Asylum 5 - Cellule 214

Le 21/05/2007
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par Invisible
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Dossiers / Asylum
La contribution d'Invisible au dossier Asylum n'est sans doute pas la plus violente, la plus sombre ou la plus remarquable du dossier. Il n'empêche que c'est clair, concis et ça se suit sans peine. Inv a su éviter la confusion psychopathologique qui a gangrené nombre d'épisodes jusqu'ici. Le ton est relativement léger, mais on se bouffe quand même quelques scène marquantes au passage.
Cellule 214 - Scherrer Dirk, 20 ans
Je fatigue, je crois.
Surveiller les alentours, marquer son territoire. Ils savent que je suis là. Ils m’observent.
J’aimerais dormir.
L’endroit semble vide, mais je sais qu’ils sont là.

Je fatigue je crois.
Je ne me souviens pas de la dernière fois où j’ai réussi à dormir.

Je ne suis jamais seul ici.
Parfois je vois son visage lacéré et son regard crevé. Son putain de regard accusateur. Là, juste en face de mon lit.
Je l’observe un moment.
Je détourne les yeux quand j’en ai assez.
Et il n’y a plus personne.
Vous partez professeur ?
Peu importe, je ne suis jamais seul ici.

Je ne sais plus depuis combien de temps je marche. Des rayons de lune filtrent à travers les branches. Chaque clairière rencontrée ressemble à la précédente. Les rafales d’un vent glacial me font vaciller. Je crois apercevoir des ombres fugitives autour de moi.
Une présence.

Il est encore là. Il est souvent là, de ce côté de la pièce. Ca ne m’étonne même plus.
Je peux sentir l’odeur du sang qui vient se mélanger à celle de l’urine.
Il faut toujours marquer son territoire.

La porte s’ouvre et il disparaît. Le professeur entre.
Je disais qu’il est important de marquer son territoire, professeur.
Je ne peux pas m’arrêter de trembler si je ne sens pas mon urine autour de moi, vous comprenez ?
Il fait froid dans votre hosto professeur.
Depuis combien de temps je suis ici ?
Il repart.

Je m’enfonce encore dans une forêt qui semble de plus en plus dense. Mon cœur bat de plus en plus vite. Pas un bruit. Le bruissement des feuilles s’est arrêté. Le silence devient insoutenable.
Je ressens les battements de mon cœur à travers tout mon corps à présent. De plus en plus vite.
Je crois percevoir des bruits de lutte et des grognements.
S’approcher doucement.
J’essaie de crier mais je reste tétanisé. Je le vois se débattre, aux prises avec une demi-douzaine de loups. Il est toujours debout mais ils l’attaquent encore et encore ; il les repousse avec ses mains ensanglantées. Las de jouer, l’un d’eux lui saute à la gorge, ses crocs étincelants s’enfonçant dans sa chair. Une fois à terre, il garde un morceau de peau dans sa gueule en se retirant ; le sang jaillit de la plaie béante. Les autres se jettent sur lui, éclaboussant leurs fourrures grises de taches rouges en arrachant des parcelles entières de son corps. A présent il semble me regarder avec ses yeux crevés. J’essaie encore de crier.

« Père ! »
Ils tournent la tête. Eux aussi se mettent à me regarder fixement. Le plus gros retrousse ses babines, laissant apparaître ses crocs.
Avant que je ne comprenne quoi que ce soit, je me retrouve en train de courir.
Des grondements se font entendre derrière moi. Je ne veux pas savoir d’où ça vient. J’accélère.
Je les entends hurler tout autour. Ils se déplacent, ils se rapprochent. Aller plus vite encore.
Ils se mettent à hurler :

« Ouuuuuuuuuuuuuu Ouuuuuuuuuuuuuuuuu »

Je me mets à hurler moi aussi. Je ne veux plus les entendre.
Courir encore, courir ou crever. Les grondements s’accompagnent maintenant de claquements.
Merde, cette forêt pue la pisse.
Je les sens de plus en plus proches.

« Ouuuuuuuuuuuuuu Ouuuuuuuuuuuuuuuuu »

Je crie encore, de toutes mes forces pour couvrir leurs hurlements et ces putain de bruits mécaniques.
Je les entends tout autour de moi, ils m’encerclent.
J’accélère encore.

« Ouuuuuuuuuuuuuu Ouuuuuuuuuuuuuuuuu »

Juste après en avoir senti un arriver derrière moi, une force me projette vers l’avant, je tombe face contre terre.
Ils arrivent tous.
L’un commence à s’en prendre à ma main gauche, je sens mes os craquer dans sa mâchoire tandis qu’un autre commence à me bouffer le visage. Il me fait ingurgiter ma propre chair en me déchiquetant la bouche. Je sens comme un goût de métal.
Je ne vois plus rien, plus que du sang.

Ca s’arrête.
J’arrive à ouvrir un œil. Je reconnais ma cellule, je suis allongé sur le sol.
Je vois une fourchette pleine de sang et de ce qui semble être de la viande dans ma main droite. Ma main gauche est réduite à un amas de chair. J’ai du mal à respirer, mon nez semble détruit. Je ne sens plus mon oeil gauche.
Ma gorge pisse le sang.
Mon vieux est encore là à me regarder. Comme fier de lui. La porte s’ouvre.

Vous voilà professeur ?
Il fait froid dans votre hosto.
De plus en plus froid.

***

- Oui, c'est bien moi, mon jeune Monsieur Schirrer. Veuillez vous tenir tranquille, je vous prie, tandis que je procède.
Le jeune homme était terré au fond de sa cellule, ses yeux roulant comme des billes dans ses orbites. Il était effondré au pied de sa couche, le dos contre le capiton, ses deux mains contre sa poitrine. Du sang coulait paresseusement entre ses doigts.
- C'est ma main, professeur. J'ai si mal…
- Rassurez-vous, Dirk, nous allons vous aider, cela ne prendra qu'un instant.
Il baissa le nez, timidement, l'air désolé.
- C'est les loups, vous savez…
- Je sais.
Le professeur Tchekov éleva le poing droit, refermé sur son pistolet, et le montra au patient. Ses grands yeux s'ouvrirent un peu plus grands encore :
- Je ne comprends pas ?
- Personne ne t'a demandé de comprendre, pauvre taré.
Alors il abaissa le bras et tira deux fois. Une balle dans la tête, une dans la gorge. Dirk suffoqua une seconde, essaya de dire quelque chose, mais sa piètre tentative fut étouffée par un flot de sang qui se répandit de la bouche au menton. Lentement, sans cesser de battre des paupières, il s'affaissa de coté, et glissa jusqu'à terre.