Asylum 4 - Cellule 215

Le 20/05/2007
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par Hag
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Dossiers / Asylum
Hag nous a bombardé de textes comiques récemment, mais il ne faut pas oublier que c'est également un excellent auteur de textes sombres. Il en fait la preuve dans cet épisode cataclysmique, mystique au possible, où il incarne un prophète de la fin du monde de la meilleure manière qui soit. L'avalanche de sermons disjonctés et d'hallucinations morbides peut se révéler un peu lourde sur la longueur, mais c'est quand même un putain de chef d'oeuvre.
Cellule 215 - Van Khalkar Andréas, 43 ans
Ils ont besoin de moi. Comment les rassurer ? Comment leur dire que désormais, ils sont condamnés, que leur vie n'est plus qu'un tas de poussière au milieu des vents du chaos ? Leur corps est promis à la destruction, autant désormais tenter de sauver leurs âmes. Alors je reprends mon sermon.

- Dieu notre Père, dans son infinie bonté, nous a créé, dans l'espoir que nous le servions et soyons digne de lui. Mais regardez autour de vous. Il n'y avait en ce bas monde que misère et débauche, on y blasphème comme on s'y entre-tue. N'oubliez pas que nous sommes tous frères, et c'est ensemble que nous devons affronter cette nouvelle épreuve, ou nos âmes à tous seront damnées, et notre égoïsme nous mènera droit là où nous péchés nous destinaient, en Enfer ! Confessons nous, purifions nos âmes, délivrons nous des souillures de nos corps, dirigeons nos ultimes pensées vers le Tout-puissant afin que dans son amour il daigne épargner ce qui, arrivés à la Fin, se sont tournés une dernière fois vers Lui.

L'endroit est représentatif de ce qu'il est advenu de notre Terre, un lieu gris, indistinct, sale, oppressant. J'y étouffe, je m'y sens enfermé. C'est une prison de poussière et de désespoir, aux murs doux comme la chair mais solide comme un rocher, que les faibles ne peuvent franchir. Mais il n'y a pas de place pour les faibles ici. Je me tiens seul en ce lieu, vêtu du blanc le plus pur comme il sied à un prophète, ultime réconfort de ceux qui viennent entendre mes sages paroles. Je les attire tel le phare guidant le navire fatigué à bon port, et les guide sur le chemin de la rédemption. Ils sont partout autour de Moi. Je les sens. Même si mon éclat m'empêche de les voir, je sais qu'ils sont là, par milliers. J'entends presque leurs murmures.

"Notre Père, qui a un jour rêvé l'humanité
Nous T'avons déçu
Voila enfin le jour du Jugement, et nous payons le prix de ceux qui se sont détournés de Ta voix
Tu as rêvé l'homme, et dans ta bonté Tu as donné vie à tes rêves
Tu as cauchemardé de l'Apocalypse, et aujourd'hui Elle est sur nous.
Tu as conservé ton amour pour ceux qui T'aiment encore
Prions, ou soyons détruits
Car voici ce qu'il est, et ce qui va advenir."

Je suis forcé de hausser le ton. Pour les impressionner, les faire culpabiliser. Mais aussi pour couvrir les bruits infernaux, les hurlements, les coups, ceux que lorsque je les ai entendus m'ont fait savoir que l'Apocalypse était sur nous. Ils continuent leurs inlassables mélopées, mais ils ne m'influenceront pas, Moi l'âme pure, le Berger du Seigneur.

