Petit oiseau

Le 03/03/2007
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par Glaüx-le-Chouette
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Thèmes / Obscur / Psychopathologique
Sous ce titre printanier se cache un genre de partage en vrille sans règles, un délire obsessionnel et imbécile sur les petits oiseaux qui envahissent peu à peu nos toits et qui recouvrent notre monde de leur fiente. La fraicheur psychotique, les petits bonheurs putrides, la joie décomposée. Totalement en vrac, rageur et idiot, malsain et sautillant.
Petit oiseau du fond de mon cul.
T’es super content, hein, fils de pute. Le soleil revient, pioupioupiou, la journée recommence, cuicuicui. Hihihi, je suis vraiment content, cuipioucui. Glaüx, t’es qu’un pauvre mec, t’es tout perdu hors de mon monde, hihihi, pioucuipiou, viens, je t’emmène, hihiiiiii.

Petite merde.

Tous les matins, à cinq heures, le petit oiseau du fond de mon cul rapplique, sur le toit de mes combles, sur mon toit. Il viens faire son héraut du joyeux bonheur de la lumière renaissante.

Il ne vient jamais seul. Sur le toit de chaque comble de chaque immeuble de la ville, de chaque ville, il a ses frères ; sur la crête des toits qui palissent et même les arcades des monuments à la gloire du prétendu Transcendant, il a ses amis et cousins ; dans les arbres vert tendre, il a son nid et ses enfants qui prendront sa relève aux prochaines saisons. Dans les arbres couverts de merde, sur la transcendance qui n’en peut mais. Petit oiseau surpuissant.

Pourtant moi, je l’emmerde, le petit oiseau surpuissant couvreur de merde. Sur les toits, chaque matin, mon soupirail est le seul alentour qui combatte encore le jour blafard à grands coups de clarté halogène et de radiations bleutées d’écran. Je n’abandonne jamais la lutte. Mais le voilà. Glaüx, Glaüx, y a le soleil qui se lève, viens, hihihi, le bonheur est là, il faut rire, hahaha, rireuh dans les prés ! Va te faire mettre par un chat de gouttière. Cinq heures, c’est mon heure. L’heure de plus d’heure. L’heure où je sais que tout est déjà trop tard et que tout ne recommence pas encore. Tu crois que je suis dupe ? Cinq heures, c’est l’heure où ton cycle se brise, l’heure du rapiéçage honteux, l’heure où tout un chacun dort, d’instinct, pour ne pas voir que non, le jour d’avant ne colle pas au suivant. L’heure sans date. La veille est encore là, on n’a pas fini de se la bouffer dans la tronche, mais avec un goût de nostalgie plate. Le lendemain est déjà là, ou pas tout à fait, ou il sera là dans une heure, on ne sait plus. Et toi, la Nature t’a payé pour faire le guignol et attirer l’attention sur toi, au lieu de sentir le vide du cercle mal refermé. Petite appoggiature de fiente blanche sur un grand cercle de merde humaine qui ferme mal.

Mais non, rien n’y fait. Chaque matin, tu es là pour me rappeler que l’Histoire est cyclique et que ça ne sert à rien, jamais, de lutter. Et chaque matin, peu à peu, tu t’insères dans mon univers, tu t’y fonds, tu me coules au fond du ventre comme une gorgée de sperme malpropre. Chaque matin, alors que je m’éteindrais, dans le calme et la dignité, comme de juste, alors même que ma veille est sur le point de toucher son terme dans une fin parfaite, tu me fécondes avec ta conviction obtuse et impure que tout recommence. Petite merde incontestable. Tu reviens en moi avec la faim, la soif, avec une envie de libérer mes fluides, avec mon instinct de petit oiseau de merde qui me tire, moi aussi, loin de mes idéaux et de ma très pure logique.

Je ne serai pas toujours perdant, petit oiseau. Le jour où j’aurai envie de toi, c’est le jour, le matin, vers cinq heures, où j’irai rejoindre la lumière du matin sur le toit, par le Velux. Pas pour obéir à mes instincts débiles, petit oiseau. Pourtant ce jour-là, oui, je voudrai te voir, oui, même te toucher, t’attraper comme on attrape le bonheur, qui est dans le pré, cours-y vite il va filer, gnagnagna. Ce matin-là, tu seras sur mon toit comme chaque matin, et je t’y rejoindrai. Tu fuiras, mais pas loin. Parce que tu l’aimes, mon toit, et parce que moi aussi, tu m’aimes, l’humain qui laisse de la lumière toute la nuit, de la lumière qui attire plein de bouffe, des papillons de nuit, des moucherons, des cousins. Tu voletteras alentour, en pépiant, Amour, Vie, Amour, bonjour, hihihi, cui. J’attendrai que tu passes devant moi, à peu près à un mètre en contrebas de la gouttière. C’est à ce moment précis que je sauterai, fils de pute. Je te plaquerai contre ma poitrine en riant comme un damné, et j’irai t’écraser contre les pavés, cinq étages plus bas. Tu crèveras dans mes tripes, connard.

Parce que tu y es déjà, dans mes tripes. Tu chantes du plus profond de mon cul. De profundis mei. Ton appel, tous les matins, c’est l’appel de la bête sans cervelle, à la donzelle qui lui prendra un trop-plein d’instinct de reproduction, à ceux qui lui porteront de quoi remplir son ventre, ou à rien, à rien du tout. L’appel à la vie. La fatalité. Se lever pour bouffer, croître, et multiplier. Tu es ça, petit oiseau en merde. Tu crèveras aussi pour rien, sans savoir pourquoi, comme le bon symbole stupide que tu es. Tu crèveras le jour où la tyrannie des idéaux de cette salope putride de Nature aura perdu la lutte contre les miens. Le jour où c’est moi, moi qui t’assimilerai de force à moi, moi qui te forcerai à n’entendre que ma voix, mon plain-chant, ma partition très parfaite et achevée, enfin.

Chaque matin est pire que le précédent. Chaque matin tu m’appartiens davantage. J’attends et je te subis, enclume, destin, lamineur, je te subis jusqu’au prochain matin, en espérant que peut-être, enfin, ce matin-là soit celui où tu viendras te fondre, disloqué, dans mes entrailles et mes organes fendus, plus loquace pour un sou. Le matin de l’adéquation. Le matin où ta chair aussi deviendra mienne, le même tas, le même silence, enfin.

Connard.