Crache

Le 02/04/2007
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par Traffic
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Thèmes / Débile / Absurde
Encore un bon texte signé Traffic, rien d'extraordinaire non plus, juste une tranche de vie pourrie, un peu désabusée et amusante. Y a pas à dire, les losers alcooliques et déprimés font les meilleurs héros qui soient. Après ça, Traffic en a visiblement eu ras-le-bol. Sans doute à cours d'idée, il a baissé les bras et son truc est parti complètement sur la jante, version absurde et débile, un vrai régal.
Il était quoi ? Minuit, une heure à tout casser. J’ai reçu un texto de ma copine qui me disait qu’elle en avait ras le bol de mes retards, de mes absences, de mes errances et que j’étais un fichu connard fini. Je me suis demandé c’est quoi un fichu connard fini ? C’est bien ? Ca veut dire que je suis un mec complet ? C’est une sorte de compliment à l’envers alors ?
Ca m’a rappelé le reportage qui parlait d’un serial killer qui était tellement fort que le journaliste avait passé les trois quarts du docu à faire l’éloge de son ingéniosité ne s’attardant que très peu sur les souffrances des victimes. Et ma foi, ça devait être quelque chose qui se rapprochait de la vérité vu que ce type recevait un courrier féminin de folie chaque jour dans son pénitencier du Minnesota ou de je ne sais quel autre coin des states, peut-être pétaouchnok les bains.

J’ai regardé mes potes et je leur ai dit en finissant ma pinte de Guiness « Ben moi va falloir que je me rentre. » A ceci près que je n’avais plus un seul de mes acolytes à proximité et que eux s’étaient déjà cassés depuis un bon moment. J’ai quand même tenu à dire au revoir au barman, un roumain ou un ukrainien au langage un peu approximatif et je suis sorti direction un emplacement de stationnement mystérieux. Au bout d'une bonne demi heure statutaire, je suis arrivé dans une rue merdique et j’ai trouvé ma voiture à l’endroit exact où je l’avais laissée. Un passage protégé pour piéton. Je me suis dit « Faut vraiment être débile pour mettre des passages pour piétons dans des rues aussi étroites » et j’ai déchiré le Pv en pensant « Y a pas des élections de quelque chose bientôt ? » J’ai démarré. Le bruit de mon moteur n’allait pas bien fort lui aussi et je me suis lancé vaillamment "Go on y va".

Je n’avais pas fait deux cent mètres, et je ne rigole pas, au grand maximum, qu’une brigade de types dignes d’un épisode des experts à Las Vegas m’a fait ranger sur le côté. Quand même quelle connerie. Je roulais à vingt et y avait plus un chat dehors. Qu’est ce que ces types foutaient là ? Ils étaient punis ? Ils m’ont demandé si j’avais bu. J’ai dit « J’ai arrêté de boire il y a cinq ans et je m’y suis tenu. Je ne m’en serai jamais cru capable. » Ils ont regardé mon permis, mon assurance, ma carte grise. Tout était en règle. Un des types a voulu faire du zèle sur un des pneus de gauche un peu défraîchi. Je lui ai dit « j’essaie de les user tous pareil avant de les changer, j’ai pas des masses de temps pour ce genre de préoccupation. » Personne n’a ri. Normal, on n’était pas là pour ça. Je me suis ramassé un sermon sur les dangers de la route et l’augmentation des nombres de morts au volant par perte de contrôle du véhicule. Je me suis presque laissé convaincre par la promptitude de leur pipeau. Et puis je suis reparti.

