu.
    Ainsi, le dieu qui est en moi souhaite peut-être me voir tuer le dieu qui vit en mon voisin. Si par hasard je l'écoutais, cette voix profonde et puissante, cette voix qui ne cesse de me parler, si j'enfonçais la lame d'un couteau de cuisine dans l'une des orbites d'un passant, il n'y aurait là aucun crime. Car tout homme est Dieu et ce dernier ne peut mourir. On pourrait s'interroger, par ailleurs, sur le fait que si Dieu inspire une de ses enveloppes humaines pour accomplir une telle action, alors que dire de l'attitude typiquement chrétienne qui définit le suicide comme quelque chose d'extrêmement honteux, presque anticonstitutionnel, une véritable hérésie? HaHa. J'en ricane, hilare et divin, comme toi, cher lecteur. En effet, ce qui à l'échelle purement humaine n'apparaît que comme un meurtre, vulgaire et sanglant, n'est en fin de compte rien d'autre qu'une tentative de suicide, une tentative inexorablement vouée à l'échec, du fait de l'immortalité de notre créateur et marionnettiste. Par conséquent, vous en conviendrez, le péché est une invention. De même, les parjures, les blasphèmes, les injures à Dieu, Allah ou Yehovah, la sainteté, le sacré de nos sépultures, de nos dépouilles sans vie lorsque celle-ci les a quittées, les "amours" incestueux, le viol et la pédophilie, le sadisme, le masochisme, la consommation de drogues télévisuelles ou autres, la masturbation, l'auto-flagellation, la pénétration anale et les fellations, la nécrophilie, les profanations de lois, de corps, d'âmes et d'esprits, ou encore de cadavres à la peau si desséchée que papyrus n'est qu'un vain mot, le cannibalisme, les orgies contre-nature, celles qui requièrent la présence de toutes sortes d'animaux...
    Tout cela, tous ces actes jugés ignobles et méprisables, immoraux et impies, ces pensées et ces envies bestiales que nous nous efforçons de reléguer à une place plus que secondaire, au fond, tout au fond de nous, eh bien, accrochez-vous: ces choses-là, comme tout le reste, d'ailleurs, leurs antithèses, ou leurs synonymes, leurs reflets, concaves ou inversés, ou même leur image parfaite, ces horreurs, ces horreurs sont Dieu, ce dieu qui est en moi, ce dieu qui n'est que moi, toi, eux, nous tous...