- Déjà les légions du cauchemar sont descendues en notre monde, pour le ravir aux faibles humains. Les Bêtes, vous entendez, les Bêtes sont parmi nous. Les hordes d'hommes à têtes d'animaux marchent aux côtés des inondations et des feux de la Terre. Les villes brûlent, les hommes fuient par milliers dans les désolations, les déserts de cendres, les forêts calcinées, les Bêtes à leur trousse. Bientôt elles auront fini leur oeuvre, et laisseront derrière elles une terre dévastée. Nous ne somme pas les maîtres de ce monde le comprenez vous ? Nous sommes tous condamnés, et nos âmes comparaîtront une dernière fois face au Seigneur, qui séparera les Justes des Pécheurs, iceux seront éternellement damnés et navrés, ceux qui se repentiront goûteront au repos. Confessons-nous, avant qu'il ne soit trop tard, car avant peu les hommes aux têtes de bêtes marcheront ici, laissant derrière eux montagnes de corps mutilés, et ici comme ailleurs personne ne sera épargné ! Ni les femmes, ni les enfants, ni les vieillards, tous seront justement anéantis des mains des cauchemars de notre seul Maître, le Dieu Tout-puissant ! Vous pouvez fuir, vous pouvez vous cacher, votre lâcheté ne fera jamais que retarder votre trépas. Alors soyez fort et ensemble faites acte d'humilité. Qui parmi vous n'a jamais commis le péché de chair ? N'a menti ? N'a fait preuve de violence ? Peut-être même y a t-il des voleurs, des assassins, des brebis égarées et fourvoyées. Allons, ensemble confessez vous les uns les autres et soumettez vous à votre destin, car le Seigneur aime ceux qui sont humbles.
"Voici que partout résonne les bruits des forges de l'Apocalypse, le battement de la planète malade, le vrombissement des vents fou et des vibrations du sol et de l'espace ! A 211 lieues d'ici, une cité a été engloutie par la terre blessée sur laquelle elle avait été édifiée. Sur un autre continent, les colonnes de feu sont tombées du ciel en trombes de lumières purificatrices nettoyant la surface du monde du cancer humain. Plus loin c'est un fleuve qui de mémoire d'homme n'avait jamais connu le moindre sursaut qui est sortit de son lit comme prit de frénésie et a englouti une plaine dans laquelle avait été bâtie de nombreux villages. Des montagnes déboulent des avalanches de pierres, les champs se changent en déserts comment les herbes tombent en sable. Et de partout, au son des cris surgissent les Bêtes, il n'y a pas une grotte, un endroit sombre qui n'ai eu les créatures de l'Apocalypse en son sein. En bandes, elles règnent sur les décombres de ce monde, chassant les hommes, tuant les hommes, exterminant les hommes, eux qui se croyaient immortels et dont l'arrogance les détourna de la Foi. Voici l'heure de Justice ! Il est tant de faire le ménage sur Terre ! Dieu ! Extermine nous tous au nom des pécheurs ! Purifie nos corps mortels par le feu ! Détruit nous, Brûle nous, que les Bêtes nous démembrent, nous mutilent, nous assassinent ! Que chacune de nos pensées, chacun de nos espoirs ne soit qu'attente de la mort !"
Alors un homme s'approche de moi. Il a l'air grave, soucieux comme chacun ici bas. Je le reconnais, c'est l'un des plus fidèles, qui vient me consulter régulièrement. Toujours vêtu de blanc, j'avais lors de notre première rencontre crains qu'il ne s'agisse d'un faux prophète et que je ne sois obligé de l'éliminer afin qu'il ne répande pas sa corruption. Mais manifestement il ne recherche point la confrontation. Sa mine fermée est celle d'un homme de savoir, sûrement cherche t'il simplement des réponses. J'entame le dialogue.
