Asylum 2 - Cellule 217

Le 18/05/2007
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par Winteria, Glaüx-le-Chouette
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Dossiers / Asylum
Winteria et Glaüx ont eu du mal à travailler ensemble pour écrire cet épisode successivement abandonné par l'Abbé Pierre, Dourak et Lahyenne. Le premier m'a pondu une contribution sombre et sérieuse, le second a fait dans le déjanté quasi-humoristique. J'ai eu un peu de mal à rapiécer les deux ensemble et le résultat est plutôt hétérogène, et hormis quelques passages psychopathologiques de la fin, peu satisfaisant.
Cellule 217 - Hériot Gaëtan, 22 ans
Des mois que je suis là. Des années, même, je crois. Je ne sais pas depuis combien de temps Maman est morte. Je suis innocent, c'est elle qui me poursuit, je suis innocent. Je l'entends rire. Elle ne cesse de rire. Elle est en train de me rendre fou !

- Ahahahahahahahahahaha hahahahahahahahahahah !
- CATIIIIIIIIN ! SALE PUTAIIIIIIIIIIIIIIIIN !

Le regard du professeur Tchekov me transperce, pointe ma psychose du doigt pour m'exhorter à prendre conscience de sa grandeur. Je suis malade ; on me l'a souvent dit. Mais lui ne prononce pas un mot : il observe, et je le vois conciliant ou sévère, selon mes besoins. La même empathie qu'exprimait l'attitude de mon père, et qui, quand je le regardais, réduisait à néant les déclamations continuelles de ma mère. Mon père - je me tasse dans le coin de mon univers cubique -, mon père. Il y avait entre nous cette alliance tacite, qui n'avait lieu d'exister que dans les galimatias d'injures et de railleries que nous adressait maman. L'unique lien tendu entre nous, oublié par inadvertance dans le ravage matriarcal. On plongeait l'un dans l'autre, et la vieille n'avait plus d'importance.

Papa m'a finalement laissé ; j'ai oublié quand. J'ai subsisté entre les murs bâtis autour de moi par ma mère, finalement peu différents de ceux qui me cernent aujourd'hui. Des murailles où l'on ne peut se tapir, contre lesquelles on ne peut se blottir, malgré leur confort apparent. Les cloisons de l'immense labyrinthe qui débouche ici. Je ne peux pas me plaindre ; la rigidité de ces lieux n'est rien en comparaison du carcan maternel. Le psychiatre acquiesce, et je réalise que je parlais à voix haute.
Il se lève, me tourne le dos, et frappe à la porte pour qu'on vienne lui ouvrir. Je le supplie de rester, tandis que je rampe dans sa direction. L'air me manque.
- Attendez.
Le claquement de la porte résonne en moi, et je me sens partir en arrière, au milieu des chuchotements de ma mère, qui vont crescendo. Ça recommence.

J’en ai marre qu’elle cogne contre le mur sale contre le plancher dans le béton partout, salope, SALOPE, faut qu’elle arrête Maman. Des semaines des mois des années même qu’elle ricane inlassablement. Ces rires accompagnés de chocs sourds et souterrains me replongent en enfer, et je voit ma PUTE de mère morte venir me chercher. Excédé je hurle dans le vide, j’en ai ma claque.

Je m'éveille au son du monologue haineux de la voix stridente, qui semble sourdre de toutes les faces de ma prison cubique. Je glisse lentement vers le coin le plus confortable, et m'y appuie difficilement. Le fiel de ma mère éclate à mes oreilles bourdonnantes. Je m'efforce de détourner mon attention des violentes et incompréhensibles déclamations, mais ma vision ne se heurte qu'aux six cloisons refermées sur moi, toutes semblables. La symphonie venimeuse est faite des murmures menaçants que ma mère me glissait à l'oreille dans les lieux publics, de ses hurlements qui me parvenaient toujours, où que je me cachasse ; de ses répliques dévalorisantes qu'elle me jetait en public. Je m'efforce de ne pas céder - le moindre cri ameuterait les gardiens. Je me balance d'avant en arrière, en attendant la fin de cette cacophonie infernale.