Je suis arrivé devant chez ma copine. Je me suis dit j’espère qu’elle a pas mis la chaîne de sécurité à l’appart. Là m’a pris une quinte de toux phénoménale. Je me suis mis à cracher des glaires dans le hall de l’immeuble. J’étais surpris. Il y avait du sang dedans. Je me suis demandé quel pourcentage de possibilité j’avais pour avoir développé un cancer à trente sept ans. Certaines mais pas si nombreuses. J’ai encore un peu craché en montant les escaliers pour voir. Mais ce n’était pas du sang. Juste une matière verdâtre. J’étais à la fois satisfait et déçu. J’ai mis la clé dans la serrure. Cette petite conne avait mis la chaîne, de sorte que je ne puisse pas rentrer. J’ai essayé de l’appeler discrètement. Elle a du faire genre de pas m’entendre. J’ai recommencé plus fort. « Mina. Mina. C’est moi. » Pas de réponses. Alors j’ai foutu un grand coup de pied pour faire sauter la chaîne et la porte m’est revenue super fort dans le genou. J’ai eu vraiment très mal. Ca avait du me faire sauter un bout de cartilage à coup sur. Elle est apparue furax. « Qu’est ce que tu veux ? » Je lui ai présenté mon visage le plus adorable. «Je suis rentré tu m’ouvres ma chérie ? » Elle m’a regardé puis m’a fait d’un air agacé « C’est bon, casse toi, tu m’as soûlée » Ensuite elle est retournée se coucher et moi je suis resté devant l’entrebâillement de la porte avec une chaîne de sécurité comme seule interlocutrice. Pas glorieux.

Je suis redescendu. J’ai fait marche arrière avec la voiture et j’ai froissé une aile de ma poubelle roulante contre une borne de signalisation invisible. Je me suis dit c’est débile un truc pour signaliser que l’on voit si mal.

Puis je suis arrivé à me rappeler la route de chez moi. Un peu par habitude, un peu parce que c’était souvent à cet horaire que Mina me demandait de foutre le camp de chez elle à peu près deux fois par semaines. Je vivais à l’autre bout de la ville dans un autre quartier. Un endroit plus pour mecs. Ma copine, elle, elle vivait dans un endroit plus pour filles. Y avait plus de commerces gnan-gnan. Je suis monté rapidos chez moi. Je me suis aperçu que j’avais coupé les chauffages depuis toute la semaine où j’étais pas rentré. C’était correctement glacial. En passant devant la salle de bains, par curiosité, je suis allé cracher des glaires dans le lavabo avant de me coucher. C’était juste jaunâtre. Ras. Encore loupé. Alors je suis allé me pieuter un peu fataliste en me disant « Putain la vie, on est très loin de se croire dans un film américain ». Sur cette réflexion décisive, j’ai avalé deux stilnox pour plus penser à tout ça et bonne nuit les petits.

Le lendemain, je me suis levé, il avait neigé. Je me suis mis à vomir du sang. D’entrée comme ça au tout réveil. Ca m’a fait bizarre, le contraste. Je n’ai pas pu m’empêcher d’allumer une clope. J’avais un peu les nerfs de la veille et aussi je me demandais ce qui se passait encore comme connerie. Je suis allé dans la salle de bains, j’étais atterré, j’étais devenu comme une sorte de mutant. Sur mon visage, il y avait des écailles de lézard. Je me rappelais une histoire de Stephen King avec un type qui se transformait en lézard et ses amis avaient décidé de ne plus lui parler pour la peine. Puis il m’a semblé que non finalement c’était un passage dans un film d’horreur de Woody Allen. J’ai préparé mes corn-flakes comme d’habitude sauf qu’à la fin au lieu d’y mettre du sucre j’ai eu envie d’y mettre de la moutarde. J’ai trouvé ça délicieux en les mangeant.

Pour m’occuper, j’ai rempli cent grilles de sudoku force noire en regardant les infos de Tokyo non sous titrés sur le câble. J’ai tout bien compris, j’ai trouvé ça à peu près aussi mobilisateur qu’un jeu avec Arthur sur TF1. J’en ai déduit que j’étais devenu super intelligent. Après, avant d’être en retard pour mon travail, j’ai entrepris de faire le ménage chez moi et ça n’a pas pris plus d’un clin d’œil. La maison rutilait. J’étais devenu un super héros. Seul bémol, je n’avais pas vu que j’avais grandi de 50 centimètres dans la nuit et je me suis cogné en sortant par la porte d’entrée.    

