Asylum 6 - Cellule 213

Le 22/05/2007
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par Aka
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Dossiers / Asylum
On peut reconnaître les textes d'Aka au premier coup d'oeil, et aussi rigides que soient les instructions, on ne peut s'empêcher de déceler ce qui fait la force de ses autres textes : sensibilité, douceur perverse, violence psychologique. Moins de puissance brutale que certains de ses congénères sans doute, mais une certaine forme de nuance et quelques images marquantes plus sombres (plus classiques aussi) que les torrents de tripes habituels.
Cellule 213 - Lenoir Yvon, 41 ans
Vous entendez ? Vous entendez n’est-ce pas ? Non, comme d’habitude, vous n’entendez rien. Vous ne dites rien non plus. Qu’importe.
Ces coups dans le mur, ils sont nouveaux. Rien à voir avec le vrombissement habituel. Et j’ai ma petite idée sur leur origine. Mais ça ne vous intéresse pas, comme tout le reste. Depuis que je suis ici, je vous parle de ce bruit continu qui m’empêche de dormir et vous n’avez jamais rien fait. Maintenant ce sont des coups. Des putains de coups de poing donnés dans le mur et c’est de plus en plus fréquent. Tout s’aggrave et vous ne faites toujours rien. A part me garder enfermé. Vous êtes inutile. Et incompétent comme médecin. Laissez-moi, j’ai besoin de dormir.

Je t’entends. Je sais qui tu es. Pourquoi m’empêches-tu de dormir ? Je suis si fatigué. Tu n’as pas changé. Toujours à n’en faire qu’à ta tête. Toujours à faire du bruit. Toujours à m’empêcher de me reposer. Comme si ce bruit de fond métallique ne suffisait pas. Il me vrille la cervelle depuis des semaines et toi tu en rajoutes. Après tu t’étonnes que je m’énerve. Et tu pleures. Encore et toujours tu pleures alors que moi je veux juste que tu te taises.
J’ai besoin de repos. La fatigue m’irrite, tu le sais... Alors tu vas arrêter de taper derrière ce mur putain ! Du bruit, toujours du bruit. Je t’entends courir dans tous les sens. J’entends le bruissement de ton corps contre le capiton lorsque tu te déplaces. Je crois même que je t’entends rigoler. Ca me fout la nausée et la migraine tout ce bordel.

Je vais bien finir par te retrouver si tu es cachée derrière.
La dernière fois aussi tu t’étais cachée, souviens-toi. Je t’ai retrouvée dans l’armoire. Tu as eu un hoquet de surprise suivi d’un petit rire joyeux lorsque j’ai ouvert la porte. Ca faisait des heures que tu gambadais partout, que tu criais, que tu chantais, que tu m’appelais. J’ai dû me lever pour te dire de te taire, mais tu as filé te cacher dans cette foutue armoire.
Alors tu t’es pris une mandale bien méritée. Tu t’es mise à pleurer et tu es partie dans ta chambre. Mais tu as claqué la porte. Très fort. Trop fort.

Je te jure que je te bousillerai à nouveau. Je te trouverai derrière ce capiton, je l’arracherai de tous les murs de cette pièce s’il le faut. Je verrai à nouveau ton nez s’écrasant sous mes phalanges. J’entendrai encore le bruit de ton crâne se brisant sous mes coups. Je sentirai une nouvelle fois l’odeur de ton sang. Je me bercerai de tes hurlements. Le bruit qui sort de ta bouche sera enfin justifié. Ca sera comme la dernière fois, sauf que ça sera délicieux. Parce que ce coup-ci, tu le mériteras vraiment. Je n’aurai plus à me sentir coupable.

Je frappe les murs, espérant te toucher, te blesser, te faire taire. Je frappe les murs jusqu’à ce que je tombe d’épuisement. A chaque fois que je pense t’avoir fais taire, les bruits reviennent. Je frappe les murs et je ne sais plus si c’est ton sang ou le mien qui coule sur mes mains.

Les coups de poings derrière le mur ne cessent pratiquement plus. Je n’ai pas de répit. Je me suis fait au bruit des vrombissements, il m’hypnotise même. Pour un peu, il m’endormirait. Mais je ne m’habitue pas aux coups derrière le mur.
C’était bien toi. Le tissu blanc du capiton moule tes mains qui tentent de le déchirer de l’intérieur. Je vois tes doigts s’acharner comme une noyée qui tente de rejoindre la surface. Je sens ta rage dans tous tes gestes désespérés. Tu sembles perdue et chercher comment sortir.
Finalement, j’aimerais que tu viennes. Peut-être que dans cette pièce, à mes côtés, tu ferais moins de bruit ? Il suffirait que je te prête un peu d’attention et tu me laisserais mes moments de repos en échange.
Je te vois toute entière désormais. Tu es immobile, résignée. Je pourrais te toucher comme autrefois, mais je ne le fais pas. J’ai l’impression d’avoir devant moi une copie de toi sur laquelle on aurait gommé tous les traits. A travers le capiton, tes yeux vides semblent pourtant me regarder. Tes orbites creuses sont fixées sur moi, mais je crois que tu ne me reconnais pas. Tes lèvres blanches s’entrouvrent parfois, comme si tu cherchais l’air dont ce linceul te prive. Je vis avec une poupée de cire sur mon mur, une poupée qui respire. Est-ce que dans l’autre monde tu as encore le visage défoncé par mes coups ?
Je suis ton père et je vais t’aider. Je vais t’appeler jusqu’à ce que tu me trouves. Fini le cache-cache. Mais il faut me promettre de te taire quand tu seras près de moi. Qu’enfin, on me laisse dormir. Tu es prête ? Je me pose juste là dans le coin d’accord ? Maintenant écoute ma voix.

Louise. Looouuuuuise. Loooooooouuuuuuuuuuuise... LOUUUUUUIise... LOOUUUUUUUUUUUUIIiise...

***

Le patient de la chambre 213 n'avait de cesse de hululer sans fin, une complainte absurde qui ne s'arrêtait jamais. Ce cinglé paranoïaque était entré en lui-même et n'en ressortirait plus. Planté immobile devant l'homme, il agita doucement la main pour attirer son attention, mais Yvon Lenoir regardait à travers lui et continuait de hurler à la mort. Le professeur se laissa envahir par la colère, ferma les yeux. La longue complainte entrait en lui comme en une bâtisse ouverte à tous vents. Les yeux toujours obstinément clos, il braqua son arme devant lui dans la direction approximative du patient, et tira une fois, deux fois, six fois, jusqu'à ce que s'éteigne enfin le chant de mort d'Yvon Lenoir.