- Salut à toi, frère qui ose s'approcher au plus près de ma personne, ne craignant point d'être aveuglé par ma magnificence. Toi l'esprit noble, encore habité par l'amour et la Vérité, venu à moi en quête de réponses à tes questions. Je ne peux que te comprendre, car comme chacun tu as peur et sens le doute, la marque des infidèles, s'immiscer en ton esprit. Mais je suis ici pour te réconforter et dissiper les brumes du tourment. Car en vérité voici ce qu'il est, et ce qui est faux. Ne te laisse pas berner par les faux prédicateurs qui vendent l'illusion d'un futur, d'une survie de la plaie qu'est l'humanité. Saches que rien n'est plus faux. Les plans du Seigneur sont irrésistibles, et vouloir résister aux Hommes-Bêtes n'est qu'inconscience. Apprends qu'ils sont invincibles.
"Ils sont grands, ils dépassent de plus de deux têtes nos frères les plus grands. Sous leurs têtes bestiales, leurs corps déformé est musculeux et poilu, leur fourrure est couverte de poussières et de croûtes de sang. Ils se vêtent de peaux qu'ils arrachent sur ceux qu'ils ont tués, avec leurs griffes, avec leurs crocs. Ils forment des hordes hurlantes, courant à travers les décombres en portant de hauts flambeaux, faisant des brasiers de toute construction encore debout.
"Certains, aux têtes comme celles des boucs, de leur force colossale démembrent leur victime vive et aiment à ficher des membres sanguinolents sur leurs immenses cornes. Ils sont accompagnés des hommes-chiens, qui mangent la chair et rongent les os des mortels qu'ils ont pourchassés en une traque rapide et violente.
"Ils a ceux semblables à des oiseaux, au long bec acéré, au regard vif auquel rien ne peut échapper. Ils plongent leurs becs dans les cadavres pour en aspirer les substances pourries. Ceux au visage de vache sont énormes et répugnant, ils puent comme les corps de tous ceux tombés sous leurs coups. Leurs hurlements ne sont que des beuglements lancinants, abominables, détruisant la volonté de ceux qui les entend. Les hommes-rats sont rapides et rusés, ils ne déplacent qu'en groupes, et sont obnubilés par l'anéantissement de toute chose, achevant de détruire ce que le feu a épargné, massacrant ceux qui fuient, dévorant ceux qui restent.
"Au milieu de tous viennent des Bêtes immenses, au visage de cerf, aux bois démesurés. Ce sont les plus puissant, ils portent des bracelets et des colliers fait d'os et de crânes, ou les pendent à leurs cornes, et chacun de leurs pas s'accompagnent de cascades de chocs creux alors que leurs ornements s'entrechoquent. Ils mènent chacun des troupes de 211 Bêtes, et se comptent par milliers.
"Comment veux-tu vaincre une telle puissance ? Non frère, soumet toi à leur joug et à leur loi, car il est temps désormais que leur règne commence. Préparons nous. Toi qui est venu à moi, dis moi quels ont été tes péchés. Soulage ton âme, pour qu'elle puisse s'élever. Tu semble douter de mes paroles, mais saches qu'en ma compagnie tu ne crains rien, car je suis l'élu du Seigneur, son Berger des âmes perdues. Ouvre toi à moi, je sens que lourd est ton passé. Je devine des actes horribles, tu as blasphémé, tu as menti. Ta vie n'a été qu'actes méprisables. Je vois clair désormais, tu es de ceux qui nous ont menés à ce jour. Les égarés, les insouciants, les égoïstes ! Et aujourd'hui encore, au seuil de l'annihilation, tu refuses de te rendre à l'évidence et d'embrasser Ses lois ! Tu recules, tu as peur de la vérité, de ta vie misérable, tu as honte ! Fui, va te perdre, va te cacher loin de ma lumière et de Sa vérité, donne ton corps en pâture aux Bêtes et ton âme aux démons. N'entends-tu pas les cris autour de toi ? N'entends-tu pas frapper les marteaux du Jugement ? Lâche, repends-toi avant qu'il ne soit trop tard, ou soit damné à jamais tu m'entends ? A jamais !"
Ce fou cherchait visiblement à me déstabiliser, mais mon âme plus droite et solide que le glaive n'a fléchie et ce mécréant n'a pu affronter la puissance de la Vérité. Il faut en faire un exemple.