Je n’ai pas pris ma voiture pour aller bosser, j’ai découvert que j’aimais marcher dans la neige. J’avais une foulée leste. J’ai dépassé les embouteillages et j’ai couru jusque dans le centre ville sans me fatiguer en quelques minutes. Du coup, j’ai pris mon boulot à l’heure pour une fois. Manutentionnaire dans un supermarché. J’ai déchargé tous les camions en quarante cinq minutes. J’ai aidé aussi un peu mes copains. Mon patron m’a félicité. Il m’a demandé d’essayer de moins cracher mon sang partout mais comme ça en disant s’il vous plait. C’était bien demandé alors j’ai fait un peu plus gaffe mais je ne pouvais pas vraiment m’en empêcher.

La journée s’est déroulée comme dans un rêve. Je me suis fait des tas de nouveaux amis. J’ai même mis en déroute deux dangereux gangsters en train de braquer le bureau de poste du quartier. J’étais devenu en quelques heures le nouveau symbole de cette humanité minuscule. Ca a commencé à déraper sans prévenir alors que j’étais occupé par les reporters du journal local à décrire mes exploits. J’ai eu soudain une petite faim. Et sans y songer, comme ça en pleine rue, et devant les caméras, j’ai arraché la tête d’un gamin qui passait par là tout intrigué par le petit attroupement. J’ai fait ça d’un geste anodin sans y penser. Tout le monde a été horrifié. Le sang giclait du petit corps sans tête. Et moi je souriais toujours avec mon expression de gentil héros.

Il était très clair qu’il fallait que je me barre en vitesse. Je me suis mis à courir dans la neige à toute berzingue. Les voitures de Police ne pouvaient rien faire pour me rattraper. Un gars a eu l’idée d’appeler l’armée qui a envoyé des hélicoptères à ma poursuite quand ils ont vu que j’avais commencé à escalader un immeuble d’une cinquantaine d’étage. Je me suis retrouvé coincé comme un con de singe sans slip sur un immeuble moderne sans vitrage extérieur. Il m’a semblé incroyable de fabriquer de tels bâtiments. Bon ben il me reste plus qu’à monter tout en haut pour redescendre par l’ascenseur j’ai pensé. Un gars a commencé à me tirer dessus et m’a raté. J’entendais ma copine en bas qui hurlait ne tirez pas ne tirez pas. Je me suis dit « Tu vois si tu m’avais ouvert hier soir, va savoir si tout ça me serait arrivé aujourd’hui ».

Arrivé presque en haut, j’ai compris que j’étais foutu. Il y avait plus de cinquante flics qui m’attendaient. J’ai demandé : « Si je me rends, vous tirez pas ? » comme ça accroché au bâtiment à cent mètres du bas quand même. Et il pelait grave.

Les flics se sont concertés genre "Oui mais si il nous balance en bas. Ce mec est un monstre tout de même. Il a une force surpuissante". Puis un disait, "Mais c’est un être humain ça se voit. On doit lui faire confiance". Un autre, "Moi j’ai jamais vu un être humain avec une gueule pareille". J’ai encore craché du sang dans le froid et la nuit. Et un autre a dit "Regarde il crache du sang sans arrêt, à la limite finissons le".

J’ai compris que j’étais fichu alors j’ai décidé de déployer mes ailes que je venais de découvrir sous mon blouson en polyamide Tex. Ce monde n’était plus fait pour moi.

Ils ont essayé de me tuer en tirant comme des malades. J’ai détruit l’hélico au passage pour me venger d’un coup de poing rageur et j’ai mis le cap vers l’orient histoire de pas louper le soleil quand il viendrait à se lever.

The End