Récit intérieur d'une pyramide

Le 08/04/2007
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par Mill
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Thèmes / Débile / Faux obscur
Soyons clairs : ce texte ne vaut sur la Zone que pour sa fin. Le reste n'est que description à la première personne d'une pyramide, certes documentée, certes soigneusement écrite, mais plate au possible.
    Je suis une pyramide et mon coeur de pierre taillée par des mains dérisoires conserve en son sein les restes d’un demi-dieu qui m’a vue naître et que j’ai vu mourir.
Mon inébranlable base repose sur une mer instable, dont les vagues de sable me fouettent chaque jour en un même geste futile répété à l’infini. La pointe de mon corps massif, cinq fois triangulaire, gratte la voûte du firmament étanche qu’elle n’a jamais percée, ce qui ne m’exaspère que de temps à autre, lorsque les hiéroglyphes qui constituent ma mémoire se surprennent à évoquer d’antiques légendes selon lesquelles Amon-Râ me visitera un jour prochain, sur son attelage de purs-sangs aux orbites évidées, à la crinière de flamme et aux sabots d’argent. Il me touchera de sa main céleste et mes pierres scellées se changeront en un bloc unique d’or et de poésie. Je suis un objet mystique, l’ultime demeure d’un symbole qui, de son vivant, fut maître des peuples et du Destin. L’on m’a bâtie en prévision de l’avenir, que, par ailleurs, les scribes ont gravé sur ma peau sèche, et je tiendrai debout, le temps de quelques millénaires, jusqu’à la visite d’Amon-Râ, dont chaque jour je perçois l’oeil et chaque nuit la paupière. Beaucoup m’ont explorée de fond en comble, me chatouillant les boyaux de leurs membres minuscules, broyant certains de mes neurones à grands coups de pioches et de marteaux, et nombre d’entre eux se sont perdus, inconsolables cadavres disséqués par les fourmis et les rats, dans le labyrinthe de mes veines. L’un d’entre eux a découvert la date et l’heure exacte de sa mort sculptée sur l’une de mes solides membranes, et ses os émergent aujourd’hui à travers les lambeaux de sa chair salée. L’on m’explorera encore, l’on se perdra sans cesse et l’on hurlera à l’unisson avec les âmes les plus anciennes, au plus profond de mes entrailles dédaliques. Je suis une pyramide, je pèse des tonnes et ma cure amaigrissante se prénomme érosion. Je serai toujours là, imposante et hautaine, lorsque vos cités de lumière, vos villes de cristal et d’acier se seront tassées sur elles-mêmes, que vos monuments, fragiles, aléatoires et chimériques se seront évanouis, que les pages de vos livres se seront décomposées, rejoignant la poussière de vos cadavres sans souvenir. Je suis une pyramide et je représente une étoile, je reflète un système, mon emplacement retranscrit les lois d’une galaxie que vous ne connaissez qu’à travers vos insignifiants appareils, qui, eux-mêmes, fondront un jour au soleil. Je suis une pyramide et l’on ne peut m’atteindre. Je suis une pyramide et je vous emmerde.