Mégalo

Le 05/04/2007
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par Chivas
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Thèmes / Obscur / Introspection
Introspection nymphomane sur fond de vie ratée. Voilà. Ça résume bien le texte, je trouve. Chivas sait se servir d'une plume, y'a rien à dire, mais le style sert une psychologie archi-vue, un peu gnan-gnan par endroits, le tout sur son lit de quotidien lancinant. Par contre, si le texte peut plaire (ça m'a parfois fait penser à Aka, en bien), la fin le tue inévitablement. J'attends la suite.
Je vis à travers le fantasme. Il fallait bien commencer par quelque chose. Le fantasme a énormément d’avantages. Pratique, il s’emporte partout, dans le train, il remplace avec élégance vos infâmes grilles de sudoku, chez votre généraliste, il vous épargne la 12ème lecture du Paris Match en lambeaux daté du 31 août 1997, dans votre lit, il vous évite le fastidieux et inutile inventaire de la bergerie. Le fantasme, une activité ludique à la portée de tous.

Tu es mon fantasme numéro sept. Je les numérote pour ne pas m’y perdre, tu sais, il y en a tellement. Ce n’est pas une question de classement.

Un jour, tu viendras. Tu deviendras réalité, là, dans mon canapé suédois. Enfin, si tu veux. Tout sera prêt, je simulerai une attitude nonchalante, une allure décontractée, mais tout sera savamment préparé. Après quelques banalités d’usage, je te servirai à boire. Du Chivas, parce que je suis un peu bourgeoise, et que le J&B, c’est dégueulasse. On se cherchera des points communs, ou on exploitera ceux dont nous avons déjà connaissance. Ce qu’on dira exactement n’a pas réellement d’importance. Tu jetteras un œil à ma bibliothèque. Du canapé, on a une belle vue sur la bibliothèque. Tu les verras, tous ces bouquins. Ils sont tous là : Buk, Fante, Selby un peu plus loin, Burroughs collé au serre-livre. Puis tu riras en apercevant Dan Brown. Parce que je suis un mouton, et que j’ai du voir la critique dans la page littérature du Cosmopolitan. Puis je consulte parfois trop le classement des ventes Fnac.

Les étagères sont pleines à craquer. J’ai besoin de posséder ce que je lis. Il y a quelques années de ça, mes parents voyaient d’un mauvais œil le fait que tout mon argent de poche se transforme en piles de bouquins.

" Chérie, voyons, tous ces livres, tu ne vas quand même pas les relire ? ".

Si.

" Tous ? "

Non pas tous.

" Allons, il y a les bibliothèques ".

Oui. Alors je suis allée à la bibliothèque. Ils avaient tous les Danielle Steel, tous les Mary Higgins Clark, toute la collection Arlequin. Je sortais souvent les mains vides. Parfois, je trouvais une lecture intéressante, dès lors, l’ouvrage finissait au fond de mon sac.

Mes parents s’en trouvaient satisfaits, je mettais un peu d’argent de poche de côté, ce qui me permettait d’acheter mes premiers paquets de clopes. Bien. Finalement ça arrangeait tout le monde.

Délester des rayonnages poussiéreux était certes très économique, mais l’étiquette numérotée collée sur la tranche, ainsi que la couverture entièrement recouverte d’une protection en plastique autocollant venaient un peu gâcher mon butin. En laissant les livres en l’état, à la vue de tous, je ne risquais pas de faire carrière dans le grand banditisme littéraire. En ôtant ces marques d’appartenance, le titre devenait une fois sur deux illisible et la couverture perdait la plupart de ses couleurs. Ca me contrariait beaucoup. Le problème a cessé de se poser dès l’âge ou j’ai enfin pu profiter de mon carnet d’épargne.

Je m’égare. C’est mon droit, nous sommes dans mon fantasme. Le fantasme est aussi modulable à souhait, il n’est soumis à aucune trame prédéfinie.

Je nous resservirai un verre et je fumerai trop. Je fume beaucoup, trop, toujours. Tu pourras presque palper mon stress, la cigarette comblera les blancs dans la conversation. Toi, tu ne feras aucun effort. Tu seras réellement détendu. Un verre encore. Les questions deviendront plus faciles à poser. Je te raconterai ma vie, sans que tu me l’ais demandé. Des morceaux choisis, bien sûr, tout cela est déterminant pour la suite des événements. Je finirai par te parler de mon mec. Je te dirai qu’il est au boulot et qu’il rentrera tard, je te dirai que je m’emmerde avec lui, je te dirai qu’il ne me baise plus. Je te raconterai mes infidélités, tu constateras mon absence totale de culpabilité, je te dirai que je vais simplement chercher ailleurs ce qui me manque. Je te parlerai de mes fantasmes numéro quatre et numéro douze. Tu les connais, ce sont les autres numéros gagnants. Tu sais comme j’aime les métaphores. Le fantasme numéro quatre a son ossature au milieu des bois. L’été indien me paraît une période tout à fait propice, exceptionnellement, un versant romantique du fantasme (restons pragmatiques, se rouler dans les feuilles humides en décomposition avancée gâche un peu le bon déroulement des scènes grivoises). Je pousserai même le vice jusqu’à implanter un feu de bois au milieu d’une clairière. Peu virulent ici, malgré tout, ça ne restera pas longtemps tout public, tu l’imagines bien. La partie de jambes en l’air à la lueur de la lune et des flammes et au son de vent dans les branches est à la relecture. J’attends le bon à tirer. Tout ça finira au petit matin, entre deux sourires, les cheveux emmêlés, le café, les cendres encore fumantes. Fondu sur les silhouettes, soleil pâle et quelques gouttes tièdes. Les ingrédients nécessaires à l’apparition de ce magnifique arc-en-ciel léchant l’horizon. Fini. Atrocement bucolique n’est-ce pas ? Le fantasme est fleur bleue, parfois.