Et ça continue :
- Ahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahah !
Et en cœur, je réponds aux murs, mécaniquement :
- SALE PUTAIN ! PUTAIN !
- Ahahahah !
- T'as pourri ma vie.

rhhhhhhhhhh

Un froid intense se saisit de moi, et je suis emporté par une violente crise de convulsions. Je me sens happé de toutes parts par d'innombrables mains, qui me secouent en tout sens. Un visage émerge des ténèbres, littéralement fendu en deux par un horrible sourire béat, d'où s'exhale un gémissement plaintif. C'est ma mère. Elle saisit mon visage entre deux mains, m'écarte les mâchoires, et vomit sa bile dans ma bouche. Je m'étouffe, éructe, je geins. Les deux mains s'agrippent à mon oreille, alors que la bouche sans fin s'en approche. Un cri sauvage. L'obscurité oscille, ondule, je hurle à mon tour. Une vaste lumière blanche envahit soudain mon champ de vision, et je me sens roué de mille coups. C'était un cauchemar ; j'ai crié dans mon sommeil. Les gardiens me corrigent.

Abandonné abandonné abandonné abandonné.

Le corps endolori, je profite pleinement du silence qui plane dans ma geôle, que rien ne semble pouvoir percer. Les cent voix même se sont tues. Je suis seul, définitivement. J'ai rêvé ; ma mère ne peut plus rien. Elle est morte. Morte. Putain catin putain catin.

Vient notre nuit factice. Je peux entendre, à travers les épaisses parois des cellules, le bruit des lumières qu'on éteint une par une. Clac, clac, clac. Rien ne trouble ce rituel sonore, pas même les innombrables gorges du mégaphone matriarcal. Pour la première fois depuis que je suis ici, je pressens que cette nuit sera une bonne nuit. Clac. Putain catin putain catin putain catin putain catin PUTAIN CATIN.

Je suis pris d'un horrible vertige ; autour de moi règnent des ténèbres absolues et impénétrables : la nuit ici est une mort à elle seule. Mon regard n'est confronté qu'à la nébuleuse opacité des lieux, et nul repère ne se présente pour m'aider à me situer dans ma geôle. Je suis perdu dans l'espace, noyé dans ce calme absolu. Un mur, n'importe lequel, il faut que je trouve un mur, pour savoir où je suis. Les bras tendus en avant, j'avance accroupi à travers la pièce, à la recherche d'une rigidité salutaire. J'ai l'impression de parcourir des kilomètres.

- Ahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahah !
- PUTEPUTEPUTEPUTE DE SALOPUTE DE PUTAIIIIN !

Une odeur de crypte envahit l'espace. La lumière revient peu à peu, par à-coups, par chocs souterrains. Claquements et vrombissements. Ma mère se tient devant moi, immobile, la bouche grande ouverte. Elle tombe, comme au ralenti, comme au jour de sa mort, et s'effondre au sol sans un bruit. Elle se décompose en accéléré, je vois les diptères faire d'elle un repas frugal. Je fixe sa dépouille qui se ratatine, ainsi que je l'avais fait jour après jour. La regarder pourrir, payer, laisser les vers se délecter de ses tripes, chasser régulièrement les insectes qui s'agitent sur mon propre corps. Sans même une émotion. Sans même m'en rendre compte. Attendre. Il n'en reste plus rien maintenant, les charognes en ont fini. Je les respire, je les avale. Je mange ceux qui ont vu le jour dans la chair inerte de ma génitrice ; les chairs de sa chair. Je mange mes frères. L'ampoule éclate. Noir absolu.

***

Le jeune Hériot reposait aux cotés de sa couche. Un garçon courtois, poli et qui recevait l'aide du professeur Tchekov avec force remerciements. Que se passait-il ? Le psychiatre ne le voyait ni bouger, ni respirer. Avait-il eu un accident ? Ou dans sa détresse avait-il trouvé un moyen d'en finir malgré les précautions dont on l'entourait ?
Il entra dans la chambre capitonnée et s'approcha du corps. Le jeune homme, couché sur le ventre sur le béton dur du sol, ne réagissait pas aux stimuli, mais respirait faiblement. A nouveau les cris des mille damnés enfermés dans leurs cases respectives, empilées les unes sur les autres dans cet enfer de béton, vinrent le harceler. Mille gémissements infinis, mêlés, mille prières par-delà les murs, adressées à des déités intérieures, mille chants et rires de déments déconnectés. Pas un seul de ces tarés ne devait en réchapper. Pas plus celui-ci qu'un autre. Le professeur leva son arme. C'était trop facile. Il était déjà mort de toutes manières. Mort intérieurement. Ce n'était que lui administrer un coup de grâce salutaire.