- Mes frères, voyez cet inconscient ! Qu'il serait tentant de suivre ceux de son engeance. Mais sachez que il ne récoltera rien de ses errances, car dans deux jours, il rencontrera les Bêtes en maraudes. Elles le captureront et l'ouvriront, et alors qu'il sera toujours vivant elles lui dévoreront le dedans, et jetterons son corps au feu. Voila bien le prix du péché. Ne croyez jamais ceux qui ont le regard déviant et les paroles de miel, ils ont moins de sens que les plus idiots, mais sont plus dangereux que les Bêtes, car ils vous tentent et détournent votre âme de la lumière.
"Mais vous qui me suivez, je sais que vous me faites confiance. Vous qui m'écoutez, qui me comprenez, il est temps de se débarrasser de nos derniers attributs d'humains. Vous ne portez que loques immondes, enlevez-les donc, et contemplez-vous sans honte dans la tenue d'Eden, tel que vous serez une fois aux Cieux. Voyez comme Moi aussi je me dévêts, et que mon corps et comme le votre. Vous êtes à mon image, l'âme aussi pure, le corps aussi vierge. Nous sommes purs. Nous sommes purs !
"Dieu, lorsque tu retirera ton souffle de vie de ce monde
Nous les fils de Caïn
De Nemrod
De Ramsès
Implorons ta pitié
Puisse nos âmes par la prière purifiée rejoindre le Royaume Céleste
Et à tes côtés passer l'Eternité."
Ma nudité me fait alors prendre conscience d'un oubli, et mon âme s'emplit d'horreur. Car pendu au bas de mon ventre, comme une verrue démente, l'organe du péché est toujours là. Je croyais que ma sainteté m'avait délivrée de cette excroissance difforme, celle amenant la tentation et les faux plaisirs, mais il n'en est rien, et je sais que je vais devoir y remédier, car il n'est pas bon que le juste arbore pareil au débauché le canal des mauvaises pensées. Encourageant la foule à m'imiter, je saisis l'honni membre à deux mains, et use de ma force. Il résiste, la trace du péché est trop profondément ancrée dans ma chair. Il résiste à mes multiples essais, glisse, chaque fois que je le crois en mon pouvoir il m'échappe. Cela semble irréalisable, et je suis saisi de honte à l'idée de ne pouvoir me débarrasser de cette répugnante extrémité. Une fois, c'est la douleur qui m'arrête. Comment mon propre corps peut-il aller ainsi à l'encontre de ma volonté ? Mais rien ne saurait égaler en puissance ma détermination. La douleur ne m'arrêtera pas. Il est temps de faire appel à ce qu'un homme peut avoir de plus précieux, sa foi inébranlable. Je recommence, demandant cette fois aide au Seigneur qui peut tout.
"Mon Père, qui êtes aux cieux
Donnez-moi aujourd'hui la force de surmonter le péché
La force de vaincre le Malin
La force d'affronter sans faiblir les tourments de la chair
Donnez-moi cette force !
MA MAIN NE TREMBLE PAS CAR LE SEIGNEUR EST MON SEUL GUIDE !"
En un cri, et un geste, j'ai réussi. Le fils du péché est dans mes mains, libérant mon corps de sa présence infecte. Je sens mon sang, liquide de vie, couler le long de mes jambes, les purifiant comme elles avaient trop longtemps supporté cette verrue. Je suis pur. Il ne faut pas que j'aie mal. Il ne faut pas que j'aie mal. Il ne faut pas... Que j'aie mal. Que j'ai mal.
J'ai mal.
...
J'entends des pas. Ils sont autour de moi. Ce sont les Bêtes. Elles sont enfin arrivées. Je vais pouvoir quitter la prison de mon corps.
...
Il y a de la lumière. Il y a des voix, humaines. Les anges sont venus me chercher. J'ai réussi Père. Je sens déjà mon âme partir.

Gloire au peuple féroce !
GLOIRE AU PEUPLE FEROCE !
GLOIRE AU PEUPLE FEROCE !

***

Celui-là n'avait visiblement pas eu besoin du professeur Tchekov pour passer de vie à trépas, et lorsque celui-ci pénétra dans la cellule au néon clignotant, le prophète psychotique gisait face contre terre, étouffé dans son vomi. Le professeur retint un ricanement en constatant la mort du schizophrène mystique, qu'il avait toujours abhorré. Il fit lentement le tour du cadavre, trois fois, quatre fois, chantonnant tout doucement une mélodie cent fois entendue, le regard braqué sur le cadavre de celui qui avait osé se prétendre Voix de Dieu sur Terre. Que les mille démons de l'enfer lui dévorent les tripes pour les siècles des siècles. Amen.