Le fantasme numéro douze, un must have, débutera sans doute sur le quai d’une gare, par moins dix degrés. C’est encore une esquisse, de drôles de choses venant constamment s’y greffer. Des putain de flèches de Cupidon. Assurément un tireur d’élite. Le désir est ailleurs. Le fantasme n’est pas qu’une simple copulation. Ca se complique. Le scénario final est à l’étude. Je m’enflamme. Ca pourrait bien se terminer en eau de rose. L’interlude s’impose.

Tout ça ne t’étonnera même pas, tu l’avais deviné depuis longtemps. Tu connais la combinaison gagnante. 7,4,12. J’ai bien gratté. Reste à tirer. Je pense avoir de bonnes chances. Je suis potentiellement en veine.

Voilà, on y arrivera. On arrivera à cette atmosphère exhalant le sexe, cet environnement créé de toutes pièces. On finira la bouteille. J’aurai les yeux rouges, je serai pratiquement bourrée. Bien. Idéal. Je ne franchirai pas la limite de la sensation zéro. Entre deux silences, je te demanderai si tu veux baiser. Je t’aurai déjà bouffé la langue avant même que tu ne me répondes. Ca deviendra flou entre les coups de reins, ça sera rapide, silencieux. Surtout, ne pas penser, ne pas réfléchir, surtout garder la tête vide. On ne se regardera pas dans les yeux. Des orgasmes silencieux. Ou pas d’orgasme. Mais sans orgasme, le fantasme ressemblerait à un soufflé raté. Mettons de côté cette malheureuse éventualité. On peut même ici se permettre l’utopie de la jouissance synchrone. Tu ne me baiseras pas par charité. Personne ne fait ça. Tu ne me baiseras pas parce qu’il ne me baise plus. Ce sera juste une occasion, une future anecdote, un simple fait, une charmante façon de se vider les couilles. Tu deviendras une ombre sur mon tableau de chasse. Je mettrai mes statistiques à jour. Je n’attendrai pas que tu reprennes ton souffle, j’irai fumer une cigarette sur la terrasse, il fera gris dehors, le gris se marie bien à la cigarette post coïtum, peut- être même que quelques gouttes de pluie viendront s’écraser sur mes joues. Je déposerai les verres vides dans l’évier et j’irai prendre une douche. L’eau tiède atténuera les effets de l’alcool et je commencerai à pleurer, à frotter, récurer, chialer, à vomir cette putain de boue dégueulasse dans ma tête, qui me bouche la vue, qui me bouche la vie, la vie parfaite, celle dont j’ai toujours rêvé, celle que j’ai toujours voulu, celle que j’ai toujours cru vouloir, un mec, la sécurité financière, la sécurité affective, faire l’amour une fois par semaine, le crédit hypothécaire, la voiture, l’assurance incendie, le salon de jardin en tek, les beaux-parents à dîner, le 13ème mois, la cuisine super équipée, les meubles Ikea, l’écran plasma, les éventuels gosses, un CDI, les grasses matinées, la facture d’électricité, la porte de garage télécommandée à distance, les RTT, la dinde de Noël, le précompte immobilier, la chaîne hi-fi design, le thé avec ma grand-mère, les vacances au Club Med de Marrakech, le service en cristal, mes quadrillés A4 et mes stylos et toute cette merde dans ma tête, toute cette merde sur un document word, parce que rien ne change, tu le vois ? Rien. Ca ne changera jamais. Les mots coulent, mais ça ne déborde jamais, ils restent là, comme une cuve remplie d’eau stagnante, qui finira par se recouvrir d’algues, emprisonnée, noire, immobile, à bout de forces, à chercher une porte de sortie inexistante, à crier des questions sans réponses, je finirai par m’y noyer.
Je sécherai mes cheveux, je sécherai mes yeux, et je te demanderai de partir.

Un jour je m’allongerai sur l’humus et des flammes viendront me lécher le visage.
Un jour j’irai me les geler sur le quai d’une gare et mon cœur s’emballera.
Un jour, tu viendras, peut-être. Tu deviendras réalité.
Si tu veux.