Le septième jour

Le 21/07/2007
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par Mill
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Thèmes / Débile / Parodies
On en est au dernier jour de la création et God se repose. En toute logique il en profite pour créer des substances psychotropes et se pinter la gueule avec ses potes les archanges. C'est un postulat de départ qui pourrait être potable (en tous cas pour un texte d'une demi-page), mais ça manque cruellement d'humour, et la fin est de plus en plus sérieuse. Au point qu'on voit plus du tout l'intérêt.
    Je viens de relire les notes qui précèdent et je me rends compte avec stupeur que je n'ai pas dessoulé d'une semaine. J'ai encore un mal de tête incroyable et une gueule de bois à me faire porter pâle la semaine à venir. Je dois avouer, cependant, qu'il n'y a rien de tel pour se sentir vivre. La douleur est si forte que je me sens ancré dans une réalité qui n'est probablement pas la mienne. Voilà que j'adopte la métaphysique de mes convives. Eux aussi, quelle affaire! Michel, Raphaël et Daniel n'ont pas l'habitude de débarquer les mains vides, et je dois dire qu'ils n'ont pas failli à la tradition. Ces "substances" qu'ils m'ont si généreusement amené m'en ont fait voir de toutes les couleurs.
    Cette migraine!
    Et je ne me souviens pas de tout. Je sais qu'au début, quand nous n'étions qu'à peine entamés, on a passé notre temps à rire comme le démon. Quand je pense à ce pauvre bonhomme... Quand on se retrouve tous ensemble, il faut toujours qu'on remette ça sur le tapis, qu'on l'accable dans son dos, alors qu'il n'est même pas là pour se défendre... Il faut admettre, malgré tout, que sa petite queue rouge et ses cornes bien plantées n'arrangent pas les choses, et auraient plutôt tendance à encourager ce genre d'attitude à son égard.
    Quelque chose, toutefois, me chiffonne. Lors de ces soirées improvisées, je suis pratiquement le seul à rire tout mon saoul. Les autres ne se laissent jamais autant aller. A croire qu'il existe une déférence qui fonctionne à sens inverse. Ils n'osent jamais proférer un mot plus haut que l'autre, ni faire semblant de me critiquer - dans une intention purement récréative s'entend - en ma présence. Je leur ai pourtant répété des centaines de fois qu'ils n'avaient pas à me considérer comme un danger du fait de ma supériorité évidente, du moins, lorsque nous sommes en privé. Nous sommes amis avant tout.
    Je me souviens également que Raphaël roulait ses vitamines selon des formes inexistantes, si bien que j'ai dû les inventer et les intégrer à mon oeuvre afin de lui autoriser quelque originalité. Les autres l'ont sifflé, raillé, moqué, mais personne ne niera que c'est une vraie bombe qu'il nous a fait fumer. Encore un produit qui sort de moi, et dont je ne savais rien. Je dois apprendre à me contrôler. Il se pourrait que j'accouche un jour de quelque chose de réellement nuisible. Les notes qui précèdent indiquent que je me suis surpassé en la matière. Quand je suis dans cet état d'ébriété totale et illimitée - puisqu'il n'est pas question pour moi de m'imposer des limites d'aucune sorte - je ne sais pas ce que je fais. Je suis capable de créer n'importe quoi.
    Ce carnet prétend que j'ai créé la lumière, le jour et la nuit. Que le monde - qu'est-ce donc? - est né de mes entrailles, et que mes rêves d'alcoolique ont façonné des continents, des océans, des cieux aux couleurs changeantes. J'aurais peuplé ce monde de choses vivantes, indépendantes et dissemblables, divers types de créatures qui n'ont rien de mécanique. J'aurais créé les mots qui s'inscrivent à présent sur ce papier nouveau-né, et l'encre qui les trace est une goutte de mon sang.
    J'au commis une bévue, j'ai produit l'anomalie, et ce n'est pas seulement à cause d'une bouteille ou d'un joint mal digéré. Si j'ai engendré ce reflet de moi-même, cette ombre minuscule qui sait marcher, prendre et parler, c'est que j'en éprouvais le besoin inconscient. Je ne peux contrôler les anges, même s'ils me craignent, me servent et me respectent, mais cet objet mouvant peut incarner chacun de mes fantasmes, de mes songes et cauchemars. Je ne peux mourir, ils mourront à ma place, par centaines de milliers. Je ne peux copuler, ils le feront à ma place, mais selon certaines règles. Je ne peux tuer qu'indirectement. Ils seront mes instruments, mes bourreaux, mes victimes.
    Surtout, ne pas oublier de détruire ces deux pages.